Quel schéma de financement à partir du bilan des réformes passées ?
Historiquement, nos impôts locaux actuels trouvent leur origine dans la période post-révolutionnaire française où l'impôt foncier devait être l'impôt principal car la "terre" était la seule richesse palpable. Crées par l'Assemblée Constituante de 1790, les quatre anciennes contributions ont résisté à tous les bouleversements politiques ou sociaux et aux réformes fiscales de toute natures.
Devant cette ténacité, il y a à douter objectivement de la capacité des acteurs de la concertation sur l’acte 3 de la décentralisation à trouver des réponses aux maux de la fiscalité locale sénégalaise et, plus largement, à la problématique du financement de la décentralisation.
Il y a lieu de faire un bilan d’étape des récentes réformes du CGI concernant la fiscalité locale pour mieux articuler les futurs changements du mode de financement de la décentralisation.
Bilan des réformes passées de la fiscalité locale
A titre liminaire, on peut se demander si le dispositif légal issu du nouveau CGI permettra aux collectivités locales de mobiliser librement et efficacement les ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs compétences?
Est-ce que le nouveau texte totalement relooké a-t-il introduit des changements dans le sens d’un meilleur rendement des impôts locaux? Quels sont l’ampleur et le contenu des changements concernant les contributions locales dans le nouveau Code?
Après presqu’une décennie d’application, est ce qu’une évaluation technique et financière a été faite des changements introduits par la réforme de 2004 sensée apportée une profonde mutation de la fiscalité locale ?
A titre de comparaison, en France, au moment de la suppression de la taxe professionnelle (qui finançait les collectivités locales), la loi de finances a prévu la transmission, par le Gouvernement, à l’Assemblée nationale et au Sénat de trois rapports mettant en évidence les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, ainsi que l’évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages.
Après la loi de 2004, qu’est ce qui restait à faire pour assurer une meilleure efficacité des prélèvements fiscaux locaux ? Une vision panoramique des changements introduits dans la nouvelle loi fiscale, en ce qui concerne les impôts locaux, révèle l’immobilisme marqué de certains impôts locaux et de réformes à minima pour les autres.
Dès lors, l’acte 3 de la décentralisation est un moment opportun pour repenser véritablement la fiscalité locale sénégalaise et généralement les mécanismes de financement des collectivités locales.
Nouveau schéma de financement de la décentralisation
La consolidation du schéma de financement de la décentralisation passe par plusieurs axes et le renforcement des ressources fiscales doit constituer l’épine dorsale de cette réforme. Dans ce cadre, il nous parait essentiel de dessiner le design d’une fiscalité locale apte à assurer un financement adéquat de la décentralisation au regard des mutations intervenues.
Renforcement de la fiscalité locale :
La transformation de la patente dans sa forme actuelle et l’aménagement d’une véritable fiscalité locale basée sur les taxes foncières sont des orientations assez partagées par les acteurs de la chaîne fiscale pour une réforme réussie de la fiscalité locale.
En effet, la future réforme de la patente ne doit pas être une réforme de plus. Déjà, la formulation de ses « termes de références » par le CGI (cf. article 324 du CGI) semble indiquer qu’il s’agira, si l’on y prend garde, d’une réforme à la petite semaine ; fruit d’un mimétisme irréfléchi.
En outre, les collectivités locales doivent également tirer profit du boom de l’immobilier et du foncier aussi bien
en milieu urbain que rural. L’embellie sur ces matières est demeurée sans incidence sur les bases d’imposition et incidemment sur les recettes fiscales.
Par ailleurs, de nouvelles impositions, comme des taxes environnementales doivent être envisagées au regard de la responsabilité sociétale des entreprises. Le principe du pollueur payeur doit être envisagé pour suppléer à l’anachronisme de la TOM dépassée par les modes de production de déchets des sociétés modernes.
Enfin, si la décentralisation de toute la chaîne fiscale aux collectivités locales est un choix risqué eu égard à la faiblesse de leurs moyens techniques, la rationalisation des dépenses fiscales doit en revanche être renforcée.
En effet, la réduction du nombre d’exonérations concernant les impôts locaux est souhaitable. La rationalisation des dépenses fiscales peut participer à l’amélioration de l’efficacité du système fiscal via l’élargissement de l’assiette. Aussi, les collectivités locales doivent-elles être impliquées dans l’octroi d’exonérations fiscales à certaines entreprises installées sur leur territoire en ce sens qu’il s’agit d’abandons de leurs recettes.
Meilleure administration de l’impôt local:
A côté des modifications de la norme, les véritables sauts qualitatifs attendus de la fiscalité locale ressortiront du mode d’administration de l’impôt par tous les acteurs impliqués dans la processus. L’insuffisante maîtrise de l’assiette (problématique des bases d’impositions et de la population fiscale) combinée à la qualité indésirable de l’identification des contribuables et de la gestion du contentieux rendent volatiles les recettes des collectivités et mettent à rude épreuve la sincérité des budgets locaux.
En même temps que les nécessaires réformes à opérer au niveau des administrations financières chargées de la mobilisation et de la gestion des ressources des collectivités locales, il est impérieux de réfléchir, à l’échelle de chaque entité locale, autour de cadres institutionnels regroupant tous les intervenants de la chaîne fiscale.
Sa mission serait, entre autres, de travailler de façon concertée sur les recensements, les émissions des rôles, les tournées PPA, les dégrèvements et les côtes irrécouvrables.
Elargissement de la galaxie des impôts locaux
A coté de la réforme des règles d’assiette, de liquidation et de recouvrement des impôts locaux actuels, la réflexion peut aussi être orientée vers le transfert de fiscalité aux institutions décentralisées de manière à leurs doter de ressources financières substantielles leurs permettant de mieux prendre en charge leur développement.
Ainsi, les choix en matière de transferts d’impôts et taxes pourraient cibler les activités ou secteurs à vocation locale. Ces propositions s’attacheront à éviter, dans la mesure du possible, toute augmentation de la pression fiscale individuelle des entreprises et des ménages.
Les sources de transfert peuvent concerner par exemple des impôts et taxes existant dont le rendement financier actuel est relativement faible dans le budget de l’Etat : la part de l'État sur la Contribution globale unique, sur la taxe de plus-value immobilière, sur les droits d’enregistrement, de timbre et de publicité foncière, sur la taxe annuelle sur les véhicules automobiles...
Changement dans les autres sources de financement
En plus des mesures fiscales, les autres instruments de financement de la décentralisation doivent également connaitre un lifting pour s’adapter à l’évolution des besoins des collectivités locales.
Dans ce sens, les montants actuels du fonds de dotation de la décentralisation et du fonds d’équipement des collectivités locales alloués aux entités décentralisées s’avèrent très insuffisants pour une couverture correcte de leurs dépenses de fonctionnement et le financement de leurs investissements.
Aussi, doit-on renforcer sensiblement les ressources provenant de ces deux fonds conformément aux recommandations des différentes études réalisées sur la question. Ces mutations pourraient être liées aux efforts de chaque collectivité locale, en matière de mobilisation des ressources internes et de rationalisation des dépenses de fonctionnement pour le compte de l’investissement. Dans le même ordre, des systèmes d’évaluation et de notation des collectivités locales doivent être institutionnalisés.
Le cadre législatif et réglementaire doit également être réaménagé pour permettre aux collectivités locales d’accéder aux nouveaux instruments de financement de leurs infrastructures. Il s’agit des emprunts (classique ou obligataire), des partenariats publics privés (PPP). Dans le même sens, le dispositif de la coopération décentralisée doit être réadapté.
En outre, il y a lieu d’assainir le cadre budgétaire et financier des collectivités locales pour mutualiser les bonnes pratiques accumulées par l’Etat en matière de gestion financière afin d’ancrer la culture de transparence et de reddition des comptes au sein des entités locales.
Il est certain que, laissées à elles-mêmes, les collectivités locales ne parviendront jamais à prendre en charge le financement de l’ensemble de leurs activités. Une réforme structurante des modes de financement de la décentralisation s’avère incontournable pour assurer aux collectivités locales des moyens suffisant pour agir dans le développement de leurs terroirs.
C’est à l’aune de cette problématique que l’acte 3 de la décentralisation figurera au panthéon des réformes majeures de notre Etat de droit. (FIN)
Elimane POUYE Inspecteur des Impôts
Chargé des revendications du Syndicat Autonome des agents des Impôts et des Domaines