Publié le 28 Dec 2019 - 23:46
DECOUVERTE - ‘’SITOUMBAS’’ EN CASAMANCE

Aux origines d’une danse

 

‘’Sitoumbas’’ ! Le nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais vous connaissez sans nul doute cette danse. C’est la chorégraphie livrée par Allez-Casa et les chants entonnés. Derrière ces derniers qui ont du succès, se cache le génie d’un homme : feu Bourama Diatta. Il était instituteur et ancien normalien, père de l’ex porte-parole du Mfdc Abdou Elinkine Diatta exécuté à Mlomp en octobre dernier, au quartier Kawaguir. Là-même où sont nés la danse et le chant ‘’sitoumbas’’ qui renvoient, dans la langue diola, aux tumbas. Découverte !

 

Elle est dansée et jouée aujourd’hui par beaucoup, mais peu connaissent ses origines. La danse ‘’sitoumbas’’ est née en 1967, à Mlomp, dans le département de Bignona. Traditionnellement, dans le Blouf, arrondissement de Tendouck, les populations dansaient avec un seul et long tambour. C’est avec cet instrument que les femmes, en particulier, organisaient leurs festivités.

Toutefois, des changements importants vont s’opérer, à partir de 1965. Un jour de cette année, une dame du nom de Téréma Sonko, originaire de Thionck-Essyl, retenue comme femme ‘’kagnialène’’ (une dame infertile) va être conduite à Mlomp pour un séjour qui a duré, en fin de compte, deux ans.  Après décision, elle est conduite dans un autre village. Arrivée sur place, on la baptise sous un autre nom, parce que dans la croyance diola, l’on suppose qu’elle est victimes d’attaques d’êtres mystiques qui seraient à l’origine de son état d’infécondité.

Sur place, elle est au service total des populations du village d’accueil. En retour, tous prient pour elle. Ceux qui ont des connaissances mystiques se mettent, eux aussi, à son service pour conjurer le mal. ‘’Généralement, 80 à 90 % de ces femmes parviennent à faire des enfants avant le terme de leur séjour’’, informe le professeur historien et journaliste Mamadou Lamine Mané. En rentrant au bercail, le village d’accueil achète à la ‘’Kagnialène’’ toutes sortes d’ustensiles de cuisine, la couvre de cadeaux et de matériel divers, et choisit un jour pour la raccompagner dans son domicile conjugale. Ce fut le cas de Téréma Sonko.

A l’époque, dans ces contrées du Blouf, il y avait ce qu’on pouvait qualifier de saine émulation. Ainsi, au moment ou Téréma Sonko devait retrouver son domicile conjugal, une autre femme ‘’kagnialène’’, qui a séjourné dans un autre village, devait être, elle aussi, raccompagnée dans ce même village de Thionck-Essyl. Pour donner un cachet particulier et plus que festif au retour de Téréma dans son foyer conjugal et damer le pion à la délégation de l’autre femme  ‘’kagnialène’’, feu l’instituteur Bourama Diatta,  le père d’Abdou Elinkine Diatta, qui disposait d’un saxophone et de deux tumbas brésiliennes mis à sa disposition à sa sortie de l’école normale,  tente de faire l’alliage entre le long tambour traditionnel et les instruments modernes qui se trouvaient au niveau du foyer des jeunes de Mlomp. Cet enseignant émérite va, ensuite, et après réflexion, demander à Aliou Niambang, que toute la Casamance connait et qui vit encore, à Baye Coly et à feu Mambouna Diatta d’expérimenter cette possibilité de fusion. 

‘’Cette expérimentation, presque secrète, va durer deux bonnes années’’, confie le professeur historien et journaliste Mamadou Lamine Mané. Selon lui, la femme ‘’kagnialène’’ Téréma était une grande chanteuse et une danseuse hors pair, à l’image de presque de toutes les femmes de Thionck-Essyl. Comme planifié par Bourama Diatta, cette rythmique et chorégraphie, qui a été conçue à Mlomp, va être révélée lors du raccompagnement de Téréma Sonko à Thionck-Essyl, un jour de 1967. Cela a été un véritable succès.

A partir de ce jour, les villages qui entourent Mlomp, Thionck-Essyl et Thiobon notamment ont, à leur tour, adopté cette nouvelle forme de danse qui fait, aujourd’hui, la fierté de toute la Casamance.  Dans la même mouvance, la troupe d’Aliou Niambang va davantage promouvoir cette chorégraphie. Les ‘’congrès villageois’’ nés à Popenguine autour d’un repas entre le président Senghor, son épouse Colette Hubert, Emile Badiane et Abba Diatta, qui vient d’être rappelé à Dieu à Ziguinchor, ont permis à cette troupe de se produire dans différents villages du Blouf. Ces congrès villageois en Casamance étaient et demeurent encore un moment fort de mobilisation communautaire et de   ressources financières en vue de la prise en charge de certaines préoccupations des populations, comme la construction de mosquées, de foyers de jeunes, d’écoles et de postes de santé.

‘’Si la Casamance est l’une des régions les plus scolarisées du pays ou l’accès des filles à l’école se fait naturellement, c’est en partie grâce à ces congrès villageois’’, a souligné l’ancien maire de Ziguinchor Robert Sagna. C’était lors d’une journée d’excellence au collège Sacré Cœur de la capitale sud du pays. Il en était le parrain.

 A partir des années 1980, certains responsables et sympathisants du Casa Sport vont demander à Aliou Niambang et son ‘’orchestre’’, d’accompagner le club fanion de Ziguinchor lors de ses différentes sorties. Depuis, la danse ‘’sitoumbas’’ est restée presque une propriété de Allez-Casa.

Ainsi naquit ‘’sitoumbas’’ avec une conception de Bourama Diatta sur le plan idéologique et mis en œuvre, sur le plan musical, par Aliou Niambang, Baye Coly et Mambouna Diatta. ‘’Certains vous diront que cette danse est née à Thionck-Essyl. S’ils le disent, ils n’ont pas tort, puisque c’est là où les gens l’on découverte. D’autres vous diront que cette danse est née en Gambie.  Quand le Sénégal entrait en confédération avec la Gambie, la troupe Bakalama de Thionck-Essyl avait été choisie par les autorités gambiennes pour l’accueil de ses homologues sénégalais à l’aéroport de Bakau. Les autorités sénégalaises venues de Dakar avaient été émerveillées par cette danse et pensaient que c’étaient des Gambiens qui l’exécutaient. C’est après que le président Diawara leur a dit : ‘’Pourtant, ce sont vos compatriotes sénégalais qui, souvent, se produisent en Gambie que nous avons invités’’, explique l’historien Mamadou Lamine Mané. 

 Aujourd’hui, cette danse a fini de faire le tour du monde, grâce au Comité des supporters Allez-Casa. Mais aussi avec la troupe Bakalama de Thionck-Essyl qui,   en dehors de ‘’sitoumbas’’, sait interpréter d’autres formes de danse, en l’occurrence le ‘’bougar’’, le ‘’séourouba’’ et le ‘’djimbé’’. ‘’En plus d’être de grands chorégraphes. C’est pour dire que, culturellement, le Blouf a connu vraiment une effervescence certaine, même après l’ère Aliou Niambang’’, souligne M. Mané. Aujourd’hui, ce sont les plus jeunes qui sont en train de perpétuer cette forme de danse.

Toutefois, en dehors ‘’des deux tumbas, du saxo et du long tambour, l’on a ajouté d’autres instruments qui sont un peu mandingues : le ‘’séourouba’’, le ‘’djimbé’’ et autres comme la timbale’’, ajoute Lamine Mané. Selon lui, cette danse a encore de l’avenir. Elle s’est beaucoup améliorée, au fil des années. Les rythmes ne sont pas que du Blouf. L’on retrouve, dans cette danse, les sonorités ‘’bougar’’, mandingues parfois ouolof. ‘’C’est un brassage culturel qui est en train de se faire. Il y a des villages dans le Blouf, Thionck-Essyl notamment, qui est un creuset d’artistes, Thiobon et Mlomp qui continuent de perpétuer cette danse’’, indique le Pr. Mané.

Sur le plan économique, ‘’sitoumbas’’ est devenue une industrie culturelle. Nombreuses sont les troupes, éparpillées un peu partout dans la région de Ziguinchor et au-delà des frontières, qui sont invitées à se produire lors des mariages,  baptêmes,  congrès villageois, journées culturelles, festivals ou autres événements. Elles y font des prestations rémunérées qui leur permettent de vivre de leur art.  Beaucoup d’artistes se produisent, également, dans les hôtels à Kafountine, à Abéné, au Cap Skirring, à  Elinkine et à Karabane. Certaines vont plus loin, au niveau de la Petite Côte. D’autres se retrouvent en Norvège, en Finlande, en Suède…

Avec ‘’sitoumbas’’, Bourama Diatta, Aliou Niambang et sa troupe sont, depuis, entrés dans l’histoire culturelle du pays. Qui, en Casamance, ne connait pas ce refrain : ‘’Aliou Niambang, ounaguoli sitoumbas ?’’ Autrement dit, ‘’Aliou Niambang, joue-nous des tumbas’’, en langue diola.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

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