Des fondements d’un dialogue inter-religieux en Islam
A partir de l’herméneutique du texte coranique, de faits historiques, nous allons proposer ce qu’on peut considérer comme les bases d’un dialogue inter-religieux.
La profession de foi comme certains versets définissent la vision de l’Islam sur les autres religions révélées. Par exemple dans le texte sacré, le Prophète Mu’sâ (Moïse) est le plus cité. L’histoire de Isa’, Jésus et Maryam se trouve consacrée parmi les Sourates les plus importantes. L’Islam endosse pratiquement les récits de toutes les autres religions révélées.
I. Les fondements du dialogue inter-religieux à partir du Coran
La profession de foi est explicite sur les croyances profondes mais nous voudrions, avant toute chose, nous arrêter sur un verset extrêmement important à nos yeux pour déterminer les bases d’un dialogue inter-religieux; il s’agit d’Amana Rasûl (Sourate 2, Al Baqara, V 285)
« Le Messager a cru en ce qu’on a fait descendre vers lui venant de son Seigneur, et aussi des croyants tous ont cru en Allah, en ses Anges, à Ses Livres et en Ses Messagers; (en disant) : « Nous ne faisons aucune distinction entre ses Messagers ». Et ils ont dit : « Nous avons entendu et obéi. Seigneur, nous implorons Ton pardon. C’est à toi que sera le retour ».
On peut saisir la quintessence de ce verset, fondement des religions d’essence abrahamique en analysant la présence de trois grands personnages du Coran : Mu’sâ Kalamullah, Isa’ Ibn Maryam, Maryam- elle-même.
1. Mu’sâ ou Moise, le plus cité dans le Coran
En Islam Moise est aimé et respecté à la fois comme Prophète et comme messager. Il appela les enfants d’Israël à n’adorer que Dieu et fixa pour eux les Lois prescrites dans la Torah
En ce qui concerne le Judaïsme comme le Christianisme, Moise est un personnage central. C’est l’homme de l’Ancien Testament le plus souvent mentionné dans le nouveau te Nouveau Testament; il a réussi à mener son peuple hors d’Egypte, a communiqué avec Dieu et reçu les Dix Commandements. Ainsi Mu’sâ est connu à la fois comme prophète et comme législateur.
« Certes, Nous avons révélé la Torah, dans laquelle il y a guide et Lumière. C’est sur sa base que les prophètes qui se sont soumis à Dieu ont jugé des affaires des Juifs sur la base de cette écriture de Dieu comme il leur avait commandé; et ils en sont témoins (S 5, V44/ Al Mada’ia, la table servie)
En Islam, Moïse sous le nom de Mus’a est le Prophète le plus présent dans le Coran, cité à cent trente-six reprises. Il fait partie des « grands prophètes, comme l’un des messagers envoyés par Allah. Selon le Coran, Mu’sâ fut envoyé par Dieu pour affronter le Pharaon de l’Egypte antique et pour guider les Israélites qu’il avait asservis. L’histoire de Mus’â détaillée se trouve dans la Sourate 26, intitulé « Les Poètes » ou al Shu’ara.
La vie de Mu’sâ est remplie de leçons. Dieu lui fait vivre des expériences qui lui seront utiles dans sa mission future. Il avait été élevé dans maison du Pharaon, d’Egypte. Il était donc bien au fait des intrigues politiques du gouvernement égyptien. Il avait aussi une expérience bien personnelle de la corruption de Pharaon Sourate 49 (Hujurât) les Appartements, V 13
« O hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, afin que vous fassiez connaissance entre vous. »
Toujours est-il que là débute un désir ardent de liberté et l’autre, le rêve d’un roi tyrannique.
Les musulmans considèrent la Torah comme un livre divin. Le Coran ne fait que confirmer et corriger l’histoire de Mu’sâ. Allah a continué à bénir les Israélites en leur accordant de nombreuses faveurs et en leur infligeant des punitions pour leur désobéissance. Ces deux éléments sont largement détaillés dans la deuxième Sourate du Coran, Al Baqara, la Vache.
En fin de compte, les nombreuses similitudes entre les récits de Moise dans la Torah et dans le Coran signifient les liens ancestraux communs des deux religions-, car elles sont d’essence abrahamique
2. I’sa Ibn Maryam
Isa’ Ibn Maryam ou le Jésus du Coran est le Messager d’Allah. Jésus est un des grands Prophètes de l’Islam. Tout au long du Coran, Jésus est appelé Isa’ Ibn Mariama, Jésus fils de Marie. Le Coran insiste beaucoup sur l’humanité de Jésus qui s’y présente comme le message corrigé de la Torah et du Nouveau Testament, donc il cite de nombreux personnages bibliques, dont Marie à qui est dédiée la Sourate 19, Sourate Maryam. Déjà la Sourate 3 Ali Al Imran évoque la famille de Maryam.
Imran est supposé être le nom du père de Moise, bien qu’il ne soit jamais cité dans le Coran autrement que par l’expression « famille d’Imran » et « femme d’Imran ». Imran est considéré par les musulmans comme l’un des hommes vertueux de Jérusalem.
La femme d’Imran, la mère de Maryam, porte le nom de Hannah (l’équivalent arabe d’Anne), fille de Fanqudh. Elle est également honorée par les musulmans comme femme très vertueuse, à l’instar de sa fille.
Pour revenir à Is’â, il est parmi les Prophètes majeurs cités par le Coran ; Noé, Abraham, Moise. Certains versets lui accordent une place éminente, où il est présenté comme Le Verbe ou l’Esprit de Dieu. Il est le seul Prophète dont la naissance est contée, et qui parle et fait des miracles dès le berceau.
Le retour de Isâ’ évoqué dans le Coran (Sourate 43, Az Zukhruf ou l’ornement, verset 61), mais les éléments eschatologiques et apocalyptiques sont très présents dans les hadiths. Il faut interpréter de manière allégorique les passages où il évoque sa mort ; dans les passages où il est question de la crucifixion; ce qui est nié ce n’est pas sa mort, c’est l’affirmation des Juifs qui disent avoir eu le contrôle des évènements ayant conduit à sa mort. La mort sur la croix correspond à la réalisation du plan divin, sur le modèle du discours de Pierre dans les actes des apôtres (Sourate Baqara 2, V 23).
Le Coran, les accuse aussi d’avoir revendiqué la responsabilité de sa crucifixion, comme le rappellent les versets 155-159 de la sourate 4 (An Nissa’, les femmes). Le Coran soutient le principe de la virginité de Marie, Isa’ apparait comme une figure de convergence.
Les éléments sur la naissance de Jésus, viennent de traditions chrétiennes palestiniennes. La sourate 19, Maryam qui raconte sa conception et sa naissance, est ainsi très liée à des traditions attachées à un lieu précis : l’Eglise de Katishma, mais aussi à l’Evangile de Luc et au Protévangile de Jacques. Le Coran mêle deux récits indépendants, celui du repos de Marie lors de la Nativité et le miracle du Palmier cité pendant la fuite en Egypte que combinaient déjà les traditions de l’Eglise du Kathisma.
La piété musulmane fondamentale est plus orientée vers le Prophète, sa famille et ses compagnons. Le prénom Is’â qui est le nom coranique de Jésus continue à être donné. Jésus est un modèle d’ascétisme très important dans le soufisme classique. Marie, objet d’une sourate est la seule figure féminine nommée dans le Coran; son nom y est cité plus souvent que dans le Nouveau Testament dit-on.
Le Coran est né dans un espace politique, culturel et religieux où vivaient depuis des siècles, des Juifs mais également des Chrétiens. Ces derniers, syro-araméniens, coptes et aussi romano-byzantins, formaient des Eglises structurées avec leurs hiérarchies et leurs théologiens.
Chrétien; Nasara fait référence à deux termes grecs : Nazaréens et Nazaréen qui figurent dans plusieurs passages du Nouveau Testament. Cependant malgré cette ambiguïté terminologique, le Coran sais distinguer entre Chrétiens et Juifs, et entre Zoroastriens et Manichéens.
Isâ’ fils de Myriam (Al Masîh Isa Ibn Maryam). Marie est indissociable de Isa’ dans le texte coranique. Ils sont des modèles à suivre tant leurs vies sont exemplaires. Dès sa naissance, Isa’ ou le Jésus coranique fait objet d’un miracle voulu par la puissance divine, puisqu’il s’agit d’une naissance virginale. Il est un puissant thaumaturge qui accomplit miracles et guérisons.
Isa, déformation du nom araméen Esaü, le nom biblique le plus proche de la forme coranique de Isâ’
Quels sont les signes et messages ?
Aya, signe, s’agissant de l’action de Dieu dans la nature ou dans l’histoire, concerne aussi Jésus et sa mère Maryam. Sans doute, faut-il penser à sa naissance miraculeuse. S’agit-il d’une réminiscence de l’Evangile selon Mathieu (Mt II, 5) où, répondant à la question que lui fait poser depuis sa prison Jean Le Baptiste (Yahya), Jésus répond par un résume de ses miracles?
En définitive, les données coraniques relatives) à Isâ’, au Christ sont nombreuses : les unes concernent son entourage proche; les autres plus particulièrement, se rapportent à sa personne même. Dans plusieurs passages, il est présenté comme annonciateur de bayan (vérité). Ses disciples sont considérés comme des messagers (Al Hawâriyyûn), Jésus s’adresse à eux, dans le Coran, par deux fois comme une sorte de refrain., dans une situation critique où il est confronté à l’incrédulité de Sanhédrin. En tant que croyants, ils se révèlent ses auxiliaires (Ansar Allah).
D’autres passages coraniques se rapportent à des faits évangéliques; l’un parle d’une Table Servie venant du ciel, alors que l’autre évoque le destin de Jésus. A la fin de la Sourate 5, la Table servie on raconte l’histoire qui correspond à ce titre comme une histoire des disciples. Le lien est fort clair avec les Evangiles apocryphes; les disciples (ou les Apôtres) demandent à Jésus de faire venir du ciel une Table servie, pour ainsi dire comme signe divin.
Ainsi certains grands Orientalistes ont donné à croire qu’il s’agit d’une reproduction coranique de l’Eucharistie. Pour le Coran, la croix et la résurrection de Jésus n’ont pas de signification…D’après la Sourate 19 (verset 33), il meurt de mort naturelle, et selon la sourate 5 (V 117), il a été rappelé. S’il doit revenir à la vie, cela se fera lors du jugement dernier, lorsque tous les morts seront ressuscités (Coran 19, 33). Devient-il ainsi le rôle d’un Imam caché qui peut réapparaître à n’importe quel moment ?
Le Coran accepte de le considérer comme l’Esprit de Dieu (Rûh Allah).
II. Quelques faits historiques
Dans cette partie seront évoqués le Pacte de Hudaybiyya, la cohabitation des différents croyants à Médine mais aussi le rôle des Juifs et Chrétiens dans le débat théologique et leur présence au sein de l’administration des grands empires ommeyyade et abbasside VIIIe-XIes.
1. La « Constitution » de Médine
Elle fut élaborée pour poser les bases d’un vivre-ensemble. Cette Constitution a eu pour objectif d’établir les lois d’une nouvelle société. Elle a fixé les liens entre les musulmans et les non-musulmans pour vivre en harmonie. Le document est un « kitâb » du Prophète (après l’hégire, une fois à Yathrib ou futur Médine); il s’agit de règles entre les croyants (mu’uminûn) et les musulmans de la tribu des Quraysh et de Yathrîb et ceux qui sont sous leur autorité. Ils sont liés par ce pacte pour se défendre si nécessaire. On parle d’établir une « communauté ou ummah »
On l’a longuement évoqué avec les textes. Les relations entre les musulmans et les « minorités protégées », juifs ou chrétiens avaient posé problème dès l’époque de l’hégire (à partir de 622). On vient de le voir, le Coran présente la révélation faite à Muhammad comme réitérant et confirmant les révélations précédentes, notamment la Torah des Juifs ou Ancient Testament, ‘Injil’, évangile ou nouveau testament des chrétiens. Muhammed s’attendait par conséquent à ce que les Juifs et les Chrétiens reconnussent en lui, l’envoyé de Dieu. Il apparut bientôt que les Juifs de Médine n’étaient pas prêts à le faire. Quant aux chrétiens, Muhammad eut avec eux si peu de contacts pendant ses premières années à Médine.
Les juifs de Médire conclurent dès le début, un traité avec Muhammad.
Lorsqu’éclatèrent des affrontements avec des juifs extérieurs à Médine, ceux de Khaïbar, on accepta de les faire entrer dans la « pax islamica » après leur défaite et leur reddition, mais en échange de cette protection, ils devaient remettre aux musulmans, une partie de leurs récoltes de dattes. Sont également mentionnés des traités conclus avec les chrétiens d’Ayla (l’Elath biblique et Aqaba actuel), avec les juifs de Maqna non loin de là et avec d’autres petits groupes rencontrés lors de l’expédition de Tabruk en 630. On promettait en général à ces petits groupes, « la protection (jiwâr; dhimma) de Dieu et de son envoyé ». Ils conservaient leur structure gouvernementale interne et en retour effectuaient un paiement, généralement en nature.
On a émis que le système islamique des minorités « des minorités » protégées sous sa forme évoluée s’inspirait des pratiques byzantines et sassanides. Le principe général s’apparente à la pratique des Arabes nomades.
Dans les grands empires musulmans (ommeyade et abbasside), il y avait les groupes qui se soumettaient de plein gré sans se battre et ceux qui le faisaient contraints par une défaite militaire. Tous les groupes non musulmans étaient soumis à l’empire islamique par un accord de ce type; les trois éléments que l’on trouvait du temps de Muhammad demeurèrent en vigueur, à savoir la protection contre les ennemis de l’extérieur, l’autonomie interne et le paiement d’une certaine somme au Trésor ou bayt al mâl Plus tard, on fera la distinction entre impôt foncier (kharâj et taxe de capitation (jizya). Les minorités protégées étaient connues sous le nom collectif d’ahl al dhimma « les gens dont on assurait la sécurité » ou les « tributaires ». En général, ce sont des groupes homogènes d’un point de vue religieux. Cela faisait partie de la conception coranique, selon laquelle un messager était toujours envoyé par Dieu à une tribu ou une communauté. Il s’agit surtout des Ahl al Kitab, gens du livre ou gens de l’Ecriture;
Le système de millet de l’Empire ottoman présentait beaucoup d’avantages bien qu’il se soit effondré aujourd’hui au proche Orient.
2. Le rôle des Ahl al Kitâb dans l’élaboration d’une nouvelle culture
La fondation d’un empire arabe-islamique s’est accompagnée comme le montre Claude Cahen de l’élaboration d’une culture nouvelle qui s’est révélée complexe au cours de l’histoire. La culture islamique a bénéficié de plusieurs héritages dont celui des Juifs et des Chrétiens. Même si les Chrétiens et les Juifs gardent leurs particularismes dans le domaine proprement confessionnel, c’est autour des musulmans que s’organise de plus en plus la culture commune autour de laquelle tous contribuent. Arabisation et islamisation ne vont pas de pair exactement, il y a eu arabisation linguistique assez rapide de populations syriennes ou égyptiennes restées chrétiennes et il y’ a eu islamisation de populations iraniennes dont les élites ont appris l’Arabe, mais dont les masses sont restées suffisamment fidèles à la langue des aïeux.
Un autre point intéressant est l’influence de la sagesse antique, surtout sous les Abbasides (VIIIe-XIe siècles). Le plus grand théologien byzantin du VIIIe siècle, St Jean de Damascène ne quitta jamais le territoire musulman (on peut dire la même chose de Maimonideen Egypte). Parmi les sources importantes de l’histoire du Moyen âge musulman, on peut citer la Geniza du Caire, un dépôt d’environ 200 000 manuscrits juifs datant de 870 à 1880. Il s’agit de Guenizah, dépôt d’archives sacrées de la synagogue ben Ezra. Les historiens ont identifié plus de 7000 documents dont la moitié ont été conservés dans leur intégralité. Leur importance dans l’enrichissement de l’historiographie est considérable. Dans le travail de traduction, les chrétiens se distinguent, surtout les Nestoriens et les monophysites se joignent à eux.
Conclusion, Nous n’avons pas évoqué tous les aspects et les informations à notre disposition car cela dépasserait le cadre d’une communication de colloque. Pa exemple, on pouvait souligner le rôle des chrétiens et juifs dans l’administration des grands empires musulmans où ils étaient des ministres; formaient des dynasties de premiers ministres. Ils ont hérité d’une certaine sophistication tirée des expériences byzantines et sassanides.
Les interpellations des juifs et chrétiens ont contribué à enrichir le débat théologique et l’élaboration religieuse, surtout sous les Abbassides.
Dakar, le 6 octobre 2024
Penda Mbow