Enseignements sur l’indicateur ''embauche des travailleurs''
Le rapport Doing Business est une publication annuelle de la Banque Mondiale et de la Société Financière Internationale (SFI) qui compare la réglementation des affaires dans 185 économies à travers le monde. L’indicateur sur l’Embauche des Travailleurs fait partie des 11 indicateurs du rapport Doing Business.
L’appréciation des données concernant cet indicateur sur l’embauche des travailleurs peut varier selon les préoccupations des partenaires sociaux du Monde du Travail.
La relativité de cette appréciation réside également dans le fait que le Monde du Travail se caractérise par le tripartisme qui prescrit la primauté du consensus dans l’élaboration et la mise en œuvre de toutes réformes affectant la législation du travail et de la sécurité sociale pour garantir des relations professionnelles apaisées, gage de paix sociale et de productivité.
Autant les employeurs pourront s’offusquer de la rigidité des réglementations, autant les travailleurs peuvent redouter une remise en question de leurs droits acquis.
Deux facteurs peuvent justifier le mauvais classement de notre pays. Il s’agit, d’une part, de ce que les éléments utilisés pour l’indicateur sur l’embauche des travailleurs constituent des droits acquis des travailleurs en matière de travail décent. D’autre part, le mauvais renseignement du questionnaire utilisé pour l’indicateur sur l’embauche des travailleurs du Sénégal a affecté dans une certaine mesure notre mauvais classement pour cette année 2014.
A- Au titre des éléments utilisés pour l’indicateur sur l’embauche des travailleurs qui constituent des paramètres de mesure du travail décent et qui justifient un mauvais classement de notre pays, on peut souligner à titre illustratif entre les quinze pays de la CEDEAO :
1- le coût du travail qui nous classe comme deuxième pays au coût du travail le plus élevé ;
2- le paiement d’une prime de nuit qui nous classe comme deuxième pays à la prime pour travail de nuit plus élevée dans le cas où l'opération en continue est économiquement nécessaire ;
3- l’existence de restrictions sur le jour de repos hebdomadaire en cas d’opérations continues que nous partageons avec deux autres pays ;
4- le nombre annuel de jours de congés payés qui nous classe quatrième pays au nombre de jours de congés le plus élevé ;
5- l’obligation de recyclage ou de réaffectation avant de procéder à un licenciement pour motif économique que nous partageons avec quatre autres pays ;
6- le coût élevé des indemnités de licenciement qui nous classe comme septième pays au coût d’indemnités le plus élevé.
B- En ce qui concerne le mauvais renseignement du questionnaire utilisé pour l’indicateur sur l’embauche des travailleurs du Sénégal, on peut relever que :
1- La durée maximale cumulée d'une relation de travail à durée déterminée (en mois), reconductions comprises est de quarante huit (48) mois au Sénégal, au lieu des vingt quatre (24) indiqués dans les données publiées par Doing Business 2014.
Le Doing Business 2013 avait pourtant bien renseigné cette durée maximale de cumulée sous contrat à durée déterminée.
Il y a lieu de préciser que notre législation sociale admet la possibilité de renouvellement illimité des contrats à durée déterminée dans les secteurs où il n’est pas d’usage de recourir à un contrat à durée indéterminée (arrêté 01887 du 6 mars 2008 fixant la liste des activités dans lesquelles il est d’usage de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée). Cette dérogation à la limitation à deux du renouvellement des contrats à durée déterminée est aussi octroyée aux entreprises éligibles au Code des Investissements.
Et tel qu’il est conçu, le questionnaire ne renferme pas de critères de pondération qui puissent intégrer cette dérogation.
2- Le Doing Business 2014 a aussi choisi d’indiquer pour le Sénégal la rémunération d’un salarié de 19 ans qui travaille pour la première fois par le salaire minimum de sa catégorie dans la convention collective applicable. Lequel salaire est le même pour tout travailleur.
L’option d’indiquer cette rémunération par l’allocation d’apprentissage aurait rendu moins onéreuse le coût du travail de cette catégorie de travailleurs.
En effet, l’article 15 de l’Arrêté n° 8127 ITLS SM déterminant les conditions de forme et de fond, les effets, les cas et conséquences de la résiliation, et les mesures de contrôle de l’exécution du contrat d’apprentissage dispose :
''Cette rémunération, qui tient compte, d’une part, des avantages que l’apprenti tire de l’enseignement du métier et, d’autre part, des soins et sujétions que cet enseignement représente pour le maître, est inférieure au taux du salaire minimum''.
Toutefois, des enseignements peuvent être tirés de ce Doing Business 2014 dans le sens d’assurer une meilleure productivité et une compétitivité de nos entreprises et de mettre en œuvre des stratégies de lutte contre le chômage des jeunes.
Le coût élevé des salaires relevé par le Doing Business 2014 devrait nous pousser à revoir la pratique des augmentations généralisées des salaires dans le secteur privé qui peut handicaper la compétitivité de certaines branches d’activité.
Avec la mise en place du Haut Conseil du Dialogue Social, un accent particulier devrait être réservé à la relance du dialogue social dans les branches d’activités au sein desquelles employeurs et travailleurs devraient définir les conditions de travail en prenant en compte les réalités économiques qui y prévalent.
Il pourrait s’agir également de capitaliser un usage approprié et encadré de l’apprentissage comme modalité :
- de formation professionnelle dans le secteur informel par la validation des acquis et de valorisation des compétences ;- d’insertion dans le monde de l’emploi avec des conditions de travail décentes.
Oumar FALL
Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale