Publié le 3 Jul 2013 - 02:55
En privé avec… Oumar Ndao, directeur de la Culture et du Tourisme pour la Ville de Dakar

«Nous allons réhabiliter Sembène (car) le Sénégal n’a pas fait grand-chose pour lui»

 

Dramaturge, metteur en scène et enseignant de la littérature du Maghreb à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Oumar Ndao est le directeur de la Culture et du Tourisme pour la Ville de Dakar. En marge de la cérémonie de lancement du single de sensibilisation Set weec, il s’est entretenu avec EnQuête.

Depuis quand  dirigez-vous la culture et le tourisme pour la Ville de Dakar ?

Depuis septembre  2009. La nouvelle équipe municipale étant arrivée en avril, je l'ai rejointe en septembre, pour dérouler un programme qui s’appelle le Dakar SC, conçu pour le développement culturel et artistique de Dakar.

A ce jour, quel est votre bilan culturel au niveau de Dakar ?

Nous avons plusieurs aspects qui sont contenus dans ce programme pour Dakar. Il y a un chapitre qui touche les infrastructures. La Ville de Dakar a sous sa tutelle dix-neuf centres culturels implantés dans les dix-neuf communes d’arrondissement. Dans leur état actuel, ces infrastructures ne peuvent pas accueillir des manifestations culturelles sérieuses. Parce qu’elles sont dans des espaces étroits, non équipés, elles ne sont pas destinées à des événements artistiques de qualité. Il a donc fallu une redéfinition des centres culturels que nous appelons aujourd’hui des pôles. C'est-à-dire que dans chaque secteur, nous regroupons trois ou quatre communes d’arrondissement en pôle qui ont chacun une grande spécialité et deux petites spécificités artistiques. Si par exemple on prend la zone du Nord, vous aurez Ngor, Yoff et Ouakam qui s’occuperont du pôle majeur de danse dans des communes d’arrondissement pendant que les deux autres recevront d’autres disciplines artistiques comme la musique pour le second  et le cinéma pour le troisième.

Qu’appelez-vous pôles majeurs ?

Quand nous disons des pôles majeurs, ce sont des infrastructures sur au moins quatre niveaux avec une école de formation qui donne un enseignement général sur des bases communes pour les apprenants. Aucun diplôme n’est requis pour l’inscription. Parce qu’il ne faut que seuls ceux qui s’expriment en français en bénéficient. C’est un programme qui s’adresse à un public populaire sur trois années. Nous avons pour la première année le pôle majeur qui s’occupe de l’enseignement général. Après, les apprenants reçoivent un enseignement spécialisé dans d’autres espaces de la ville où sont les pôles mineurs. Par exemple, si vous réussissez vos tests la première année dans un pôle majeur de danse, vous êtes orientés dans un pôle spécialisé de la danse traditionnelle, la danse classique, la danse Hip hop, etc. Ce sont les petits pôles. C’est donc un plan de restructuration des infrastructures.

Pour le bilan ?

Au plan du bilan, nous avons attaqué trois pôles cette année. Vous avez le pôle mineur arts plastiques qui est sur le Plateau, dans l’enceinte de l’école Malick Sy. C’est un financement de la Ville de Dakar qui va accueillir à la fois cette infrastructure et les unités de formation. En même temps, il sera implanté une galerie. C’est une sorte de pôle d’exposition avec une salle de conférence,  des salles de cours et éventuellement un petit réceptif hôtelier. C’est encore là, un pôle mineur. En ce qui concerne le programme du pôle majeur que nous avons l’intention d’attaquer cette année, c’est sur le site de l’actuel cinéma El Mansour. Vous savez qu’il y a eu beaucoup de légendes autour de ce cinéma. Même s’il est réputé avoir été un lieu de sauvagerie, c’est un mythe urbain qui fut un centre de diffusion de cinéma. Et pour corriger tout cela, nous avons décidé d’en faire un véritable multiplex avec trois petites salles de cinéma dont une sera consacrée à la formation aux métiers du cinéma. Étant donné qu’il y a une trentaine de métiers autour du septième art, nous inviterons les apprenants à venir se perfectionner.

Quel plan d’action pour pallier l’absence de salles de cinéma à Dakar ?

C’est justement pour réparer ce manque qu’on va démarrer par ces pôles majeurs. Nous aurons trois à quatre salles de cinéma dans le complexe qui s’appellera le complexe cinématographique Sembène Ousmane. Nous voulons juste corriger une injustice qui frappe ce monument du cinéma africain pour lequel notre pays n’a pas fait grand-chose. Dans ce complexe, vous avez au rez-de-chaussée des produits commerciaux, un petit centre commercial, des magasins, des boutiques, des fast-food, etc. Il y a aussi la grande salle de trois à quatre cents places. A l’étage, vous avez l’institut de formation, quelques petites boutiques et surtout une infrastructure technique qui peut être utile à la réalisation cinématographique locale. On peut avoir un studio de montage ou d’enregistrement. Puisqu’il va falloir gérer toutes ces infrastructures, nous aurons évidemment un bloc administratif et aussi un réceptif hôtelier. Il arrive souvent à l’occasion de grandes manifestations culturelles et des festivals que les hôtels coûtent trop cher pour accueillir les participants.

Comment la Ville de Dakar compte financer tout ce programme ?

Autant pour le pôle mineur arts plastiques nous avons un financement exclusif de la Ville de Dakar, autant pour le cinéma El Mansour nous allons nous mettre en  partenariat public-privé. Cela veut dire tout simplement qu’un privé peut venir investir à hauteur des besoins que nous exprimons en bloc technique, salle de formation, bloc administratif, etc. Nous avons besoin de trois à quatre niveaux et l’investisseur peut aller en hauteur sur trois ou quatre autres niveaux pour évidemment rentabiliser son investissement. Il a le choix entre s’associer avec la Ville de Dakar ou y aller tout seul, jouir de son investissement sur les cinq années et retourner l’ensemble à la communauté. Plusieurs solutions lui sont donc offertes. Il y a plusieurs formulations financières et cela intéresse pour le moment les investisseurs. Je ne veux pas trop m’avancer sur le reste.

Quels sont les projets qui bénéficient du Fonds d’appui aux initiatives culturelles ?

Dans le programme Dakar, j’ai parlé des infrastructures et de la formation. Il y a ce point capital qui est l’appui à la production. Parce que les créateurs sénégalais ont souvent des difficultés pour accéder à des ressources techniques, financières ou d’un autre ordre. C’est pour cette raison que le conseil municipal a mis en place un fonds de 150 millions de francs Cfa renouvelable chaque année. La manière dont l’attribution du fonds est organisée en fait l’originalité. Nous pouvions nous enfermer dans nos bureaux climatisés pour décider qui doit bénéficier des subventions. Mais nous avons remarqué que les choix peuvent être arbitraires et faits à partir de préjugés liés au militantisme, au népotisme ou au clientélisme. Pour éviter cela, nous avons mis en place une commission, un jury privé dont aucun des membres ne travaille à la Ville de Dakar. A chaque session, nous mettons les dossiers dans une enveloppe que nous remettons aux différents membres du jury. Nous leur demandons juste deux critères : d'abord, il faut que le projet se déroule dans la ville de Dakar ; ensuite le projet en question doit être communautaire. C’est pour éviter que quelqu’un vienne demander un soutien pour l’anniversaire de son groupe, etc. Il faut que le projet soit structurant.

Comment se porte la coopération culturelle entre Dakar et ses villes jumelles ?

La coopération est un aspect prépondérant. Dans le cadre d’un partenariat  entre les villes, Dakar a réchauffé des accords de jumelage, des conventions avec des villes. Ainsi, depuis quarante cinq ans, nous sommes jumelés à la ville de Marseille. Et rendant actif ce jumelage dans le cadre de la coopération décentralisée, nous avons signé une convention entre Dakar, Marseille et Marrakech. C’est un ensemble de projets soumis à l’Union Européenne. Quand deux villes africaines sont associées à une ville européenne, elles peuvent élaborer ensemble un projet et le soumettre à l’Union Européenne. Pour le moment, nous sommes en train de réfléchir à un projet de représentation en place publique des sortes de carnavals, d’animations publiques sous des formes traditionnelles. En extension de ces projets, Marseille étant la capitale de la culture en Europe pour l’année 2013, Dakar en tant que ville africaine a eu le privilège d’être l’une des rares villes du continent à être invitée. Tout un pavillon nous été réservé.

Il semble que les femmes retiennent votre attention...

Effectivement. Et du 1er au 6 juillet, nous allons montrer des aspects de notre culture incarnés par des femmes. C’est ainsi que pour la musique, il y aura Adjouza, les Rosettes de Doudou Ndiaye Rose et Ndiaya qui est une rappeuse établie en France. Dans le domaine de la mode, il y aura Maguette Guèye et Selly Raby Kane. En ce qui concerne la danse, Fatima Ndoye a été retenue, c’est une métisse qui raconte par la danse comment elle est venue à la recherche de ses racines au Sénégal très tard et adulte. Surtout, elle raconte comment elle a su que son patronyme n’était pas N’doye mais plutôt Ndoye. Il y aura également Kiné Aw pour la peinture. Nous aurons une exposition de photos sur la ville de Dakar avec les éditions Vive voix, une série de projections de films réalisés par des femmes. Une animation est prévue autour de Thiana Gaye dont le film de Khardiata Pouye intitulé «Cette couleur qui me dérange». Les Sénégalais de Marseille ont décidé de s’adjoindre à ces manifestations avec une démonstration de lutte, de simb (NDLR : jeu du faux-lion)...

Par Almami Camara

 

 

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