''Kirikou, c'est une belle histoire humaine''
À Dakar dans le cadre du Tandem Dakar-Paris, la comédienne Awa Sène Sarr s'est confiée à EnQuête. Elle parle de ses activités en Belgique où elle est établie depuis quelques années avec son mari. L'artiste, qui a fait de beaux jours sur la scène du Théâtre national Daniel Sorano, évoque en outre ses relations avec feue Jacqueline Lemoine. Sans oublier son expérience dans la bande dessinée Kirikou.
Que devient Awa Sène Sarr ?
Professionnellement, je suis dans la continuité. Je suis toujours sur la scène. J'y suis depuis 30 ans et je m'y sens bien. J'ai joué dans des théâtres professionnels. Quand je suis arrivée en Belgique, je me suis insérée dans le tissu professionnel en interprétant des rôles au théâtre et quelques-uns au cinéma.
Travaillez-vous actuellement avec une compagnie ?
En Belgique il y a beaucoup de lieux [culturels] mais pas beaucoup de compagnies théâtrales. Les artistes et les comédiens travaillent en projet. Vous venez avec un projet que vous soumettez et vous cherchez des partenaires. Ou un autre apporte un projet et on essaie de s'insérer dedans. C'est comme cela que ça fonctionne.
L'Union des femmes africaines de Belgique vous a décerné, récemment, le Prix de l'action féminine 2012. Comment avez-vous apprécié cette distinction ?
Je l'ai accueillie avec une joie immense et beaucoup d'émotion. Parce que je ne me rends pas compte et je ne vois pas le temps passé. Je me dis pourquoi moi, et voilà ! C'était une belle fête avec les amis.
Vous êtes la seule voix retenue pour la troisième saison de la bande dessinée Kirikou. Pourquoi vous ?
Je ne sais pas ! Je crois qu'il y a un concours de circonstances qui fait que tu es là au bon moment. Après, tu participes à cette aventure pour une première fois et peut-être qu'il y a la relation tissée avec les équipes et ce petit quelque chose que le réalisateur détecte et il trouve que tu es bien dans le rôle. Michel Ocelot (réalisateur de Kirikou) m'a fait ce cadeau magnifique en me confiant la voix de la méchante Karaba dans le premier ''Kirikou et la sorcière'', puis ''Kirikou et les bêtes sauvages'', et dans le dernier ''Kirikou et les hommes et les femmes''.
Certains trouvent, à travers le personnage de Kirikou, un cliché de l'Occident qui croit que le petit enfant noir doit être nu, courant dans la brousse sans surveillance. Êtes-vous de cet avis ?
Il ne faut pas toujours réagir. Moi, je ne suis pas toujours dans la réaction. Quand je regarde Kirikou, je vois une belle histoire pour célébrer l'Afrique car il n'y a pas que le personnage. Il y a toute la musique qui est africaine. Il y a cette belle couleur et la joie de vivre. Je pense qu'il y a une belle solidarité célébrée dans Kirikou. Cette belle solidarité n'est pas un cliché de l'Européen. C'est une belle histoire humaine.
Feue Jacqueline Lemoine était un de vos professeurs à l'École nationale des arts. Comment avez-vous appris son décès et que retenez-vous d'elle ?
Je suis toujours en contact avec le Sénégal. Les réseaux sociaux nous permettent de garder le lien. Je suis sur Facebook et Twitter et mes amis m'envoient des mails pour m'informer de ce qui se passe. Je crois avoir reçu un e-mail d'un ami qui m'annonçait son décès. Je l'ai vécu avec beaucoup de tristesse. Jacqueline, je l'aimais bien ! Elle m'a transmis une connaissance. Elle était une collègue au niveau du Théâtre Daniel Sorano. Je la considérais comme une maman. Heureusement qu'avant son décès, je suis venue au Sénégal et un ami m'a dit : ''Est-ce que tu as vu Jacqueline Lemoine ? Ce serait bien que tu ailles la voir.'' Ce que j'ai fait. On a eu le temps de discuter. Je l'ai trouvée chez elle, dans son intérieur, dans son intimité, nous avons partagé un déjeuner.
Quand on évoque son nom, qu'est-ce qui vous vient le premier en tête ?
Poésie ! Parce que Jacqueline en elle-même c'est une poésie. C'est une belle symphonie avec sa douceur, son intériorité et sa profondeur. Elle aimait aussi les mots. Elle animait une émission à la radio sur la poésie.
Vous avez du chemin à Sorano. Après cette longue absence, quelle image gardez-vous de ce théâtre ?
La première chose que j'ai faite quand je suis arrivée, c'est la conférence de presse. Entre les deux pauses, je suis allée dire bonjour à mes collègues de Sorano. Je n'ai pas encore discuté en profondeur. Ce lieu, c'est aussi une partie de ma vie. Il y a une partie de moi qui appartiendra pour toujours à ce lieu. Je suis passée par le hall. L'imaginaire parle beaucoup. Dès que je suis arrivée, je suis tombée sur un ami. C'étaient les belles retrouvailles. J'ai senti une émotion. C'est un lieu vivant !
De votre expérience à Sorano qu'est-ce qui vous manque le plus ?
Je dirais l'amitié et l'affection que je portais à certains de mes collègues et qu'ils me rendaient bien. J'ai tissé des relations solides avec des gens avec qui je garde aujourd'hui encore le contact. Je garde, même à distance, une affection et une grande tendresse pour ces gens-là.
Lors de la Journée internationale du quatrième art, le Grand Théâtre a honoré les pionniers du théâtre. Vous n'en faites pas partie. Cela ne vous a pas frustrée ?
Ah oui, il y a des pionniers qui ont été honorés mais c'est bien ! Il n'y a pas de souci pour moi. Cette information m'a échappée mais c'est bien. Pour moi, honorer quelqu'un, c'est reconnaître son parcours, son travail et ce qu'il a fait. Je n'étais pas au courant mais je félicite tous ceux et celles qui ont été honorés. Car c'est la profession qui en gagne.
Ne pensez-vous pas que vous le méritiez au même titre qu'eux ?
Si ! Je le pense mais eux aussi le méritent. S'ils l'ont, c'est comme si je l'avais.
Avec le recul, quel regard jetez-vous sur le monde du théâtre sénégalais aujourd'hui ?
Je n'ai pas vraiment suivi de près ce qui se fait. Mais les échos que j'ai sont bons. Le monde du théâtre se maintient. Je crois juste que les comédiens ont besoin d'être formés davantage. La formation me tient véritablement à cœur. Nous, nous avions eu comme professeur les Mamadou Diop ou encore Jacqueline Lemoine, avant d'être arrivés à Sorano. La formation est vraiment cruciale et importante.
Justement, la section ''Art dramatique'' de l'École nationale des arts n'est plus fonctionnelle. Que faire pour la formation des comédiens ?
Il faut organiser des sessions de formation au cours desquelles des professionnels viendront partager leur savoir-faire avec la jeune génération. Ceux qui ont de l'expérience et qui connaissent bien le monde du théâtre sont là et ne demandent que cela.
On a l'impression que le temps n'a pas d'effets sur vous. Vous paraissez toujours jeune. C'est quoi votre secret ?
Je ne sais pas s'il y a un secret. Moi, j'essaie autant que possible de vivre au naturel et de ne pas trop me prendre la tête. Je prends la vie telle qu'elle m'apparaît .
Est-ce qu'une seule fois, l'idée de vous dépigmenter vous a traversé l'esprit ?
Non ! Jamais je n'ai pensé à cela. Je suis bien comme je suis.
Que pensez-vous de celles qui le font ?
Je ne porte jamais de jugement par rapport aux autres. Je me dis que si un adulte prend la responsabilité de faire quelque chose, c'est peut-être parce qu'il l'a bien analysé. C'est sa vie. Mais je pense que d'un point de vue sanitaire, le ''xessal'', comme l'ont dit les professionnels de la santé, donne le cancer de la peau. Les produits à base d'hydroquinone sont interdits partout dans le monde. Je ne comprends pas qu'on veuille comme cela se donner des maladies.
PAR BIGUÉ BOB
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