(Artiste compositeur) ‘’L’afrobeat n’est pas une ouverture’’
Face au phénomène de l’afrobeat qui ne cesse de prendre de l’ampleur chez les musiciens sénégalais, le compositeur et producteur patron du label 1000 Mélodies a animé, jeudi dernier, une conférence sur la question. Dans cet entretien accordé ce vendredi à ‘’EnQuête’’, Baba Hamdy Diawara revient sur l’impact de ce genre musical sur le mbalax national.
Qu’est-ce qui vous a poussé à organiser cette conférence jeudi à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ?
Parce que, d’abord, je suis un acteur culturel, musicien et producteur, ensuite. Je me suis posé trop de questions avant de penser à organiser cette conférence ou défendre la musique sénégalaise. Il faut agir et réfléchir pour défendre la musique sénégalaise. Mais quelle musique ? Je me demandais quel est le rôle de l’acteur culturel, du manager, du musicien si, aujourd’hui, il ne défend pas sa musique ? Mon rôle, c’est de faire de la musique, de donner aux gens, de servir mon peuple. Si je vois aujourd’hui que la musique de mon pays est menacée par d’autres venues d’ailleurs, j’ai peur. Je me suis alors dit qu’il est temps de tirer la sonnette d’alarme en convoquant la presse. Ainsi, les journalistes sont informés et on attire, par la même occasion, l’attention des acteurs culturels et des diffuseurs de programme sur ce fait. Il fallait leur dire que nous sommes en train de commettre des erreurs sans le savoir et cela a des répercussions sur l’économie du pays. Nous perdons de l’argent et cela a un impact sur le budget. C’est pour cela que le label 1000 Mélodies et moi avons décidé d’organiser cette conférence.
Quelle est donc cette erreur commise dont vous parlez ?
Je suis musicien. Je ne suis pas carreleur, ni dentiste. Je vis de la musique. Je parviens à acheter des médicaments avec l’argent de la musique. Donc, aujourd’hui, si je vois qu’il y a d’autres musiques qui sont en train d’envahir l’espace, alors que nos aînés avaient déjà balisé le terrain, je me dois de réagir. Chaque pays doit avoir une identité musicale. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est comme si on usurpait l’identité d’une autre personne. On ne fait pas la promotion de nos artistes. Ce qui est arrivé à la Gambie risque d’arriver au Sénégal.
C’est-à-dire ?
J’ai cité la Gambie parce que c’est un pays voisin. Quand vous allez en Gambie, les artistes sénégalais sont privilégiés au détriment des artistes gambiens. Les Gambiens ne consomment pratiquement pas leur musique ou pas autant qu’ils le font avec la musique sénégalaise. Dans ce pays, les artistes sénégalais sont des stars. On leur paie des cachets qu’ils ne peuvent avoir ici. C’est normal, mais cela s’explique aussi par le fait que la Gambie fait énormément la promotion de la musique sénégalaise. Il faut être honnête et le dire. Cela ne vend pas la destination du pays. Donc, il y a un impact négatif sur l’économie. Imaginez-vous à Dubaï… vous regardez une chaine sénégalaise, on vous passe du Wizkid, Chidinma, etc. Si on n’est pas sénégalais, on peut se dire : ‘’Waw ! Ça c’est de la belle musique. Ils sont sénégalais ?’’ On nous dit non, ils sont nigérians. Mais cette personne on la redirige vers ce pays-là.
Ne pensez-vous pas que faire de l’afrobeat peut ouvrir des portes à ces artistes sénégalais ?
Non, non, ce n’est pas possible. Dites-moi si vous connaissez un Sénégalais qui ne fait que de l’afrobeat et qui marche très bien au Sénégal. Quelqu’un qui arrive à remplir par exemple le Grand Théâtre. Les Sénégalais écoutent cette musique, ce qui est permis à tout le monde. D’ailleurs, on est un pays très ouvert. On écoute toutes les musiques du monde. Mais nous avons une identité. Aujourd’hui, c’est Pape Diouf, Wally, Youssou Ndour, Modou Afia qui remplissent le Grand Théâtre.
Mais parmi ces artistes que vous avez cités, certains s’y sont essayés tout de même dernièrement…
On n’est pas contre. Moi qui vous parle, j’en compose. L’afrobeat ne date pas d’aujourd’hui ; c’est depuis Fela (Ndlr : Fela Kuti, artiste nigérian, créateur de l’afrobeat). Je ne dis pas qu’on ne devrait pas faire cette musique. Mais, encore une fois, je dis haut et fort qu’on est en train de promouvoir la musique nigériane à l’intérieur de notre pays et cela ne fait pas l’affaire des artistes sénégalais, du pays également, parce que cela ne vend pas la destination Sénégal. Cela pousse même les artistes locaux à cogiter et à se dire que s’ils ne font pas de l’afrobeat, les télés ne vont pas mettre leurs sons. C’est un souci. Youssou Ndour est aujourd’hui l’artiste africain le plus connu. Il ne fait pas de reggae, ni de jazz, il fait du mbalax. Les autres Africains qui font du reggae, qui est plus populaire, ne marchent pas mieux que lui.
Ce même Youssou Ndour, dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, disait que le mbalax tel qu’on le fait ne peut se vendre à l’international…
Le mbalax tel qu’on le fait ici pose problème, il a raison. Mais Youssou fait du mbalax même pour ses albums internationaux. Même en tapant aujourd’hui sur une calebasse, on peut faire une musique internationale. Dès lors que ça rentre sur Internet, elle devient une musique mondiale. Ça traverse les frontières. C’est ce qu’on appelle ‘’Windows’’. C’est une fenêtre et dès qu’on l’ouvre, on voit ce qui se passe dans le reste du monde. Il faut aussi voir qui est derrière cette réussite de Youssou. C’est une organisation. Le Nigeria a une histoire. Rien que le pays est un marché avec près de 200 millions d’habitants. Même si l’artiste nigérian ne sortait pas du pays, il peut vendre un million d’exemplaires. C’est ce que les gens oublient des fois. Il y a énormément de choses que le Nigeria produit.
Il y a eu un moment où presque sur toute l’Afrique, c’était le coupé-décalé qui dominait. Mais les artistes sénégalais ne s’y sont presque pas essayés. Qu’est-ce qui fait, à votre avis, qu’aujourd’hui ils tombent en masse dans l’afrobeat ?
Parce que tout simplement le Nigeria a réussi un grand coup. C’est l’histoire qui est en train de suivre son cours. La nouvelle génération de musiciens nigérians que vous voyez n’a fait que rajouter quelque chose en mettant plus de sauce au legs de Fela. Mais ces musiciens gardent tout de même l’identité de l’afrobeat. Aujourd’hui, la musique nigériane est plus populaire que la musique française. Faire de la musique demande beaucoup de recherches et énormément d’organisation. Les Nigérians parlent anglais et ont réussi aujourd’hui à propager leur musique non pas qu’en Afrique, mais aux Usa également. Quand on perce le marché américain, on perce le marché mondial. Les Usa parviennent à imposer tout ce qu’ils veulent. La question est très profonde, c’est pour cela qu’on a posé le débat.
Il a souvent été reproché aux artistes sénégalais de ne pas être très ouverts. N’est-ce pas pour cela qu’aujourd’hui ils se sont tournés vers ce genre ?
Non, ils ne s’ouvrent pas. L’afrobeat n’est pas une ouverture et ne le sera jamais. Youssou Ndour a vendu le mbalax. Baaba Maal a su vendre sa musique tout comme Ismaïla Lô ou encore Coumba Gawlo. Ils ont tous pu le faire parce qu’ils sont bien organisés et bien entourés. Quand Alioune Mbaye Nder est arrivé sur la scène musicale sénégalaise, après l’éclatement du Lemzo Diamono, il faisait du mbalax pur et dur et il marchait à 200 %. Il jouait du lundi au dimanche et remplissait les boites de nuit. Il faisait le tour du monde. Il le pouvait à l’époque parce qu’il était organisé. Il travaillait avec Mamadou Konté d’Africa Fête. Cela veut dire que tout est problème d’organisation. Après, la génération qui a suivi n’a pas su s’organiser pour arriver à faire ce que You fait. Avec le mbalax pur et dur, on peut faire certaines choses. J’ai vu Thione Seck faire des festivals avec cette musique.
Viviane a fait de l’afrobeat et ça a marché, et tout le monde s’y est mis. Nos artistes ne sont-ils pas dans une logique de suivisme ?
Viviane a eu à faire beaucoup d’albums et a de l’expérience avant d’essayer de toucher à autre chose. Moi, je fais du jazz, du mbalax, je fais tout. C’est ça un musicien. Mais je sais que mon identité c’est la musique mbalax. Je connais ma base. Le suivisme, quelque part, peut être bien comme il peut causer énormément de soucis. L’inconscience et l’insouciance à bas âge peuvent vous mener vers la réussite à bas âge. Parce qu’on ne sait pas ce qu’on fait et on ne réfléchit pas. Quand on grandit et qu’on devient plus réfléchi, on commence à se dire non, je ne vais pas faire telle ou telle autre chose. Là, on commence à se créer des barrières. On peut suivre et ne pas délaisser sa base. Les artistes pouvaient bien suivre les pas de Youssou Ndour. Il a rempli la salle de Bercy. C’était plein à craquer et il y avait un beau monde dehors. Même un Français ne peut faire cela. Pourquoi alors voulons-nous aller chercher loin ?
Cela n’est-il pas dû au fait qu’il y ait plus d’artistes africains qui se produisent aujourd’hui au Sénégal et à qui on paie de très gros cachets ?
C’est ce que je dis. Les directeurs de programme des télévisions ne mettent que la musique nigériane. Le public ne connait que ces musiques-là. Il ne peut donc pas consommer une autre musique que celle-là. Et quand on déplace ces artistes, il faut leur payer entre 75 et 100 millions. Nous sommes un pays sous-développé ; il faut être très jaloux. Il faut enrichir nos artistes d’abord. Senghor faisait de la culture un pilier de développement.
Que faudrait-il faire pour faire revivre le mbalax ?
Nous sommes un pays très ouvert. Nous consommons de tout. Mais nous faisons énormément de place aux étrangers. Parce que quand vous allez au Nigeria, ils ne vous mettront pas Pape Diouf ou Wally en boucle. Il faut être intelligent. Les pays européens qui ont été intelligents ont des lois. Les radios et télés, sur 24 heures, n’ont pas le droit de dépasser un certain temps pour les musiques étrangères. Ce qui demande une certaine organisation. Si on n’est pas organisé, on va tomber dans le piège des Sénégalais, c’est-à-dire remplir les boites et de se dire que c’est l’afrobeat qui marche, donc je l’adopte. Il faut qu’on garde notre identité et qu’on fasse des recherches. Cela demande beaucoup d’organisation. Un musicien doit d’abord être un intellectuel.
N’allez pas croire qu’un intellectuel est celui qui a fait des études, mais c’est plutôt celui qui fait des recherches et qui essaie de comprendre comment fonctionne le monde. C’est tout simplement cela. Il faut une politique. Il y a la recherche musicale et celle technique. Cette dernière consiste à voir la recherche musicale, le producteur et l’Etat. Le gouvernement doit mettre sur place des infrastructures, des lois pour accompagner et aider les musiciens. Il peut aider à vendre cette musique. Senghor voyageait avec des artistes.
BIGUE BOB