‘’Si être engagé, c’est parler de politique, insulter le Président, alors je ne le suis pas’’
Artiste musicien, Habib Koité est l’une des plus belles voix maliennes. Invité par les organisateurs du festival Africa Fête, il a accordé une interview à EnQuête et à Sud Fm. Ici, il revient sur ses compositions musicales, son engagement panafricain et donne son appréciation sur la nouvelle génération de musiciens maliens.
Comment présenteriez-vous votre musique ?
Ma musique est une symbiose de la musique du terroir malien. Je suis malien et khassonké mais je ne joue pas que la musique de mon ethnie. Souvent, on ne joue que la musique du village d’où on vient parce qu’on y a nos origines et on y a appris aussi la musique. C’est sur ces terres qu’on a découvert des instruments de musique. Ainsi, on grandit avec des notions musicales et des sons dans la tête. Et quand on devient musicien, ce sont ces tonalités qu’on développe. Moi, j’ai grandi à Bamako où on retrouve différents groupes ethniques. Je suis allé à l’école et j’ai appris à jouer de la guitare classique. J’ai eu la chance d’avoir une ouverture sur les musiques européennes. A mes 20 ans, j’écoutais beaucoup de rock et de musique française, américaine, etc. On connaît aussi le mbalax depuis longtemps. Juste pour vous dire que mes expériences en tant qu’instrumentiste m’ont permis de jouer d’autres musiques. J’étais curieux aussi. Aujourd’hui, je mets à profit tout cela.
Que pensez-vous de la musique malienne ?
Il y a plusieurs musiques au Mali. Ces dernières m’intéressaient beaucoup parce qu’elles sont très variées. Il y en a beaucoup. Imaginez que si on doit le faire, on doit citer les groupes ethniques et pour chacun d’entre eux, il y a au moins 5 rythmes différents. Et au Mali, on a 35 ou 40 groupes ethniques. Quand tu vas chez les Malinkés par exemple, du Mali jusqu’en Guinée, il y a beaucoup de rythmes et mélodies. Il en est presque de même chez les Bambaras, idem chez les Peulhs et les Sonraï. Certaines musiques sont plus aimées que d’autres. II y a beaucoup de musiques et de percussions aussi chez nous les Khassonkés. On a aussi plusieurs mélodies. Maintenant pour les divers genres musicaux au Mali, il faut multiplier par 6 le nombre de groupes ethniques pour les avoir.
C’est dans cette influence que vous avez baigné ?
C’est dans cette ambiance que j’ai grandi en sus de l’expérience que j’ai eue à l’école de musique. Aussi, j’ai beaucoup joué dans les clubs. J’ai touché à presque tout. Cela m’a permis de découvrir des mélodies qui ne viennent pas de mon pays d’origine. Quand je prends une musique de Sonraï, je traduis mes textes dans leur langue. C’est une démarche respectueuse. Je ne veux pas faire n’importe quoi.
Est-ce que cette vitalité notée dans le champ culturel au cours de votre jeunesse existe toujours au Mali ?
Cela existe même si ça change. Les gens de ma génération qui sont encore là sont en train d’observer le changement qui s’opère sous nos yeux. C’est une chance de connaître ça. Le monde est devenu un petit village. La télé est très présente partout, c’est aussi un changement. Il y a les réseaux sociaux aussi. Ca a créé un certain brassage et on a l’impression que la diversité commence à s’éteindre. Cela ne me fait pas trop peur. La dynamique est toujours là malgré ce genre de globalisation. La jeune génération commence à faire de la musique malienne avec une belle énergie. Ce qui est bien, c’est qu’elle garde un côté identitaire. C’est l’ingrédient qui fait qu’on sache que ça, c’est de la musique malienne. On parle de rap, d’Afro trap, la musique people, etc. J’ai vu que le mbalax au Sénégal est toujours là. Tous les jeunes du Sénégal aiment et dansent cette musique. Il faut la garder. Il ne faut pas que la nouvelle génération se croie plus ouverte, plus intéressante, etc. parce que si vous laissez le ‘’mbalax’’, qui va le prendre et qu’allez-vous prendre ? Si vous prenez autre chose, elle ne reflétera pas votre identité.
Quel regard jetez-vous sur la nouvelle génération de musiciens maliens.
Nos jeunes musiciens sont très dynamiques. Il y a Sidiki avec mon neveu Mbouyé. Sidiki a fait quelque chose qui a beaucoup plu aux gens. Il a crée une base musicale que tout Malien reconnaît. Parce que pour la composition des mélodies, les sons de la kora sont très présents. Pour les textes, c’est autre chose. C’est le langage d’aujourd’hui qu’il utilise. Il est également une virtuose de la kora. Quand on le voit jouer seul avec son père, on ne peut plus le considérer comme un jeune qui est dans une musique de danse. On le voit autrement. Il est arrivé avec beaucoup de force. Mbouyé Koité qui voyage souvent avec lui fait de bonnes choses. Je peux en citer d’autres mais les deux qui sont au top, c’est eux.
En tant que doyen, comment soutenez-vous cette jeunesse ?
Ce que je fais pour eux, c’est d’abord de les observer. Je suis encore en activité. Je n’ai pas pris ma retraite. On se rencontre et je leur donne de petits conseils. Ce qui est un exercice assez délicat. Je leur dis souvent qu’il faut qu’ils pensent à faire des albums. Mais aussi, il ne faut qu’ils le fassent dans la précipitation. Un album se prépare. Peut-être qu’un jour, j’aurai un studio où seront enregistrés de jeunes musiciens. Peut-être qu’il y aura un festival qui leur servira de tribune pour se faire connaître. Pour l’instant, j’ai l’espace ‘’Maya’’ qui est aussi un hôtel mais où jouent régulièrement des musiciens. Les jeudis, les humoristes y jouent. Ils sont actuellement très en vogue au Mali. Les vendredis samedis et dimanches, place aux musiciens.
Vous êtes actuellement au Sénégal mais vous tournez plus aux Usa, pourquoi ce choix ?
Je ne choisis pas les endroits où je vais pour jouer. Je ne décide jamais par moi-même. Je ne me dis pas qu’il me faut aller jouer à New-York par exemple. J’ai un producteur, un manager qui s’occupent de cela. Il y a un processus qui a fait que je suis connu aujourd’hui. Et les gens demandent à me voir jouer, ou mon producteur souhaite me voir sur certaines scènes. Je ne vais pas qu’aux Usa. Je voyage beaucoup en Afrique, en Europe, en Australie, etc.
Vous définirez-vous comme un artiste engagé ?
Je ne sais pas ce que veut dire engagé vraiment. Il y a des gens qui pensent qu’être engagé, c’est parler de politique, insulter le Président, etc. Si c’est cela être engagé, alors je ne le suis pas. Je suis engagé humainement. Je suis pour l’amélioration des conditions de vie des hommes. Je suis engagé s’il s’agit de se battre pour que la paix règne partout. Je suis engagé pour que les Africains se rencontrent et échangent entre eux, qu’ils créent des réseaux.
Vous trouvez que pour ces causes, il n’y a pas assez d’engagement ?
Il n’y en a pas assez. Depuis 20 ans, je fais le tour d’instituts français. Je n’ai pas encore fait le tour d’instituts sénégalais, ivoiriens ou maliens. La France a créé plusieurs maisons dans différents pays d’Afrique qu’elle a baptisées institut français. Je ne veux pas que le Sénégal ait plusieurs maisons dans divers pays d’Afrique mais qu’il crée juste une maison au Sénégal qui sera son institut. Si on a au Mali la même chose et qu’un souci de rencontres d’artistes et de cultures existe, des échanges peuvent se faire entre ces deux maisons. Mais ce sont des échanges qui se feront si les structures sont là et si les dirigeants y pensent.
Dans nos pays, les problèmes nous submergent tellement qu’on néglige des domaines comme la culture. Alors que l’identité forte de l’Afrique, c’est sa culture. Autant on s’occupe du développement économique, autant on doit s’occuper de celui culturel. Il faut créer un pont entre les différentes maisons culturelles afin que les Africains se rencontrent et puissent se connaître. Nous les Africains, nous ne nous connaissons pas bien. C’est la France, l’Australie et autres qui nous intéressent. L’Afrique nous appartient et tout ce qui manque à ce continent, c’est nous-mêmes qui devons le faire et c’est nous qui pouvons le faire. Nous ne devons pas compter sur les autres. Il faut aller au-delà des barrières linguistiques.
BIGUE BOB