‘’Les Sénégalais ne connaissent pas ma valeur’’
Ses chansons, beaucoup les connaissent et les apprécient. Tout le monde s’accorde à dire qu’il a du talent. Pourtant, sa carrière peine à prendre un tournant décisif. Dans cet entretien, Pape Niang, qui se considère comme un très grand musicien, en évoque les raisons. Trouvé chez lui à Ouakam autour de sa petite famille, il respire la forme et la bonne humeur. La préparation de la célébration de ses 40 ans de musique en est pour beaucoup.
Qu’est-ce qui vous pousse à célébrer vos 40 ans de musique, sachant que c’est la première fois que vous organisez un tel évènement ?
Quarante années de musique, c’est important. C’est tout une vie, en fait. Aussi me-je suis rendu compte que les gens ne font pas beaucoup attention à moi. Ils ne connaissent pas ma valeur. Je me suis dit qu’il faut que je fête mes 40 ans de musique et ne pas attendre les autres.
A votre avis, pourquoi quarante ans après, votre carrière a du mal à prendre de l’envol ?
Cela s’explique facilement. Ici, on ne connaît pas la valeur d’un bon musicien. Au Sénégal, quand tu es un chanteur médiocre, tu as facilement du succès. Cet état des faits m’intrigue beaucoup. Je ne comprends pas comment on peut préférer un chanteur médiocre à un chanteur talentueux.
A part cela, quelles sont les grandes difficultés auxquelles vous avez dû faire face dans l’évolution de votre carrière ?
Les autorités qui sont ici ne m’assistent pas. C’est l’une de mes grandes difficultés. Pour moi, elles devraient reconnaître la place qui me revient et savoir que je suis un très grand musicien. Pour l’instant, je m’en sors bien et je ne me plains pas. Je joue régulièrement dans divers endroits. J’arrive encore à payer ma location. N’empêche, les autorités devraient quand même m’assister afin que je puisse au moins améliorer mes conditions de vie. C’est incroyable, mais je n’ai ni maison ni voiture. C’est honteux pour ce Sénégal où j’habite et pour un grand monsieur comme moi. Pour la célébration de mes 40 ans de musique, c’est un ami qui m’a prêté une voiture qui reste à ma disposition jusqu’après le 4 mai afin que je puisse me déplacer plus facilement et assurer une partie de l’organisation de cette soirée.
A ce jour, où en êtes-vous dans l’organisation ?
On est encore en plein dedans. Pour l’instant, on n’a pas encore beaucoup de soutiens. Il y a juste M. Diouck de la fondation Trade Fm qui m’a soutenu. Il m’a donné 1000 cartes qu’on va vendre pour l’entrée. Le directeur des Arts (ndlr Abdoulaye Koundoul) a aussi apporté son soutien financier hier. J’en suis très content, sincèrement. Le directeur de Sorano (Sahite Sarr Samb) m’aide beaucoup aussi, tout comme le ministre de la Culture qui a donné des directives pour que toutes ces personnes m’aident.
Que promettez-vous à votre public pour mercredi soir ?
On a prévu un ‘’big band’’ ainsi qu’une chorale. Bref, le public aura droit à un spectacle digne des très grands musiciens de la scène musicale mondiale. Je peux assurer à ceux qui viendront qu’ils verront des choses inédites et entendront aussi des choses jamais entendues. Ils auront droit à de la très bonne musique. Les gens me connaissent dans la ‘’soul music’’, mais cette fois-ci, ils me verront dans d’autres registres. Les amoureux du reggae, du ‘’mbalax’’, de la salsa, etc. seront tous servis et bien servis. En première partie, le public découvrira ma fille Dior. Elle aussi chante, mais est dans le registre religieux. Elle a une superbe voix. J’ai invité aussi des artistes comme Viviane, Souleymane Faye, Ismaïla Lô, Ablaye Mbaye, Suzanne Camara, Cheikh Lô, Aby Ndour, Zipkha, Alé Dieng, la chorale des Martyrs de l’Ouganda.
Vous avez commencé à faire de la musique au sein du ‘’Xalam 1’’, comment avez-vous intégré le groupe ?
J’ai un cousin qui s’appelle Ousseynou Mbaye. On était toujours ensemble. Un jour, il se promenait dans les Sicap et il a entendu un orchestre répéter quelque part. Il est venu me demander qu’on aille ensemble les écouter. Parce que le ‘’Xalam’’ jouait des sons que je reprenais régulièrement à la maison. Et quand j’y suis allé, je me suis rendu compte que ce qu’il disait était vrai. Le ‘’Xalam’’ jouait de belles mélodies comme des Américains. J’en étais impressionné. Quand je suis entré pour les voir, Cheikh Tidiane m’a demandé ce que je faisais sur les lieux. J’étais courageux à l’époque, je lui ai dit que je venais pour chanter avec eux. Mieux, j’ai dit à ‘’Grand Cheikh’’ que je pouvais être mieux que leurs chanteurs sur certains morceaux.
‘’Grand Mbaye Fall’’, un de leurs leads vocaux de l’époque, lui a dit de me donner ma chance, peut-être que ce que je disais pouvait être vrai. Ils m’ont donné le micro et m’ont accompagné musicalement sur une composition d’Otis Redding. Ils étaient émerveillés après ma prestation. Le groupe devait jouer le lendemain et m’a invité à venir. C’est ainsi que le public m’a découvert et depuis, je suis sur la scène musicale. Après le ‘’Xalam 1’’, j’ai rejoint le ‘’Xalam 2’’. Plus tard, j’ai rejoint un autre orchestre. Ce groupe était aussi bien. Il reprenait des titres de James Brown, Otis Redding, etc., mais n’avait pas de lead vocal. Je suis devenu leur chanteur.
Le ‘’Xalam’’ a été reformé sans vous. Est-ce vous qui aviez décidé de ne pas réintégrer le ‘’Xalam new look’’ ou est-ce parce que vous n’aviez pas été contacté ?
Je n’ai pas été contacté. Peut-être parce que j’ai monté mon propre groupe le ‘’Kurël Band’’. Seulement, si jamais ils ont besoin de mes services, ce ne sera pas un problème pour moi. Je peux avoir mon groupe et travailler avec le ‘’Xalam’’ en même temps. Ce n’est pas impossible.
Pendant une année, vous avez tourné en Espagne avec Ismaïla Lô, Prince Sakho…, avec ce que vous appeliez ‘’African show’’. Cette expérience a représenté quoi dans votre carrière ?
Le petit frère de Prince Cissokho, Malang Cissokho, est un ami proche. On a même partagé un même orchestre. Quand Prince a commencé à contacter les Ismaïlo et autres, Malang lui a dit qu’il connaissait un chanteur brillant qui pouvait faire partie de l’African Show. C’est ainsi que j’ai été choisi et j’ai fait une tournée d’un an avec eux. C’était une belle et riche expérience sincèrement.
Comment s’est passée votre rencontre avec Stevie Wonder ?
C’est au Sénégal que je l’ai vu. Mais avant qu’il ne vienne ici, il me connaissait déjà. A la sortie de mon premier album, il était l’un des premiers mélomanes à l’avoir écouté. Mon premier album, je l’ai fait avec ‘’Xalam’’. C’était ‘’Saxal garab’’. Quand il a écouté l’album, il était étonné. Il se demandait qui était ce chanteur. On lui a dit que c’était Pape Niang, le meilleur chanteur du Sénégal. Quand il est arrivé au Sénégal, c’est Antoine Dos Res qui l’interviewait à l’aéroport. Il lui a demandé où il pouvait me rencontrer et que s’il est venu au Sénégal, c’était uniquement pour rencontrer Doudou Ndiaye Rose et moi-même. Quand il m’a vu, il m’a dit : ‘’You’re a great man.’’ On a discuté longuement et il m’a fait part de son vœu de faire un duo avec moi. Il voulait qu’on reprenne ensemble ma chanson ‘’Akhirou zaman’’. Depuis, je suis à l’écoute pour la réalisation de ce duo.
Vous n’avez jamais pensé à vous installer aux Usa où vous pouvez avoir plus d’opportunités de production, vu vos préférences musicales ?
J’ai pensé à cela. L’année dernière, c’est moi qui ai animé la fête d’indépendance organisée par l’ambassade des Usa au Sénégal. Avant de me découvrir, ils ont fait le tour des clubs de Dakar à la recherche d’orchestres pouvant animer cette célébration, en vain. Quand ils m’ont vu jouer par hasard au Radisson, ils étaient ébahis. Ils ont même dit à mon manager que j’étais un ‘’prophète’’ de la musique. J’en ai ri, sachant que je ne suis pas encore arrivé à ce niveau quand même. Et cette année, l’ambassade m’a encore contacté pour que j’assure à nouveau le spectacle, lors de la fête de leur indépendance. Des Américains qui m’ont vu là-bas ont trouvé que je n’avais pas ma place ici, mais plutôt aux Usa.
‘’Handicapable’’ est un concept que vous défendez, cela veut dire quoi ?
Ce mot vient de mon manager Alpha. La première fois qu’on s’est vu, c’était au Casino. Il m’a vu chanter, jouer de la batterie et de l’harmonica. Il s’est exclamé et m’a surnommé ‘’Handicapable’’. Maintenant, on veut, à travers ce concept, lutter contre la mendicité chez les personnes handicapées. On voudrait avoir assez d’argent pour les assister et les mettre dans de bonnes conditions, afin qu’ils ne se sentent plus obligés de tendre la main. On a déjà organisé une session de formation dans ce sens. Avec le soutien de l’ONG Rabec, on a pu faire une série de formations pour des jeunes filles. Après, on a organisé un concert et une remise de diplômes à celles qui avaient suivi la formation. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on n’a pas de partenaires pour le suivi. On voudrait financer des personnes handicapées qui ont un métier afin qu’elles puissent se prendre en charge.
BIGUE BOB