‘’Le problème de l'émigration irrégulière ne peut être réglé partiellement’’

‘’Émigration irrégulière, le mal profond’’. C’est le titre du livre que vient de publier Daouda Gbaya, journaliste, ancien président de l’Association des journalistes en migration et sécurité.
Parlez-nous un peu plus de votre nouvel ouvrage…
Ce livre aborde plusieurs aspects de l’émigration irrégulière, notamment les causes, les conséquences, le trafic de migrants et ses enjeux, en passant en revue les textes législatifs liés à ce phénomène. Enfin, j’ai proposé des pistes de solution qui, on l'espère, pourront contribuer à résoudre le problème.
L’émigration irrégulière est un phénomène complexe. Il faut l’avouer. Cette complexité s’explique par la diversité des profils des candidats à l’émigration. On a tendance à croire que seule la pauvreté pousse les jeunes Sénégalais à tenter l’émigration irrégulière. Les causes sont plus profondes que cela. Au cours de mes recherches, j’ai compris qu’au-delà de la pauvreté, il y a le mimétisme, la curiosité, la pression de la société, etc. Car on retrouve, parmi les candidats, des chômeurs, des étudiants, des salariés, des commerçants qui ont décidé de tout vendre et de migrer.
Sous ce rapport, nous pouvons dire qu’il faut aborder les causes sociologiques avec une approche holistique. Cela veut dire prendre en charge la question de l’émigration dans sa globalité.
Or, pendant des années, nos autorités ont cru que c’est en finançant les jeunes uniquement qu’elles vont éradiquer le phénomène. Au contraire, beaucoup de jeunes utilisent l’argent public qui leur a été remis pour financer leur projet de voyage. Tout le monde n’a pas les qualités d’un entrepreneur. Il nous faut repenser notre manière de percevoir le monde, la société et notre rapport avec l’argent.
Dans ce livre, vous retrouverez le témoignage de migrants de retour qui ont partagé leurs expériences douloureuses lors de la traversée. Certains ont pu atteindre les côtes espagnoles, d’autres non. J’ai aussi recueilli le témoignage de trafiquants de migrants qui se sont repentis et qui nous ont fait des confidences renversantes et qui mettent en lumière la complexité du phénomène migratoire.
Pourquoi, en tant que journaliste, avez-vous jugé nécessaire d'écrire sur l'émigration irrégulière ?
J’ai écrit ce livre pour partager mon expérience avec le grand public par rapport à la lutte contre l’émigration irrégulière. J’ai dirigé l’Association des journalistes en migration et sécurité du Sénégal pendant cinq ans et il m’a semblé nécessaire de produire un livre qui va au-delà du sensationnel pour expliquer aux populations la réalité des du phénomène migratoire et ses différents enjeux. Car, il y a beaucoup d’idées reçues qu’il faut déconstruire avec des éléments factuels. C’est cela le rôle d’un journaliste à mon avis. Ce livre est une contribution à la volonté des autorités d’endiguer l’émigration irrégulière qui continue à endeuiller des familles.
Vous avez dit que les méthodes utilisées pour dissuader les jeunes ne sont pas les bonnes. Les flux migratoires continuent. À votre avis, que faut-il faire ?
Vous avez raison, jamais le flux migratoire n’a été aussi important en 2024. Figurez-vous que le nombre total de migrants arrivés dans le pays par voie maritime ou terrestre entre le 1er janvier et le 15 août a plus que doublé par rapport à la même période l’an dernier. Il passe de près de 10 000 à plus de 22 000, selon le ministère de l’Intérieur espagnol. Pour ne rien arranger, l'OIM (Organisation internationale pour la migration) annonce qu'au moins 8 565 sont morts le long des routes migratoires à travers le monde, en 2023. Soit une hausse de 20 % par rapport à 2022. Cela veut dire que l'émigration irrégulière est plus que d'actualité. Si le phénomène persiste, c'est parce que l'État n'arrive toujours pas à trouver la bonne formule. Le problème de l'émigration irrégulière ne peut être réglé partiellement, en réduisant la solution au financement de projets sans au préalable former les jeunes en gestion de projets.
À votre avis, existe-t-il des solutions ?
Bien sûr qu'il existe des solutions ! La première solution, à mon avis, c'est de faire les états généraux de la migration comme je l'ai proposé dans le livre. Cela permettra de réunir tous les acteurs de la migration pour réfléchir sur la question. L’État, tout seul, ne peut pas régler la question. Ce sera l'occasion de remettre sur la table le document sur la politique nationale migratoire du Sénégal élaboré en 2018 par les acteurs de la migration sous l'initiative de l'OIM. L'AJMS a eu l'opportunité de participer à la réflexion et a proposé un plan quinquennal dont la démarche est d'aller à la rencontre des populations cibles dans les zones de départ afin de sensibiliser sur les dangers du phénomène migratoire. Malheureusement, le document a fait les frais d'une querelle de préséance entre le ministère des Affaires étrangères et celui du Plan.
PAR CHEIKH THIAM