Publié le 21 Apr 2018 - 16:27
EVOLUTION DU RAP GALSEN

Dissonance entre la Old School et leurs héritiers

 

Pour la 4e séance du ‘’Jotaayu hip-hop’’ initié par l’Africulturban dans le cadre de la célébration des 30 ans du hip-hop galsen, des acteurs ont échangé autour de l’évolution de ce mouvement. Les débats concernaient les problèmes carcéraux et l’embourgeoisement dans lequel les jeunes mènent aujourd’hui ce mouvement. Une occasion pour les intervenants de revenir sur la manière de faire du rap des différentes générations. Les voix ont été discordantes.

 

Le mouvement hip-hop sénégalais a 30 ans cette année, avec trois générations de rappeurs. Chacune a essayé d’apporter sa contribution pour l’évolution de ce dernier. La première pense avoir rempli sa part en respectant des règles de base, du moins dans le rap. Pbs, Bmg44, Pee Froiss, Rap’Adio, etc., s’étaient donné pour vocation d’être la voix de ceux qui n’ont point de voix. C’est ainsi qu’ils parlaient, dans leurs textes, des dures situations sociales, politiques, économiques et même environnementales du pays. Ce qui n’est pas le cas de la New Generation. Leurs écrits et même leurs vidéos ne reflètent pas tout le temps le vécu quotidien de leurs semblables, dit-on. Du moins, disent les ‘’plus grands’’. Des points de vue différents qui creusent l’écart entre les deux générations. Et bonjour les conflits. L’occasion de le résoudre, de le comprendre a été donné à certains acteurs, lors du ‘’Jotayu hip-hop’’ de ce mois d’avril tenu au Goethe Institut. Cette rencontre est une initiative de l’association Africulturban qui fête les 30 ans du mouvement au Sénégal.

Membre fondateur du groupe Rap’Adio,  Cheikh Sène aka Keyti pense que cette manière de faire des jeunes est une conséquence de la conduite des Old School. Ils ont envie d’avoir des exemples de réussite. Seulement, pour Fou Malade, entre le rêve et la réalité, il y a un grand fossé. ‘’Il est très important de rêver. En mettant Y en a  marre en place, il s’est agi, au début, d’un rêve. Si l’artiste ne parvient pas à amener son interlocuteur à distinguer le rêve de la réalité, cet artiste a un problème. Et cela peut pousser les jeunes, voulant l’imiter, à vouloir louer  chaque samedi un appartement, par exemple. S’ils n’ont pas l’argent, ils peuvent voler l’or ou les économies de leurs parents. Pour eux, ce qu’on montre dans les clips, c’est ce qui se passe dans la vraie vie’’, regrette-t-il.

‘’Ce qu’ils font, c’est de la corruption audiovisuelle’’

Pour le Y en a marriste, les jeunes ont du talent, mais ils ne contribuent pas suffisamment à la marche de la société. Pour lui, il serait mieux que ces jeunes soient beaucoup plus objectifs et engagés dans leur musique. Ils pourraient parler des réalités sociales et habituelles des populations de leurs quartiers pour leur rendre service, comme ce fut le cas à Harlem, aux Usa, dans les années 1980. ‘’J’ai une fois dit à un rappeur, après avoir regardé son clip qu’il a fait avec Hakil et d’autres à la plage, que la réalité de nos quartiers doit être notre priorité. Ce rappeur habite Guinaw Rail et, là-bas, ils vivent les inondations. On peut aller dans une piscine ou un hôtel 5 étoiles pour tourner, mais il est encore plus utile de le faire avec les réalités de nos quartiers qui baignent dans les inondations. Le souci d’un artiste devrait être comment travailler sur les maux de la société pour voir comment y remédier. C’est ça notre rôle. L’artiste ne doit pas avoir honte de montrer son existence’’, dénonce Malal Talla. 

Comme d’habitude, Fou Malade qui ne sait pas faire dans la langue de bois, n’est pas allé chercher loin un exemple pour montrer qu’il y a un ‘’watergang’’ entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils veulent montrer. ‘’Toutes mes excuses, mais Ngaka Blind est en prison parce qu’il voulait montrer des liasses de billets de banque dans son clip. Et vous avez vu dans quelle situation compromettante ça l’a mené. Il n’y a pas de lien entre ce qu’ils sont et ce qu’ils montrent réellement. Il y a un fossé. Ce qu’ils font, c’est de la corruption audiovisuelle’’.

Le membre fondateur du groupe Bmg 44, Matador, s’est voulu sarcastique, mais très lucide dans son analyse. D’après lui, il faut dormir pour pouvoir  rêver. ‘’Cette nouvelle génération est en train de jouer  le jeu du système et le rap est un antisystème. Ils veulent faire disparaitre ce qu’on a semé pendant 30 ans. Il faut être conscient de cela. Ils ont laissé de côté ce qu’on faisait et, malheureusement, tout comme nous, ils sont toujours dans la galère. Il faut qu’ils sachent qu’avec le rap, ils n’auront jamais de l’argent, parce qu’on est dans un pays pauvre’’, a-t-il tranché sur un ton sec.

Malal Talla semble le conforter dans ses propos. Pour lui, ils ont toujours été mal vus, mais ils sont restés dans leur logique pour faire vivre leur rap. ‘’La génération de Matador a vécu avec des stéréotypes de gangsters, de fumeurs de chanvre indien. Nous avons vécu et continuons de la vivre. Nous avons été vus comme des agresseurs. Je l’assume, parce que je viens de ce milieu  (banlieue) et c’est important. C’est mon instrument de travail’’, argue-t-il. D’où d’ailleurs ses nombreuses interventions dans le milieu carcéral. Il aide beaucoup les détenus et les repris de justice.

‘’Il faut un embourgeoisement  du rap galsen’’

Il n’y avait pas à cette tribune que la Old et la Middle School. Il y avait un représentant de la New Generation dont les autres semblaient faire le procès. Ibrahima Ndiaye, plus connu sous le nom de scène Hakill, estime que l’ère dont parlent Mala Talla et Matador est bien dépassée. ‘’On aspire à aller loin. J’ai toujours envie de donner plus à mon public et à toutes les personnes qui me suivent. Il faut forcément des dépenses ou des contacts pour atteindre un plus large public’’, a-t-il défendu. Pour Kalz Ca Rapid, l’essentiel est de faire de la musique et de toucher leur public à travers ce qu’ils servent.  ‘’On nous a fait plein de remarques, mais est-ce que cela nous empêche de faire de la bonne musique ? Les gens pensent que tant que tu ne vis pas une chose, tu ne peux pas la raconter. Ce qui n’est pas exact’’, croit savoir ce jeune qui a grandi aux Sicap.

Quoi qu’il en soit, cette manière de faire handicape certains. ‘’Si on veut passer sur les chaines de télévision internationales, il faut des moyens, car la majeure partie des clips qu’on y passe a été enregistrée dans des hôtels. J’ai dit aux jeunes qui sont dans la banlieue que cette nouvelle façon de faire de certains rappeurs vous met out. Car vous n’aurez jamais les moyens d’avoir les vidéos pareilles et aujourd’hui la musique ne s’écoute plus, ça se regarde’’, regrette-t-il.

Le jeune rappeur de Grand-Yoff, Hakill, revient à la charge. ‘’L’image que nous voulons projeter, ce n’est plus celle que projetaient nos grands frères. Leur mission a été de faire connaitre à la population le rap, ses manières... Il leur fallait donc s’habiller hip-hop, en tee-shirt Xxl. Notre génération a dépassé ce stade. Nous ne sommes pas là pour montrer qu’on peut faire  autrement le rap’’, a-t-il-dit.

Des propos que ne semble pas partager une partie de l’arrière-garde. De l’avis de Matador, si on abandonne cette manière de s’habiller, on n’a plus cette culture hip-hop à 100 %. ‘’On portait du Xxl et on s’habillait bien. Ce qu’on portait était tellement cher et c’était hip-hop. Ce qui est important, c’est que c’était une culture ; quand on te voit, on sent que tu es un rappeur.  Ce que je déteste est qu’une personne s’habille en ‘baye fall’ et se réclame hip-hop’’, s’est-il emporté.

Mais Keyti n’est pas d’accord avec cette conception. Le hip-hop, pour lui, c’est des valeurs, pas l’habillement.  ‘’Si être hip-hop c’est simplement s’habiller hip-hop, je ne veux pas être hip-hop. Je préfère mille fois quelqu’un qui s’habille en ‘ndiakhasse’ (Ndlr : patchwork), qui porte des dreadlocks et qui, en apparence, est un ‘baye fall’, mais qui a l’esprit hip-hop, à quelqu’un qui porte un ‘’baggy’’ et qui est un ‘’fake’’. Le hip-hop, c’est plus que de l’habillement. Nous sommes une culture, un mouvement. Nous avons besoin d’avoir nos codes, que ce soient religieux, esthétiques, ils sont superficiels. Les codes ne font pas l’essence d’une culture, encore moins de nos mouvements’’, a-t-il avancé.

Toutefois, cette nouvelle génération se glorifie de ne pas connaitre la vie carcérale. Mais se dit prête à accompagner leurs ‘’frères’’ dans le combat qu’ils font dans ce sens, car ils ne sont pas là que pour faire la fête.

HABIBATOU WAGNE

Section: 
EXPO "TRAITS ET LETTRES" AU CARRÉ CULTUREL : Le pouvoir de l'art dans l'éducation et la transformation sociale
AVANT-PREMIÈRE « AMOONAFI » DE BARA DIOKHANE : L'art, l'histoire et le droit au service de la mémoire
EXPOSITION "SYMBOLES DE LA VIE : AU-DELÀ DU REGARD" : Réflexions sur la condition humaine
LE SYNPICS ET CONI IA LANCENT UNE FORMATION : Vers une révolution technologique du secteur médiatique
LIBERTÉ DE PRESSE ET DROIT À L’INFORMATION : RSF appelle les députés à instaurer quatre réformes
BIENNALE OFF : L'Orchestre national raconté à Douta Seck
EXPOSITION FALIA La Femme dans toutes ses facettes
MUSIQUE À L’IMAGE : Plusieurs jeunes formés au Sénégal
CÉLÉBRATION 50 ANS DE CARRIÈRE : L’Orchestra Baobab enflamme l’Institut français de Dakar
15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Seulement deux prix remportés par le Sénégal
BIENNALE DE DAKAR : Un éveil artistique, selon Bassirou Diomaye Faye
CÉRÉMONIE D'OUVERTURE DE LA 15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Dak’Art pour un voyage culturel
EXPOSITION ‘’FAIRE LIEU’’ À DAKAR : Cinq lieux africains comme espaces de transformation
BIENNALE DE DAKAR   - EXPO ‘’DEVOIR DE MÉMOIRE’’ : Un modèle d’engagement culturel
Goncourt 2024
PRÉSENTATION TAARU SÉNÉGAL : La première Symphonie d'Amadeus
PARTICIPATION DES USA À LA BIENNALE DE DAKAR : Mettre en lumière l’influence de la culture africaine sur l'art américain
MARIAM SELLY KANE - JOURNALISTE : Une voix pour les femmes et les enfants
MBOUR - MONITORING SUR L'ÉMIGRATION CLANDESTINE : La Commission nationale des Droits de l'homme à la recherche de solutions
PROJECTION DU FILM ‘’FÀTTE XAJU FI’’ : Un appel à la mémoire pour la bonne gouvernance