Les maux du cinéma sénégalais contés
Il était arrivé un moment au cours duquel l’on se demandait où étaient nos cinéastes ; qu’en était-il du cinéma sénégalais ? Pourquoi on ne produisait presque plus ? N’était-on pas en train de laisser mourir cet art ? Pour ‘’crier et décrier’’ cette léthargie dans laquelle était tombé le septième art, le réalisateur sénégalais Mamadou Ndiaye a fait un film documentaire intitulé ‘’Crépuscule’’.
Crépuscule. C’est l’heure à laquelle le ciel s’assombrit. Que le jour cède la place à la nuit. On semble être dans la grisaille. Et c’est dans cette atmosphère qu’était le cinéma sénégalais si l’on se fie au documentaire de Mamadou Ndiaye intitulé ‘’Crépuscule’’.
Le film était l’objet des ‘’débats de minuit’’ de lundi passé. Une programmation unique du genre du festival de cinéma africain de Khouribga. Dans le film sont interviewés différentes générations de réalisateurs sénégalais, allant d’Yves Badara Diagne à Ben Diogoye Bèye en passant par Abdou Aziz Cissé et Ismaïla Thiam. Dès les premières images, l’auteur du document campe déjà son sujet. ‘’Le cinéma est malade’’, ‘’le cinéma, s’il n’est pas malade aussi, va mal’’, ‘’le cinéma est plus que malade, il est moribond’’, ‘’le cinéma va très mal’’, ‘’le cinéma sénégalais n’est pas mort, il est dans le coma’’, etc.
Ceci est la quintessence des premières réactions diffusées. Partant de cette ‘’vérité’’, les intervenants commencent à expliquer ce qui est à l’origine du mal noté, partant de l’époque funeste avec le premier film de Paulin Soumano Vieira ‘’Afrique sur Seine’’, sans omettre ‘’Borom sarète’’ de Sembène. Ce dernier a permis de lancer sur le plan international le septième art sénégalais. Par conséquent, les interviewés ont tenu à parler de l’historique et de l’évolution de ce cinéma pour montrer comment la crise s’est installée.
Et comme le dit le journaliste et président de la fédération africaine des critiques de cinéma (FACC), ‘’les années 1960 et 1970 constituent l’époque florissante du cinéma sénégalais’’. Mais avec la mise en place de l’association des cinéastes sénégalais associés (CINESEAS), une politique de soutien au cinéma prend forme avec la nationalisation des salles de cinéma, la création de la société sénégalaise d’importation, de distribution et d’exploitation cinématographique (SIDEC) et plus tard, de la société nationale de cinématographie (SNC) ainsi que du fonds de soutien à l’industrie cinématographique. Mais l’on n’a pas su pérenniser les acquis. Certains, dans le film, imputent la faute à ‘’une mauvaise politique de production’’, d’autres, au fait qu’on n’ait pas mis les hommes aux places qu’il faut. Il y a donc eu un problème de management à bien des niveaux.
A cela s’ajoute la disparition des salles de cinéma, lesquelles devraient permettre d’avoir un cadre approprié de promotion et d’épanouissement du septième art. Dans le film, Mamadou Ndiaye montre différents endroits de Dakar où se trouvaient des écrans et où aujourd’hui sont implantés des centres commerciaux. Le Sénégal en était arrivé à un point où il n’y avait presque plus de cinéma à cause de l’absence de salles et de production. Conséquence : les étudiants de l’université Cheikh Anta Diop interrogés dans le film ne connaissent que Sembène et, à la limite, Djibril Diop Mambéty.
Au sortir de ce film, le critique de cinéma Aït Youssef a le sentiment que faire ‘’un film africain, c’est un miracle comme la pluie dans le désert’’, eu égard à toutes les difficultés qui y sont évoquées. Malgré tout, les acteurs ne lâchent pas. Ce qui a permis la dotation du fonds de promotion à l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA) d’un milliard de F CFA, après une multitude de promesses non tenues. Présent à la 18ème édition du festival de cinéma africain de Khouribga où ce film est montré et débattu, le directeur national de la cinématographie du Sénégal Hugues Diaz a tenu à noter les avancées. ‘’On a vécu des problèmes. Mais c’étaient des maux nécessaires pour l’évolution du cinéma. Ça nous a permis de nous poser des questions.
Et aujourd’hui, il y a une évolution significative’’, indique-t-il. A titre d’exemple, il évoque le cadre juridique réglementaire. Aujourd’hui, ‘’il y a une application des textes. Sur les 5 décrets, les 4 sont appliqués actuellement. Il ne manque que la billetterie’’, précise-t-il. Ce qui lui permet de dire qu’il y a ‘’une volonté et un engagement politique affirmés’’. Mieux, le cinéma a été choisi comme secteur d’émergence dans le PSE. Aussi l’Etat, même s’il n’a pas créé de nouvelles salles de cinéma, a aidé à la rénovation et à l’équipement des salles existantes tel que dit par le directeur de la DCI. Et des espaces dédiés au cinéma vont être créés dans les quatorze centres régionaux du Sénégal.
Deux salles de cinéma sont prévues au Musée des civilisations noires qui va être inauguré en décembre. Tout cela pour dire que ‘’des efforts sont faits’’. Par conséquent, si Mamadou Ndiaye a diagnostiqué avec ses invités les maux du cinéma sénégalais, une thérapie est en train d’être trouvée pour soigner la maladie décelée. C’est ce qui a fait dire au professeur et critique de cinéma Maguèye Kassé : ‘’Le cinéma sénégalais est malade de son cadre institutionnel. Le mérite de ce film qui remplit tous les attendus du genre, c’est que c’est un film qui nous propose une mémoire.’’
BIGUE BOB (ENVOYEE SPECIALE)