Publié le 9 Jul 2025 - 12:22
BABA AIDARA, JOURNALISTE

‘’Wade avait obtenu le premier Compact, Macky le second, Diomaye…’’

 

Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, est, depuis hier, aux États-Unis pour participer, avec quatre de ses homologues africains, à un mini-sommet initié par Donald Trump. Journaliste sénégalais basé aux États-Unis depuis des années, Baba Aïdara décrypte, pour ‘’EnQuête’’, les contours de ce rendez-vous diplomatique très stratégique.

 

Quel regard portez-vous sur ce mini-sommet organisé avec seulement cinq chefs d’État africains, dont Diomaye Faye ?

Ce "mini-sommet" est une manœuvre diplomatique ciblée, non un dialogue africain. Donald Trump choisit cinq pays pour leur utilité stratégique – accès à l’Atlantique, ressources critiques, stabilité relative. Il ne parle pas à l’Afrique, il parle à des États utiles à sa logique d’influence. C’est une approche purement transactionnelle, marquée par une logique de court terme, sans égard pour les dynamiques collectives africaines.

Pourquoi ce sommet informel précède-t-il un sommet plus large en septembre ?

C’est un coup d’avance diplomatique. En recevant quelques chefs d’État avant le sommet multilatéral, Trump fixe son narratif : celui d’une Afrique atlantique, utile, stratégique et surtout accessible. Il prépare ses alliances, sélectionne ses relais et court-circuite la montée en puissance de la Chine, de la Russie et de la Turquie sur le continent.

En somme, il rebat les cartes avant la partie.

Que symbolise l’invitation de Diomaye Faye ?

L’invitation du président sénégalais incarne une double reconnaissance : celle d’un pays historiquement stable, allié ancien de Washington et celle d’un nouveau leadership africain issu des urnes, populaire et porteur de ruptures.

Mais derrière cette reconnaissance se cache une mise à l’épreuve : les États-Unis veulent voir si cette souveraineté affichée est négociable ou résistante.

Que doit défendre le Sénégal pour éviter une soumission diplomatique ?

Le Sénégal doit affirmer sa souveraineté, maintenir un équilibre de ses partenariats, refuser les engagements opaques et défendre une coopération fondée sur la transparence et l’intérêt national. Ce voyage ne doit pas être un ralliement, mais une affirmation souveraine dans un monde multipolaire.

Quel est l’intérêt stratégique des États-Unis sur la façade atlantique africaine ?

Cette région est devenue un carrefour géopolitique majeur. Elle combine ressources naturelles (gaz, pétrole, minerais), routes maritimes essentielles et proximité logistique.

Pour les États-Unis, contrôler cette façade, c’est sécuriser leur approvisionnement, endiguer les flux migratoires et prévenir l’implantation de puissances rivales. C’est une ceinture géopolitique entre économie, sécurité et rivalités d’influence.

Peut-on parler d’un “partenariat atlantique” revisité ? Et quel lien avec la lutte contre la Chine, la Russie… et le narcotrafic ?

Trump réinvente un "partenariat atlantique" à sa manière : sécuritaire, asymétrique, unilatéral. Il vise à endiguer l’expansion de la Chine (ports, infrastructures, dettes) et à neutraliser l’influence russe sur des régimes instables.

Mais un autre enjeu sécuritaire est désormais central : le narcotrafic international. Les cartels sud-américains, notamment colombiens, utilisent de plus en plus les eaux internationales de l’Atlantique africain pour contourner les routes classiques. Les archipels bissau-guinéens, avec leurs centaines d’îlots mal contrôlés, sont devenus des relais discrets pour les cargaisons de cocaïne à destination de l’Europe.

Ces flux illicites alimentent une économie parallèle violente, affaiblissent les institutions et renforcent les réseaux criminels. D’où l’importance, pour les États-Unis, d’y déployer une présence militaire renforcée, d’établir des bases (comme au Sénégal) et de négocier des accords sécuritaires avec des États jugés fiables.

Ce partenariat n’est donc pas une alliance, mais un dispositif de verrouillage géopolitique contre les menaces transnationales et les puissances rivales.

 Le sommet est-il un simple show politique ou une négociation réelle ?

Les deux. Trump capitalise sur cette rencontre pour son image intérieure, mais il en fait aussi un véritable espace de marchandage. Il teste les positions, jauge la fidélité et sélectionne ses relais. Ce n’est pas un dialogue équilibré, c’est une négociation sous pression où les États africains n’ont du poids que s’ils arrivent avec une ligne claire et collective.

Quels leviers de pression les États-Unis peuvent-ils exercer ?

Washington peut activer quatre leviers majeurs : l’aide financière (USAID, MCC), la coopération militaire (bases, drones, renseignement), le contrôle bancaire (sanctions, surveillance) et le Soft Power (bourses, médias, influence culturelle).

Ces instruments peuvent facilement devenir des outils de pression ou de chantage, notamment sur des pays dépendants de l’aide extérieure. Cela rend cruciale la nécessité, pour les États africains, de diversifier leurs partenariats et d’adopter une posture souveraine.

Que penser de la critique des chefs d’État africains vus comme des "laquais pressés d’aller à Washington" ?

Cette critique, même radicale, reflète un malaise profond. L’Afrique ne parle pas d’une seule voix. Ses dirigeants se rendent souvent à ces rencontres sans agenda commun, sans doctrine partagée et parfois sans exigences claires. Cela donne une image de faiblesse et alimente le soupçon de dépendance. Il est temps que l’Afrique construise une posture diplomatique concertée, forte et cohérente.

Ces dirigeants viennent-ils avec une vision collective ou une logique court-termiste ?

Aujourd’hui, la logique reste essentiellement bilatérale et fragmentée. Chaque État vient défendre ses intérêts immédiats – financement, sécurité, reconnaissance – sans articulation régionale. Cette absence de vision collective laisse la voie libre aux puissances étrangères pour négocier État par État, intérêt par intérêt, affaiblissant toute dynamique d’intégration stratégique.

Ce voyage est-il compatible avec le discours souverainiste de Diomaye Faye et Ousmane Sonko ?

Oui, à condition d’en maîtriser le sens et le contenu. Le souverainisme ne signifie pas l’isolement. Il s’agit de négocier en position d’égal, de refuser l’humiliation diplomatique et de rendre des comptes à son peuple. Si Diomaye Faye reste fidèle à ses principes, explique ses choix et montre que cette visite produit des résultats clairs et transparents, il renforcera au contraire la crédibilité du souverainisme africain sur la scène internationale.

Que doit faire Diomaye Faye pour que sa participation soit perçue comme stratégique et non comme une concession ?

Il doit d’abord comprendre que le Sénégal occupe une place stratégique exceptionnelle dans la diplomatie américaine en Afrique. Il est l’un des rares pays considérés comme un allié de confiance, au même titre que le Royaume-Uni en Europe, l’Arabie saoudite dans le Golfe ou la France dans l’Otan.

Cette relation ne date pas d’hier. Sous Abdoulaye Wade, le Sénégal a obtenu le premier Compact du Millennium Challenge Corporation (MCC), avec des investissements massifs en infrastructures.

Sous Macky Sall, un second Compact MCC a été signé, preuve d’un partenariat jugé fiable. Macky fut aussi le premier président africain reçu par Barack Obama, ce qui a consolidé les liens avec les institutions de Bretton Woods et renforcé l’attractivité du pays pour les bailleurs.

Aujourd’hui, le président Diomaye Faye hérite de ce capital diplomatique. Pour le valoriser sans le subir, il doit éviter les décisions précipitées ou imposées, inscrire chaque engagement dans une stratégie nationale claire, refuser les logiques de dépendance et, surtout, transformer cette rencontre en levier d’influence africaine, pas en caution pour une stratégie américaine.

S’il réussit ce pari, il s’imposera comme l’un des nouveaux architectes du positionnement africain dans le monde multipolaire qui se dessine.

Je dois souligner que cette rencontre précède le grand sommet USA-Afrique prévu en septembre 2025.

Amadou Camara Gueye

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