Chez les entraîneurs, des nerfs à manager
Pris dans l’engrenage d’un calendrier surchargé, le monde du football est au bord de l’explosion. Alors que la menace d’une grève des joueurs se répand doucement, les entraîneurs aussi commencent à monter au créneau, et pas que pour protéger leurs poulains.
Si ce n’est toujours pas assez aux yeux de la FIFA, trop, c’est trop pour les footballeurs. Depuis plusieurs semaines, ces derniers ouvrent peu à peu le débat sur le calendrier surchargé, à l’image d’Ibrahima Konaté, lors du rassemblement tricolore d’octobre : « C’est un sujet dont il faut parler, qu’il ne faut pas négliger. Il y a tellement de matchs. […] En Premier League, avec le Boxing Day, on n’a pas de vacances.
Il y a trop de matchs, ça nous dépasse. » Inquiet des répercussions de ce rythme effréné sur son corps et celui de ses confrères, le défenseur de Liverpool espérait un sursaut collectif : « Si demain tous les leaders dans le monde du football se décident à taper du poing sur la table… […] S’il y a un mouvement qui peut amener à une compréhension, je pense que les joueurs le suivront, car c’est dans notre intérêt à tous. »
Un mouvement qui devra alors impliquer les entraîneurs, eux aussi concernés par ce rythme insoutenable, explicitement pointé du doigt par une étude de l’université de Louvain, menée par le professeur Lode Godderis, présentée ce mercredi.
Klopp le lanceur d’alerte
Si l’opinion publique prend peu à peu conscience du danger qui pèse sur les artistes du ballon rond, le sort des entraîneurs n’intéressait pas grand monde jusque-là. Certains se souviendront des déclarations d’André Villas-Boas à ce propos, mais c’est l’annonce du départ de Jürgen Klopp de Liverpool qui a attiré l’attention sur le sujet. Fin janvier 2024, après presque neuf ans dans le Merseyside, le Normal One reconnaissait une usure psychologique, malgré les succès acquis : « J’aime absolument tout de ce club, j’aime tout de la ville, j’aime tout de nos supporters, j’aime l’équipe, j’aime le personnel. J’aime tout. […] Je suis à court d’énergie. Je le savais déjà depuis longtemps que je devrais l’annoncer à un moment donné. Je sais que je ne peux pas faire ce travail encore et encore et encore et encore. » Un aveu qui a trouvé de l’écho chez Pep Guardiola qui, quelques semaines plus tard, annonçait qu’il réfléchissait à prolonger son aventure à Manchester City, ce qu’il devrait finalement faire pour une année supplémentaire, selon le New York Times.
En France, quelques jours après l’énième sortie de retraite de Jean-Louis Gasset (ou de Claudio Ranieri en Italie), c’est Franck Haise qui a posé le sujet sur la table. Dans un entretien à L’Équipe, le coach de l’OGC Nice est revenu sur son hiver 2023 à Lens, lorsqu’il cumulait les rôles d’entraîneur et de manager général du club artésien, et qu’il a pensé à stopper sa carrière : « Il y avait très peu de moments de coupure et j’ai senti que la fatigue… Je sentais à un moment que mon énergie était moindre. […] Vous faites des nuits de plus en plus compliquées, vous sentez que vous n’avez pas bien récupéré et, quand vous vous levez le matin, l’énergie que vous avez, ce n’est pas celle que vous avez habituellement. Parce que le réservoir, il était à moitié vide. […] Plus les années avancent, plus la charge extérieure, pas uniquement médiatique, augmente. Il valait mieux entraîner il y a vingt ans, malgré tout. Qu’est-ce que ce sera dans dix ans ? » Preuve que la charge d’entraîneur n’est pas épargnée par cette saturation.
« Beaucoup plus de symptômes dépressifs dans ce milieu »
Dans son étude médicale et juridique, commandée par la FIFPro, le professeur de médecine du travail Lode Godderis se concentre sur les joueurs. « Mais nos conclusions, en dehors de celles sur le physique des joueurs de foot, qui ont un taux d’incidence et de blessure 1 000 fois supérieur aux professions plus traditionnelles, sont valables également pour les entraîneurs », précise-t-il. À savoir : l’impact considérable du calendrier surchargé sur la santé mentale et la charge de travail dans le monde du football professionnel. « On observe beaucoup plus de symptômes dépressifs dans ce milieu, où le travail de nuit n’est pas reconnu, et sans droit à la déconnexion, avance le professeur. Le quotidien du football professionnel, ce n’est pas seulement les matchs et entraînements, mais aussi toute la pression médiatique, l’impact sur la vie privée, les longs voyages… C’est une charge énorme. »
Soumis à la nécessité de performance, les entraîneurs – comme les joueurs –, « qui sont des travailleurs, et qui doivent être protégés selon le droit du travail », rappelle le professeur, pâtissent concrètement de la surcharge du calendrier, et mettent leur santé en jeu. Si les initiatives individuelles existent, avec les préparateurs mentaux, les psychologues personnalisés, ou encore les cures ayurvédiques de Thomas Tuchel, le professeur Godderis appelle les clubs et instances internationales à agir au niveau global : « L’UEFA et la FIFA doivent repenser l’organisation et le calendrier. Il manque une réflexion collective pour protéger le physique et la santé mentale des acteurs du football. » D’après l’étude, présentée en détail ce mercredi, le cadre spécifique du football ne respecte pas les normes SST (santé et sécurité au travail). Selon le rapport, le principal problème reste la cadence infernale des matchs, conclut le professeur en médecine du travail, inquiet : « Notre position est claire : il faut revoir le calendrier. » Et donc le système dans sa globalité.
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