La rupture est-elle à venir?
Les relations entre la France et l'Afrique sont profondément dégradées. François Hollande aura bien du mal à redresser la barre. Comme les sondages le prévoyaient depuis plusieurs mois, François Hollande a été élu président de la république. A l’annonce du résultat ce dimanche 06 mai, beaucoup semblent s’être réjouis dans les grandes villes francophones d’Afrique subsaharienne. A Dakar, Abidjan ou Yaoundé, les commentateurs n’ont pas assisté à des scènes de liesse populaire. Mais tous ont noté une sorte de soulagement de la part de tous ceux qui s’étaient sentis agressés, vilipendés, humiliés par le discours de Dakar.
Ce 26 juillet 2007, moins de trois mois après son élection, Nicolas Sarkozy déclarait :
« […] Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin […] » Bien entendu, ce long discours ne peut pas se résumer pas à ces quelques phrases. Celles-ci sont néanmoins, celles qui nous ramenaient le plus aux images les plus éculées de l’époque coloniale. Mais beaucoup se souviennent aussi de la politique d’immigration choisie prônée par Nicolas Sarkozy, et de ses voyages mouvementés au Mali et au Bénin, ou certains manifestants n’ont pas hésité, à tort certes, de le taxer de racisme envers les migrants subsahariens. Et surtout, depuis bientôt une dizaine d’années, les conditions d’obtention des visas sont devenues exceptionnellement draconiennes. Les soupçons généralisés et indistincts sur les demandeurs de visas, considérés globalement comme de potentiels immigrés illégaux, sont devenus totalement insupportables. Dans de nombreuses capitales d’Afrique francophone, nous sommes passés de la gestion drastique des flux migratoires, à des refus quasi systématiques des nécessaires échanges entre Etats. Ainsi, de nombreux artistes et intellectuels n’étaient plus en mesure de participer à des festivals dans l’Hexagone. A l’instar de la Grande-Bretagne qui a édicté des critères d’obtention de visas parfois insurmontables pour les artistes étrangers, la France sous Nicolas Sarkozy s’était considérablement refermée. Pour autant, nul n’est dupe. Les Africains savent parfaitement que François Hollande sera d’abord le président de la République française, donc le garant des intérêts français, qui restent importants sur le continent. La France reste cependant la cinquième puissance mondiale et un acteur majeur de la politique africaine.
Plus de cellule africaine à l’Elysée?
Nicolas Sarkozy avait annoncé sinon la mort de la Françafrique, du moins une nette rupture avec les pratique du passé ; il n’en a rien été. Personne n’a oublié que c’est à la demande de feu le président Omar Bongo Ondimba, que le secrétaire d’Etat à la coopération Jean-Marie Bockel avait été débarqué par le président Sarkozy. L’ancien socialiste voulait en finir avec la Françafrique. Bien mal lui en a pris. Avant lui, en 1982, Jean-Pierre Cot, éphémère ministre de la coopération de François Mitterrand, avait subi un sort identique pour les mêmes raisons. Et plus récemment, en septembre 2011, l’avocat Robert Bourgi, qui se targuait alors d’être l’ami personnel de Nicolas Sarkozy, et qui était aussi l’un de ses conseillers pour l’Afrique, déclarait que Jacques Chirac, Dominique de Villepin et Jean-Marie Le Pen avaient reçu des fonds occultes de chefs d’Etat africains. Pour l’heure, nul ne sait ce que sera la politique africaine de François Hollande. Néanmoins, l’on sait déjà qu’il n’y aura pas de cellule africaine à l’Elysée. Si elle se confirmait, cette décision relèvera plus du symbole qu’autre chose. Même si parfois les symboles sont importants. Quoi qu’il en soit, un dossier brûlant attend déjà le président Hollande: c’est celui de la crise malienne. Outre le fait que le pays est divisé en deux depuis le coup d’Etat qui a renversé le régime d’Amadou Toumani Touré, désormais réfugié à Dakar, Bamako est toujours en proie à de violentes convulsions, signes d’une lutte acharnée pour le pouvoir.
Mais surtout, de nombreuses questions restent actuellement sans réponse. Pourquoi la déclaration d’indépendance des rebelles touareg du MNLA, le mouvement national de libération de l’Azawad, s’est-elle faite en France? Pourquoi certains responsables du MLNA ont-ils pu circuler aussi librement en France, alors même qu’ils venaient de participer à la partition d’un pays souverain, et ceci avec l’aide des terroristes d’AQMI? Pourquoi Cheick Modibo Diarra a-t-il été désigné à la tête du gouvernement de transition? Pourquoi Sadio Lamine Sow, ancien conseiller du président Compaoré, par ailleurs médiateur dans la crise malienne, a-t-il été nommé ministre des Affaires étrangères? Autre dossier important, celui concernant la Côte d’Ivoire. Quelques heures seulement après l’élection de François Hollande, l’ancien ministre de l’Intégration Kofi Yamgnane, déclarait que certains socialistes français souhaiteraient reéxaminer la question du transfert de l’ancien président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale, à La Haye, aux Pays-Bas. On ne livre pas celui que l’on a vaincu à un « ennemi commun » Faisant référence à une tradition millénaire dans certaines régions d’Afrique qui veut que l’on ne livre pas celui que l’on a vaincu à un « ennemi commun », Kofi Yamgnane regrette que le président Alassane Dramane Ouatarra n’ait pas privilégié la justice ivoirienne dans cette affaire. Pour l’ancien ministre de François Mitterrand, l’on ne peut pas présider aux destinées d’un pays contre une partie de sa population. Autrement dit, il eut été préférable qu’Alassane Ouatarra mette tout en œuvre pour réconcilier les Ivoiriens. Quitte à user de l’amnistie, qui comme l’on sait, ne contribue pas toujours à rendre justice et encore moins à faire émerger la vérité.
(SlateAfrique)