Publié le 2 Nov 2012 - 16:30
GOUVERNANCE JUDICIAIRE MONDIALE

L'Afrique cherche une voie moins humiliante

 

 

En prélude à la conférence d'Addis Abeba qui se tient du 3 au 4 décembre prochain, le Centre international d’études et de recherches stratégiques et prospectives de Dakar a organisé un atelier, ce mercredi à l’UCAD 2, pour plancher sur la place de l'Afrique dans la gouvernance judiciaire mondiale.

 

 

«Rendre à l’Afrique son âme, son corps, sa vie», c’est le souhait du Pr. Souleymane Gomis, qui s’insurge contre le mode de gouvernance judiciaire mondiale. Modérateur de l’atelier de formation tenu avant-hier à l’UCAD 2 sur le thème «l’Afrique et la gouvernance judiciaire mondiale», cet enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar dit ne pas comprendre que seuls «les fils et filles de l’Afrique sont extradés à plusieurs kilomètres de leur pays afin d’y être jugés». C’est le cas de l’ancien président du Liberia, Charles Taylor, de son homologue ivoirien Laurent Gbagbo, et de Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de libération du Congo (MLC). Tous ont été attraits devant la Cour pénale internationale de la Haye pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité».

 

Et pourtant, fait remarquer le journaliste Mame Less Camara, des chefs d’Etat de pays occidentaux, pour les mêmes accusations, ne sont nullement inquiétés. L’analyste politique cite l’exemple de l'ancien président américain Georges Walker Bush qui, après avoir attaqué l’Irak et l’Afghanistan suite aux attentats du 11 septembre 2001, et tué des milliers de civils dans ces deux pays, s’en est tiré à bon compte. «Il y a une sorte d’immunité qui semble protéger certains pays, ce qui fait que les Américains n’extradent pas leurs ressortissants», constate Mame Less Camara. Qui n’oublie pas le massacre de Sabra et Chatila (entre 300 et 582 morts), deux camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth, perpétré du 16 au 18 septembre 1982, et le génocide rwandais de 1994 (800 mille morts), deux tragédies pour lesquelles les responsabilités de l'Etat d'Israël et des autorités de la Belgique ont clairement été établies. Mais personne dans ces deux pays n’a jusque-là fait l’objet de poursuites judiciaires, malgré les plaintes et complaintes des Arabes et des Africains.

 

S’il juge utiles ces tribunaux internationaux, Mame Less Camara en appelle cependant à leur réforme. Pour l’anecdote, il dit se souvenir encore du procès en 1988 du jeune Sénégalais Pape Demba Fall, accusé du meurtre d’une Américaine. Alors reporter à la RTS, il se dit «surpris» de la présence, le jour de l’audience, de personnalités comme l’ambassadeur des Etats-Unis au Sénégal à l’époque, Lennon Walker, Ousmane Camara, ancien procureur près la Cour de justice, le représentant d’Associated press (AP), la plus grande agence de presse américaine au Sénégal. Toutefois, ces présences n’auront pas réussi à influencer le juge Moustapha Touré, par ailleurs ancien président de la Commission électorale nationale autonome(CENA). «Il avait estimé que l’enquête de la police était si scandaleuse qu’il ne pouvait pas juger ce dossier. Dans le procès-verbal, on a parlé d’étage ; or le lieu où s’est produit le meurtre n’était pas un étage», raconte Mame Less Camara. «Ce n’était pas un procès, mais un corps à corps entre un présumé coupable et ceux qui voulaient sa mort», conclut-il.

 

Pour son confrère Pape Samba Kane, cette situation est la conséquence du comportement de l’Afrique vis-à-vis du reste du monde. «Les Africains doivent arrêter les incantations et porter un regard critique sur eux-mêmes», dit l’éditeur du journal ‘’Le Populaire‘’. Il propose la mise en place de «juridictions aptes à juger les Africains» plutôt que les extrader vers les tribunaux occidentaux dont «la procédure pose problème». Plus révolutionnaire, le sociologue Kaly Niang propose une «réforme en profondeur» de l’ONU, du Conseil de sécurité, de la CPI afin que l’Afrique puisse avoir voix au chapitre. «C’est illusoire», selon Souleymane Aw. «On ne peut pas prétendre à une indépendance politique alors qu’on n'a pas une indépendance économique», dit ce responsable de la Confédération des syndicats autonomes (CSA).

DAOUDA GBAYA

 

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