Publié le 11 Jan 2019 - 04:14
HIP-HOP SENEGALAIS ET ENGAGEMENT POLITIQUE

Le grand tournant

 

Depuis qu’ils ont commencé à dénoncer la manière de gérer la cité, rien ne semble changer. Alors, n’est-il pas juste temps, pour les rappeurs,  de franchir le Rubicon ? En passant d’observateurs à acteurs ? Eléments de réponse.

 

Le hip-hop sénégalais a eu 30 ans en 2018. Trente ans d’engagement sociopolitique. Trente ans de dénonciation, surtout dans le rap. Et comme Ada Knibal le dit dans son morceau ‘’Pour l’honneur’’, le rap a fait tomber deux régimes. Il est dit et accepté que les acteurs de ce mouvement au Sénégal ont participé à faire chuter Abdou Diouf.

L’on ne peut oublier la compilation initiée par ‘’’Mr Kane’’ à la fin des années 1990. ‘’Politichien’’ a participé, d’une manière ou d’une autre, au ‘’réveil’’ du peuple, poussant les jeunes à aller voter massivement contre Abdou Diouf en 2000.

 En 2012, nul ne peut nier l’apport des rappeurs réunis autour de Y en a marre dans le départ d’Abdoulaye Wade. Par conséquent, le rap a une certaine incidence sur le jeu politique. Seulement, des partisans du ‘’f… politic’’, les Old School, à la génération qui s’engage ou va au-delà des textes, du chemin a été fait. Seulement, depuis, grand-chose n’a pas changé. On accuse encore le système, les politiciens, l’Occident, etc. Ce qui pousse le rappeur Cheikh Sène aka Keyti à se demander s’il n’est pas temps que ses collègues passent à une autre étape.

La question a été posée hier, lors du Jotayu hip-hop reçu par le centre culturel allemand Goethe Institut. Pour faire simple, prenons l’exemple de Cheikh Bouh Coly alias Daddy Bibson. Contester, il l’a toujours fait, de ses débuts dans Rap’Adio à son passage dans Pee Froiss jusqu’à l’entame de sa carrière solo. A la dernière présidentielle, il a battu campagne aux côtés du leader du Parti socialiste Ousmane Tanor Dieng. Son militantisme, il l’a ainsi affiché et assumé. Pour la présidentielle de 2019, il s’aligne derrière Idy, parce que se sentant trahi par Tanor Dieng qui, dit-il, a emprisonné l’ancien maire de Dakar et ex-membre du Ps Khalifa Ababacar Sall, entre autres écueils soulevés. Au deuxième tour, il a battu campagne pour l’actuel président Macky Sall contre qui il se bat aujourd’hui.

 ‘’Quand je vois Macky Sall inviter Wally Seck au palais et laisser ici Daddy Bibson, je me dis qu’il n’est pas reconnaissant’’, a-t-il regretté hier. Ne se dit-il pas qu’Idy pourrait aussi le décevoir s’il accède au pouvoir ? Une éventualité qui se pose et qu’il ne peut nier. Pour éviter ces situations, il est peut-être temps que les rappeurs passent à une étape supérieure : s’engager en politique.  Ce serait, d’après Keyti, la suite logique de la lutte, car le contraire pour un mouvement comme Y en a marre casse le combat. Déjà qu’ailleurs, en Ouganda, un rappeur, Bobi Wine, est élu député et est même devenu le principal opposant du président Museveni. Il serait possible d’avoir cela au Sénégal qui a une plus longue tradition dans l’engagement social et politique. Et ces rappeurs qui se disent ou se définissent comme des artistes engagés ou, empruntons le nouveau mot fourre-tout ‘’activistes’’, se sentent assez légitimes ou crédibles, c’est selon, pour parler au nom du peuple. Pis, ils peuvent exiger des explications aux autorités, au nom du peuple. A ce titre, ne doivent-ils pas aller à une élection pour au moins être mieux pris en compte ou pouvoir changer ce système qui les dérange tant ? La question vaut son pesant d’or.

 La question de l’unité du mouvement hip-hop

Daddy B, lui, semble savoir,  du moins actuellement, ce qu’il veut. ‘’Moi, je veux devenir député et je le serai’’, prophétise le rappeur. Mais il ne faudra pas compter sur ses collègues. C’est pourquoi il s’est inséré dans un appareil politique bien huilé comme celui de Rewmi. ‘’Le problème du hip-hop sénégalais, c’est l’unité. Nous ne sommes pas unis. Les petits ne respectent pas les Old School. Et ces derniers n’ont pas d’égard pour eux’’, regrette-t-il.

 Pour matérialiser cela, Malal Tall, rappeur, et un autre des panélistes par ailleurs membres de Y en a marre ont pris l’exemple de leur mouvement contestataire. ‘’Aujourd’hui, des rappeurs ont rallié le parti de Sonko. Pourtant, ce que le leader de Pastef  dénonce, Y en a marre a été le premier à le faire. Ils ne sont pas venus pour des problèmes crypto-personnels. Certains l’ont fait sous prétexte que tel ou tel autre ne devait pas être mis en avant. Moi, je n’ai pas créé Y en a marre, mais j’ai su m’y faire une place’’, s’est désolé Fou Malade.

 Mass, tout nouveau ‘’sonkiste’’, ne partage pas son avis. ‘’Y en a marre est un cercle fermé. On a pris part à toutes vos manifestations. Je partage 90 % des positions de ce mouvement, mais les portes ne sont pas ouvertes’’, rétorque-t-il.

Quoi qu’il en soit, à entendre ceux qui étaient invités hier et qui font partie des artistes les plus engagés, des postes politiques pour les rappeurs, ce n’est pas encore demain que le Sénégal en aura. Ils ne semblent pas prêts pour cela, même si Daddy B affiche une certaine détermination.

Keyti : ‘’On ne peut pas être neutre. On est d’un bord ou d’un autre’’

En attendant, les rappeurs vont continuer à s’engager à leur manière. Et pour Keyti, il faudrait que chacun respecte le choix de l’autre. En effet, l’un des principaux problèmes chez les acteurs de ce mouvement, est qu’ils sont ‘’allergiques’’ aux soutiens du président en place. En 2007, quand feu Pacotille s’est affiché et a assumé son soutien à Abdoulaye Wade, le mouvement hip-hop l’a excommunié. Red Black a été victime du même traitement parce qu’estampillé proche de Macky Sall au début de son mandat. N’est-il pas temps de respecter les choix des uns et des autres pour des gens qui prônent la démocratie ? Cette attitude ne paie pas. Au contraire, elle rend frileux certains.

‘’Il faut qu’on arrête de mentir. On ne peut pas être neutre. On est d’un bord ou d’un autre. Soit on l’assume, soit on ne l’assume pas. Même Y en a marre, qui dit ne soutenir personne, soutient quelqu’un. Quand on lance une campagne dénommée ‘’Pareel’’ (Ndlr : sois prêt), c’est qu’on se prépare à affronter quelqu’un, pour quelqu’un’’, assure-t-il.

Poursuivant son propos, Keyti estime que  ceux qui ont des convictions politiques doivent les afficher. Aussi, il est d’avis qu’il faut de plus en plus aller vers cela. En espérant que Bideew Bu Bess, qui a écrit une chanson sur les réalisations du président Sall, n’en soit pas victime. D’ailleurs, un de ses membres, Baïdy Sall, a tenu hier à préciser que ce morceau n’était pas une commande. Lui et ses frères sont des Sénégalais qui ont vu les changements apportés par le régime en place et ont voulu le souligner dans un tube. Pas plus. Maintenant, ‘’quand on fait une œuvre, chacun est libre de l’interpréter à sa guise’’, concède-t-il. Encore qu’il est d’avis que la position politique d’un artiste ne devrait pas poser problème au XXIe siècle. Par conséquent, le public est assez mature pour faire la différence entre l’artiste et le citoyen. Même si Malal Talla se pose, légitimement d’ailleurs, la question de savoir si ‘’la citoyenneté doit être la locomotive du hip-hop ou si le hip-hop doit être la locomotive de la citoyenneté’’.

Qu’à cela ne tienne, il est temps que les plus téméraires reconnaissent que le hip-hop n’est quand même pas qu’engagement. Le divertissement est un fondement indéniable de ce mouvement, même si, pour le producteur Badou Kane, qui avait des ambitions présidentielles, avance qu’il est révolutionnaire. Comme l’a rappelé d’ailleurs Keyti, au début, le rap n’était pas engagé. Cela a commencé avec l’arrivée de Public Enemy.

Et selon  Malal Talla, chaque génération fait son hip-hop. L’on ne peut exiger des New School qu’ils critiquent ou dénoncent des décisions ou faits politiques. ‘’Je ne suis pas d’accord qu’on confine le hip-hop dans un registre. Le hip-hop n’est pas une religion, c’est un mélange de tout. Il est le reflet de la rue et la rue, c’est la drogue, les filles, le sexe, la prostitution, etc.’’, rappelle-t-il. Donc, on ne peut continuer à dire que tous les hip-hoppeurs doivent s’engager en politique. Ils peuvent suivre leur feeling.

Par ailleurs, la tribune d’hier a permis aux panélistes de donner leur avis sur la marche du pays. Pour Badou Kâne, Macky Sall est un pion sur l’échiquier. Il ne décide donc de rien, il est juste manipulé par l’Occident. Pour Daddy B qui ne mâche pas ses mots, ‘’il ne faut pas laisser le président sortant avoir un autre mandat. Il  n’a pas le droit de se présenter à cette élection. Il a brigué un mandat de 5 ans et de 2 ans à travers le référendum. Quand je pense à comment est géré ce pays, j’ai mal. On n’arrive pas à se défaire du diktat des Blancs. Il ne faut pas qu’on nous tympanise aujourd’hui avec Ter-Mer-Der, etc. Rien qu’avec la moitié de financement du Ter on pouvait revaloriser le Dakar-Bamako ferroviaire’’, défend Daddy B. Malal Talla est désabusé par les engagements nos respectés du président. Il en a rappelé pas mal dont le mandat de 5 ans et la réduction du nombre de ministres. Il décrit ‘’la manipulation de la justice, le chômage des jeunes, la transhumance, etc.’’. Il a quand même reconnu les efforts consentis dans la fourniture d’électricité. En somme, apprécie-t-il, ‘’si Macky était en classe d’examen, on dira qu’il n’a pas la moyenne et a échoué’’.

Pour la prochaine présidentielle, certains de ses artistes ont leur candidat. Se laissant aller, ils ont commencé à ‘’battre campagne’’. Daddy B a invité la salle à lire le programme de son mentor Idrissa Seck. Malal Talla n’a eu de cesse d’essayer de convaincre ses collègues rappeurs de rallier le mouvement Y en a marre. Badou Kâne, lui, est d’avis que quel que soit le bord où l’on se trouve, il est important de s’engager en politique. Baïdy Sall est presque du même avis. Pour lui, le problème va au-delà du système tant pointé du doigt. ‘’Le véritable problème est dans le comportement de tout un chacun au quotidien. Les Sénégalais ont des problèmes de discipline et bien d’autres tares. Il faut donc refaire les mentalités, rééduquer les gens pour espérer voir le Sénégal changer’’, plaide-t-il.

Conclusions de Malal Talla : ‘’Avec un président courageux qui prend des décisions fortes, qui fait les choses avec le peuple, une justice indépendante, les choses iront bien mieux.’’

BIGUE BOB

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