Le serment d’Hippocrate à l’épreuve de la justice des hommes
C'est un exercice d'équilibriste auquel s'est employé le médecin chef du service des urgences à l’hôpital de la paix de Ziguinchor. Un exercice périlleux consistant à maquiller une situation dramatique que certains qualifieraient aisément (sous réserve des résultats d’une enquête improbable) de non-assistance à une personne en péril quand d’autres en feraient juste un simple fait divers ou la faute à « Pas de chance ».
En ce moment de deuil, on peut imaginer la peine et surtout la souffrance des proches de la victime, face à cette interview déconcertante d’un médecin qui avait du mal à dissimuler sa gêne, comme en témoignent ses gestes anxieux.
Malgré ce destin tragique, notre Foi nous interpelle, car « condamner » une négligence professionnelle de ce médecin, reviendrait à remettre en cause notre Croyance et le verdict du Tout Puissant, donc se consoler au refrain classique du « Dogaal Yalla », une sorte de résignation ou l’acceptation fataliste des Sénégalais à leur propre sort. Or ne pas « condamner » un tel acte, c’est apporter une caution morale à des faits suffisamment graves, que ni la religion, encore moins la justice des hommes ne saurait disculper. Et il suffirait que ça arrive à un de nos proches pour qu’on réalise toute l’ampleur et la portée tragique du décès de ce jeune Tidiane.
Certes en bon croyant, il est de bon ton de prôner le pardon. Mais il faudrait juste rappeler qu’en bon croyant, on exhorte toujours d’aider son prochain… A ce titre, avant d’enfiler sa blouse blanche, ce médecin est avant tout un croyant, un citoyen, un voisin. Des paramètres qui comptent dans nos sociétés. Et comment puis-je plaider son pardon, si lui-même ne prend pas son courage à deux mains pour d’abord reconnaitre les faits, voire s’excuser.
A la place, c’est le Médecin-chef qui vole à son secours quand il s’est terré dans un silence assourdissant. Pourtant, nous avons tous connu des médecins plus courageux, qui même dans des moments les plus durs, ont eu à regarder dans les yeux, des proches désemparés, et confesser qu’ils ont tout fait pour sauver leur patient, mais le destin en a décidé autrement… Et très souvent, dans cette épreuve difficile, ce sont les proches qui réconfortent le médecin qui a perdu « son patient » en insistant sur son dévouement pour avoir tout tenter pour maintenir en vie le malade.
Mais pour ma part, il faut beaucoup de foi pour sauver ce soldat qui a pourtant opté pour son sommeil de confort au lieu de prendre en charge un patient qui décèdera sur son chemin du retour, sans avoir même fini de longer le mur de l’hôpital. Comme un destin, ce parcours finira à hauteur de la morgue, selon plusieurs témoignages. Sur cette lancée spirituelle, même s’il faut lui accorder le bénéfice du doute, mais cela ne doit pas empêcher de creuser davantage pour en avoir le cœur net sur la ligne de défense adoptée par ce docteur House tropical.
D'après le médecin « de la paix », la victime et son accompagnant (son frère) ont pris peur quand ils ont entendu parler d'une prise en charge d'un cas suspect de Covid19. On pourrait conclure de façon hâtive que ce patient aurait perdu la vie dans un instinct de survie face à la psychose du nouveau coronavirus. Mais comment justifier une peur quand on vient chercher un remède après une souffrance atroce, qui laisse à penser qu’il s’agit de douleurs cardiaques. Tout autre ligne de défense ne saurait expliquer le fait qu’un patient brave le couvre-feu pour se rendre à l’hôpital à 2H de la nuit.
Petite parenthèse sur le Covid 19, sauf erreur de ma part, la prise en charge des patients suspectés de Coronavirus, obéit à un protocole bien défini pour éviter tout risque de contamination (y compris pour le personnel soignant). Mais dans ce cas précis, tout porte à croire que la peur et le risque auraient chargé de camp. Et accorder du crédit à une telle hypothèse, s’apparenterait à un désaveu de tout le travail remarquable abattu par les professionnels de santé. Mais vu le professionnalisme de notre personnel sanitaire, je ne m’aventurerai pas à créer une brèche qui entretiendrait une psychose territoriale face à la pandémie.
Rappelons si besoin, pour être médecin, c’est au moins sept années d'études universitaires en faculté de médecine, puis prêter le serment d'Hippocrate, un engagement solennel sur les règles d’éthique devant guider le médecin dans l’accomplissement de son métier.
Pourtant, malgré cet engagement solennel, ce responsable médical en poste à Ziguinchor nous confesse que ce médecin aurait abandonné la victime (le terme de patient étant inapproprié dans ce cas précis) dans un destin tragique, uniquement sur la base d’une simple décision de détresse de son accompagnant, de revenir avec son frère, quelques heures plus tard pour être pris en charge. Inutile à cette étape de la réflexion, de se livrer à l’autopsie de la pendule horaire pour calculer le temps qui devait rester avant le lever du jour.
Les deux frères allaitent à nouveau braver le couvre-feu (en prenant le risque de passer devant le camp militaire), pour revenir quelques heures plus tard. Une telle version des faits, sonne à mes yeux comme un désaveu de ce noble métier de médecin et tout le contraire de l’image qu’on souhaiterait avoir des anges gardien de notre système de santé qui reste l’un des meilleurs de la sous-région. Nous devons refuser qu’une telle posture ne ternisse à l’image de marque de nos établissements hospitaliers et toute la reconnaissance que notre société porte aux vaillants personnels du secteur, surtout en cette période de pandémie de Covid-19.
Il serait donc facile de percevoir ce sentiment de colère qui peut nous envahir face à une dérive insoutenable d'un médecin, qui par son sommeil ou son inaction a, dans tous les cas, failli à sa mission. Un tel comportement ne fait pas également honneur à notre établissement hospitalier de Ziguinchor dont le nom bien pensé, nous renvoie à une valeur fondamentale et indispensable pour bâtir le droit de vivre ensemble. Et je confesserai avec force que notre hôpital de la paix mérite une meilleure image.
Peu importe, la suite judiciaire que prendra cet incident tragique, de toute évidence, j’ose penser que ce médecin aura la mort de Tidiane sur sa conscience. En attendant, nous osons espérer que la justice se saisira de cette affaire, tout en se remettant au Verdict d'Al Rahman.
Nos prières continueront d’accompagner notre frère Tidiane afin que son âme repose en Paix et que le Paradis soit sa dernière demeure.
Amine
ABDOULAYE DIALLO