Entre débauche, prostitution et misère
Pendant deux jours, notre reporter s'est faite passer pour une domestique en quête de travail, au rond point de Liberté 6, à Dakar. Durant 48 heures, elle a fait immersion dans ce monde bien particulier, assise (mais pas perdue) au milieu de jeunes filles, et souvent des dames, abonnées au calvaire, dépendantes d'intermédiaires et de ''clients'' sans scrupule et impitoyables. Elle a écouté, échangé, appris et retenu bien des éléments que EnQuête vous livre dans cette édition. Reportage au milieu de ces femmes que l'on dit pourtant indispensables à certains ménages...
Lundi matin (NDLR : le 3 décembre dernier), il est neuf heures et il fait un froid de canard au rond point Liberté 6 de Dakar. Des jeunes filles bravent ce froid, assises sous des arbres, dans l'attente d'un travail de domestique. Formant plusieurs groupes, sur des bancs de fortune, elles devisent calmement. Certaines sont très mal fagotées, foulard à la tête, pagne bien ou négligemment noué aux reins, sandales poussiéreuses aux pieds, tee-shirts bon marché arborés, elles jettent des regards de temps à autre sur les passants. D'autres filles sont, par contre, bien habillées, pantalons, hauts sur le corps, jolis tissages sur la tête et peau dépigmentée. La majorité de ces filles qui squattent le rond point Liberté 6 à la recherche d'un emploi, même intérimaire, est d'ethnie sérère. On y retrouve cependant des Diolas et quelques Wolofs. Les Sérères sont généralement originaires des régions de Fatick et Kaolack, tandis que les Diolas de Ziguinchor.
De 9h à 10 h, il n'y a pas beaucoup d'activités. Il faut attendre au-delà de 10h pour voir arriver les intermédiaires, ceux-là mêmes qui trouvent des emplois aux ''bonnes''. Ils sont devenus très nombreux au fil des années, les plus connus sont certainement le vieux Samaké et Tata Michelle. Mais depuis quelques temps, de jeunes hommes et femmes sont venus intégrer le cercle des intermédiaires. Et il y a de quoi, puisqu'ils gagnent, en moyenne, 2000 francs par domestique démarchée avec succès. Chaque intermédiaire dispose d'un groupe de filles et s'active pour lui trouver un boulot. Dès qu'une voiture s'arrête, les intermédiaires l'interceptent : ''Vous cherchez une bonne?'' Si la réponse est oui, les discussions sont entamées.
''Il couche avec toi avant...''
''Les intermédiaires ne se soucient pas de nos problèmes, l’essentiel, pour eux, c'est de trouver des bonnes à des personnes qui les sollicitent, ils encaissent leurs commissions et nous laissent à nous-mêmes. Il n'y a pas de suivi. Si tu es accusée de vol, ils s'en foutent, de même que si tu es violée. Si tu es victime d'injustice, ils ne font rien pour t'aider. Ils ne sont là que pour leurs intérêts et nous plongent souvent dans des pièges inextricables en nous trouvant des employeurs malhonnêtes'', raconte une des filles, répondant à une question portant sur le meilleur intermédiaire pour trouver un bon boulot. Elle se tait tout d'un coup, pensant sans doute en avoir trop dit à une ''étrangère'' du milieu.
Vers 11h, arrive un homme d'une arrogance sans mesure. Habillé d'un ensemble blouson de marque addidas noir, la trentaine, il est de teint clair et est un peu élancé. Dès son apparition, il est sollicité de toute part par les jeunes filles. Grand seigneur, pareil à un paon dans une basse-cour, il distribue des sourires mielleux par-ci par-là. Une des jeunes filles du groupe dans lequel nous sommes assises fait un geste de dépit, dès qu'il aperçoit le jeune homme, puis lâche: ''Regardez le salaud, il est là et fait son petit malin''. À la question de savoir pourquoi cette critique sévère, la demoiselle répond: ''Parce que tout simplement il profite de la naïveté de certaines filles qui débarquent fraîchement du village. En plus, c'est lui qui a l'habitude de dégoter les emplois les mieux payés ici, c'est-à-dire les places à 50 000 francs Cfa, mais avant qu'il ne te serve, il faut d'abord passer sur son lit, et il l'a fait à beaucoup de jeunes filles naïves. Moi, je n'accepterai jamais une telle humiliation, vendre ma dignité pour 50 000 francs, jamais, c'est pour cela qu'il ne me parle pas et fait tout pour que je n'aie pas de boulot. Méfiez-vous de lui...''
Averties, nous sommes allées à la rencontre du jeune homme en question. Celui-ci nous toise de haut en bas. Après les salutations d'usage, l'intermédiaire nous demande ce que l'on veut. ''Du travail'', avons-nous répondu. ''Vous avez votre carte d'identité avec vous, j'espère?''. ''Pourquoi faire?'', lui avons-nous relancé. La réplique du bonhomme tombe sèche et acerbe: ''Ici, c'est moi le chef, donc c'est moi qui pose les questions.'' Nous nous empressons d'acquiescer, ajoutant avoir oublié la pièce d'identité à la maison. Le ''chef'' enchaîne ensuite avec un interrogatoire aux allures d'entretien d'embauche: ''Vous êtes sérères ou diolas? Est-ce que vous savez bien cuisiner ?'' A-t-il été convaincu par nos réponse? Toujours est-il que le ''directeur des ressources humaines'' nous renvoie dans son salon de fortune, composé de pneus usés et de charrettes abandonnées, où beaucoup de filles attendent en discutant, espérant décrocher un boulot avant le coucher du soleil. Et des confidences, il ressort que le jeune homme a, chaque jour, une ''favorite qu'il chouchoute et à qui il paie le déjeuner''.
''Cette femme ne m'inspire pas confiance''
Vers midi, une femme, habillée d'un ensemble boubou traditionnel vert, foulard noué sur la tête et cure-dents à la bouche, se présente. Elle est à la recherche d'une domestique. Après discussions avec une des intermédiaires, la dame est renvoyée à débattre avec une fille qu'on lui a désignée dans un des groupes. La femme fait une offre de 30.000 FCfa pour le nettoyage de son appartement et le linge de ses enfants. Après d'âpres négociations, la jeune fille accepte le job et se décide à y aller aussitôt avec elle. Commentaires d'un de ses collègues: ''Mais elle est folle, comment peut-elle accepter 30.000 francs, en plus elle doit faire le linge, cela se voit qu'elle n'est pas expérimentée.''
Une autre fille renchérit: ''Cette femme, avec son regard bizarre, ne m'inspire pas confiance, elle n'a pas l'air nette. Ce n'est pas parce que je suis là à attendre depuis plus d'une semaine que je vais accepter n'importe quoi. En plus, elle veut quelqu’un qui ne passe pas la nuit et qui travaille les dimanches. Je ne pourrais pas le faire puisque j'habite Diacksao (un quartier de la banlieue de Dakar), je ne peux pas rentrer chaque jour là-bas, et c'est sûr qu'elle ne me donnera pas de frais de transport. En plus, le dimanche est sacré, c'est le seul jour où je peux me reposer, tout travail mérite repos''. Puis la conversation dévie sur d'autres sujets anodins.
A suivre...
Khady FAYE
AVERTISSEMENT!
Il est strictement interdit aux sites d'information établis ou non au Sénégal de copier-coller les articles d' EnQuête+ sans autorisation express. Les contrevenants à cette interdiction feront l'objet de poursuites judiciaires immédiates.