Publié le 15 Apr 2016 - 22:20
INFRASTRUCTURES A DAKAR

Le désengorgement étouffe le sport 

 

La construction de la route prolongeant la Voie de dégagement nord (VDN) prive de nombreux sportifs de Dakar de bonheur. Elle bouffe des terrains dans une capitale en manque d’infrastructures.  

 

La scène se passe sur la plage de Diamalaye il y a plus d’un trimestre. De jeunes hommes costauds, venus de Yoff, se sont frottés à ceux résidant dans cette cité nouvelle créée en 1987, pour un lopin de terre marine. Insultes à la bouche, armes blanches en main, les ‘‘Lébous’’ ont juré sur tous leurs ancêtres que le premier qui s’amuserait à réaliser des aménagements sur cette bande de terre en face de l’océan serait massacré. En face d’eux, les riverains de la Cité Diamalaye tout aussi déterminés à ne pas se laisser happer par cette boulimie foncière qui se fait jour depuis le début des travaux d’extension de la Voie de dégagement nord (VDN). Ils estiment que ces nervis sont envoyés par un promoteur immobilier et s’étonnent que l’espace, non ædificandi, soit déjà l’objet de convoitises. Depuis la visite du maire de la commune, Abdoulaye Diouf Sarr, en novembre dernier, promettant des aménagements, la situation semble s’être décantée et les oppositions reportées. Depuis le lancement des travaux de prolongement de la Voie de dégagement nord (VDN), en mai 2015, jeunes de Diamalaye 1, 2 et 3, Hlm Grand-Médine et Unité 19 se cherchent des espaces.

Le chantier a fini de chasser des centaines de jeunes de cette aire de jeu entre Diamalaye et Hlm qui pouvait accueillir jusqu’à quatre parties et servait éventuellement aux prières de Korité, Tabaski, et de célébration des deux ‘’rakka’’. A la place des cris enthousiastes des acteurs et de la poussière soulevée par leurs coups de pattes, c’est désormais le vacarme des engins tracteurs et bulldozers qui polluent l’atmosphère de cet axe qui sentait la bonne humeur. Cet intervalle, qui part du rond-point de Nord Foire à la plage de Diamalaye, conciliait parfaitement l’utile et l’agréable.

Le bonheur des automobilistes…

En ce novembre 2015, la présence des machines, camions, engins et des ouvriers sur les lieux annonce le début du chantier. Le site abritant les travaux est entouré de barbelés empêchant les personnes étrangères d’y accéder. Le démarrage effectif des activités est prévu début décembre. Mais l’entreprise chargée des travaux est déjà présente sur place pour tâter le terrain. Elle a commencé le test de sondage, le nivelage du sol et le dépôt des cailloux. A hauteur du rond-point de Nord Foire, sous les rayons ardents du soleil de 15 heures, sept ouvriers, tous vêtus de gilet vert et de pantalon bleu, munis de leurs outils de travaux, procèdent au sondage du sol. Le chef d’équipe, Abdou Seck, concentré sous un bruit indescriptible des klaxons de voitures, tourne avec sa main droite la manivelle d’une grande machine fixée au sol. A 500 mètres, 3 autres manouvriers installent des piquets sur un espace déjà nivelé par les engins. M. Seck informe que l’entreprise chargée de la tâche a bouclé la première phase. "Nous venons de finir les tests de sondage. Notre tâche consistait à vérifier la solidité du sol pour voir si le terrain pouvait supporter l’infrastructure. Les résultats sont positifs et les travaux vont démarrer bientôt", a déclaré le manœuvre sous le regard attentif de ses camarades travailleurs.

Dans quelques mois donc, si les délais d’exécution sont respectés, les usagers de cette route vont pousser un ouf de soulagement. Ils vivront moins les bouchons aux heures de pointe que d’habitude.

…Le malheur des ASC et sportifs

Cependant, leur bonheur fera le malheur d’un bon nombre de sportifs. Surtout les Associations sportives et culturelles (ASC) et des citoyens de Yoff, Cité Keur Damel, Diamalaye, Parcelles Assainies etc. Avec ce projet, c’est environ une demi-douzaine de terrains de foot qui sont balayés. Ces équipes de football évoluant dans le championnat populaire communément appelé "navétane" perdent leurs espaces de préparation érigés sur le site depuis quelques années. ‘’Avec la suppression de ces espaces, on va favoriser la sédentarité des populations ; et vous pouvez imaginer les conséquences sur la santé’’, évoque Omar qui avait l’habitude de faire son training sur le terrain qui était près du rond-point de l’Unité 26.

Les occupants de cet espace ont quitté les lieux en juillet dernier après l’expiration de la sommation servie par la Gendarmerie de la Foire. Les marchands ambulants qui occupaient le trottoir de la route et les mécaniciens ont été indemnisés par l’Ageroute.

Les dirigeants de l’ASC Damel de l’Unité 26 des Parcelles Assainies, présents à l’entraînement de leur équipe, fustigent le manque de considération des autorités à leur égard. "Nous ne pouvons pas nous opposer à la volonté de l’Etat car l’autoroute sera construite pour toute la population sénégalaise mais les autorités devaient nous informer du projet pour que nous puissions aménager un autre endroit avant de quitter les lieux", lâche le président de Damel. Pour lui, tous les occupants devraient être mis au même pied. Les mécaniciens et les marchands ambulants ont reçu une indemnisation de l’Ageroute après leur délogement. Contrairement aux sportifs obligés de quitter les lieux sans recasement.

L’ASC Pasteef, une autre équipe qui s’entraînait sur le site, fustige aussi la manière dont les choses se sont déroulées. "Nous n’avons pas été informés des travaux du prolongement de la VDN. Je pense que ce n’est pas respectueux. Nous occupons le terrain depuis 21 ans et l’équipe a beaucoup investi pour le rendre praticable. Il y avait des dunes dans cet endroit et nous avons payé pour qu’un tracteur puisse niveler le sol", clame le délégué Modou Sène.

Ces jeunes sont actuellement inquiets pour l’avenir de leur équipe car les communes de Yoff et l’Unité 26 des Parcelles ne disposent plus d’espaces de jeu pour les recaser. Mais les deux ASC Damel et Pasteef ont entamé des démarches pour obtenir des terrains dans d’autres espaces publics. "Pour le moment, nous avons déposé une demande auprès du proviseur du Lycée Moderne de Dakar pour occuper le terrain de football pendant les vacances", fait savoir Elou Ngom, 3e vice-président de Pasteef.

Emploi comme thérapie ?

Contrairement aux autres, les équipes Jappo de Diamalaye et Grand-Médine sont informées à temps. "Nous avons été avertis depuis mai par le coordonnateur du projet et des autorités de l’Ageroute. Ils nous ont demandé de quitter le terrain mais nous continuons nos entraînements jusqu’au démarrage effectif des travaux", renseigne André Henaine, président de la commission sportive de l’ASC Jappo. Selon lui, un grand complexe sportif sera construit par l’Ageroute au profit des formations de Jappo et de Grand-Médine. "Une grande réunion a été organisée en juillet entre les dirigeants des deux ASC, le coordonnateur du projet et les autorités de la mairie de Yoff pour trouver une solution. Le coordonnateur du projet a aussi promis le recrutement d’une dizaine de jeunes des ASC dans les chantiers", ajoute-t-il. Mais est-ce que l’emploi peut soigner le stress dû au manque de pratique du sport ?

OUMAR BAYO BA (STAGIAIRE)

 

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