Le mariage tiendra-t-il jusqu’aux élections ?
À la surprise générale, les deux plus grandes coalitions de l’opposition politique se sont alliées à la veille du dépôt de candidatures aux élections législatives du 31 juillet 2022. Si le but était de renforcer les faiblesses de chaque formation dans des circonscriptions difficiles et d’imposer une cohabitation au président Macky Sall, la tournure des derniers événements pourrait changer la donne dans les jours à venir.
Le 8 mai dernier, date d’expiration de la période de dépôt des déclarations de candidatures (parrainage), le Sénégal était surpris d’apprendre l’entente entre la coalition Yewwi Askan Wi (Yaw) et la coalition Wallu Sénégal, qui ont décidé d’unir leurs forces pour se positionner de manière stratégique dans les départements. Lors d’une conférence de presse tenue le 3 juin dernier, voulant apporter des explications sur cette intercoalition, le mandataire national de Yaw s’enthousiasmait de cette collaboration électorale : ‘’Les statistiques montrent que si nos deux coalitions vont ensemble dans les départements, nous allons rafler 60 des sièges de députés en jeu. Avec cette alliance, nous devrions avoir au moins 100 députés au sortir des élections. Ce qui constituera une majorité inédite à l’Assemblée nationale.’’
Près de deux mois plus tard, Déthié Fall est en détention et sera présenté à un juge, aujourd’hui. Jusqu’à présent, il a été raillé des potentiels députés de sa coalition, inscrit qu’il est sur la liste nationale titulaire de Yaw rejetée en dernier recours par le Conseil constitutionnel.
Depuis, la position radicale prise par la coalition Yewwi Askan Wi diffère de celle projetée par Wallu Sénégal. Malgré les dénonciations identiques de régression démocratique par les deux coalitions, elles ne semblent pas s’entendre sur quelques points essentiels.
Divergences sur la forme de lutte
D’abord, sur la forme de la lutte face au pouvoir. Après l’invalidation de leur liste titulaire au scrutin proportionnel et la validation de celle de la coalition Benno Bokk Yaakaar (au pouvoir), Yaw a lancé un appel à la résistance. Lors de leur rassemblement du 8 juin 2022, beaucoup de leaders de la première force de l’opposition au sortir des Locales ont annoncé qu’il n’y aura pas d’élections sans la participation de leur liste titulaire. Ils suivent cette logique en mettant la pression sur le pouvoir, à travers des manifestations dont la dernière, interdite, a débouché sur trois morts et l’interpellation de plusieurs manifestants et figures de l’opposition (les députés Déthié Fall et Mame Diarra Fam, de même que le maire de Guédiawaye Ahmet Aïdara). Dans une intervention sur les réseaux sociaux, Ousmane Sonko a précisé à ses partisans que la lutte se fera par la rue, comme l’avait fait un certain Macky Sall en 2012.
Au même moment, les leaders de la coalition Wallu Sénégal sont plus mesurés sur les appels à la résistance de leurs intercoalisés. Lors d’un point de presse organisé hier, certains se sont démarqués de la ligne dure prônée par Yaw. À l’image du mandataire national de la coalition Wallu Sénégal, Mamadou Lamine Thiam.
Selon lui, ‘’les Sénégalais ne doivent jamais se départir de l’idée qu’on ne peut changer un pouvoir que par les urnes. Ce qu’on est en train de voir est dangereux, avec l’idée d’une conquête du pouvoir par la rue. Il faut revenir à l’ordre démocratique. Les paradigmes ne doivent pas changer, après autant d’efforts fournis dans la lutte pour leur acquisition’’.
Mamadou Lamine Thiam, Wallu : ‘’Les Sénégalais ne doivent jamais se départir de l’idée qu’on ne peut changer un pouvoir que par les urnes.’’
Le maire de Kébémer semble être loin de la ligne de conduite émise par le leader du Pastef qui, en annonçant une nouvelle manifestation le 29 juin prochain, a défié Macky Sall de l’arrêter ou de le liquider, s’il veut l’empêcher de manifester. Si la manifestation interdite du 17 juin a versé dans la confrontation, d’autres leaders de Wallu préviennent qu’ils ne sont pas dans la violence. ‘’Nous sommes des responsables qui appelons à l’apaisement et qui souhaitons obtenir des gains, à l’image de ceux obtenus par Me Abdoulaye Wade. Nous appelons à la mobilisation des jeunes et des forces sociales pour préparer le 31 juillet. C’est le jour au cours duquel le peuple pourra se libérer.’’
Les membres de la coalition autour du Parti démocratique sénégalais (PDS) n’en ont pas moins dénoncé l’interdiction de manifestation. Prenant la parole, Mor Ndiaye a regretté la décision du Conseil constitutionnel sur les vides juridiques ayant mené à cette impasse. Avant d’appeler ‘’le président de la République à demander au Conseil constitutionnel de permettre à Yewwi de compléter sa liste nationale et de mettre la photo de leur tête de liste sur leurs bulletins, comme cela est permis aux autres candidats. Le droit à la marche est un droit constitutionnel. Ce n’est pas normal de l’interdire pour des raisons politiciennes. Nous appelons à la libération des détenus politiques dont le seul tort est de lutter pour la démocratie sénégalaise’’.
Par ailleurs, Mamadou Lamine Thiam affirme ne pas comprendre que des générations qui ont vécu les luttes de libertés, une fois au pouvoir, poussent le pays à retourner en arrière. C’est ainsi qu’il interpelle le président de la République Macky Sall sur l’État de droit qui est bafoué. ‘’Les citoyens ont le droit de manifester. L’État a le droit de maintenir l’ordre, mais cela ne veut pas dire réprimer. Les forces de l’ordre ont assez de compétences pour maîtriser les foules sans user d’armes létales ou user de la force de manière disproportionnée sur des citoyens qui ne font que manifester un droit constitutionnel. Nous demandons l’arrêt de la répression sur le peuple sénégalais’’, assure le représentant de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade.
Wallu contre le report des Législatives
En plus de la forme de protestation, Wallu Sénégal n’est pas d’accord avec l’idée d’un éventuel report des élections législatives. Si Yewwi Askan Wi ne s’est pas prononcée sur la question, c’est un scénario qui lui irait bien.
En effet, un report des élections signifie une reprise de tout le processus électoral et une remise des compteurs à zéro. Mais aussi une confirmation de la promesse faite par la coalition opposante qu’il n’y aura pas d’élections le 31 juillet 2022 sans sa liste nationale titulaire.
Mais pour les alliés de Mamadou Lamine Thiam, le message est clair : ‘’Nous avons eu deux alternances politiques pacifiques. Cet héritage est en danger, car les libertés sont menacées. Nous appelons à la tenue d’élections libres et indépendantes’’, précise le mandataire nationale de Wallu Sénégal.
Les interpellations directes au président de la République sont-elles faites à un frère libéral ? Malgré leur collaboration affichée, les deux coalitions de l’opposition traînent des points de divergence qui, à un moment donné dans l’escalade de tensions entre Yewwi et le pouvoir, pourraient avoir raison d’une entente des plus surprenantes.
Lamine Diouf