Publié le 6 Jul 2020 - 19:17

Interpellations-conseils de Serigne Pape Malick Sy à la jeunesse

 

« Ce qu'il faut, ce n'est pas d'accabler les gens de sermons ; ce qu'il faut, c'est de créer des cœurs nouveaux que rien ne saurait détruire. »

Serigne Cheikh A. T. Sy Al Maktoum

À la cérémonie de clôture du 9e congrès de la Jeunesse Tidiane Malikite à la Place de la Nation, dite Place de l’Obélisque, à Colobane, Serigne Pape Malick Sy, s’adressant à la jeunesse tidiane et, à travers elle, à toute la jeunesse sénégalaise, a rappelé que l’avenir d’un pays, c’est sa jeunesse. Si la jeunesse suit le droit chemin, tout va, sinon rien ne va, dira-t-il. Et d’ajouter : il faut savoir distinguer l’important du détail qui fait perdre du temps. Car, le problème, ce n’est pas d’être amateur de lutte, « moi-même j’en suis un ». Le problème, ce n’est pas d’être un artiste, « j’ai été artiste peintre ».

Même le théâtre et la danse (que j’ai aussi pratiqués), tant qu’ils ne sont pas vulgaires ou obscènes, ne posent pas problème. Le problème, ce n’est pas le « saafara » (l’eau bénite) qu’on utilise pour sa protection ni la chevelure qu’on teint (ñuulël/fuddën) pour embellir son apparence physique. Le problème, c’est l’impureté des cœurs. Le problème, c’est l’ignorance et le manque d’éducation. Le problème, c’est l’individualisme, l’égoïsme et la mesquinerie. Il arrive souvent que deux personnes qui prient dans la même mosquée, épaule contre épaule, soient prêtes à s’entre-égorger. Il arrive que la réussite du prochain dérange (littéralement : ku jag rekk « déranse » la). Il arrive que l’on confonde mesquinerie et action politique, oubliant que le comploteur qui se régale de ses complots jamais ne trouvera la paix (kuy reere pexe dotul noppalu)… Et de rappeler les trois interpellations-conseils que Serigne Cheikh A. T. Sy Al Maktoum ne cessait de leur faire (lui et ses frères talibés), aux temps de leur jeunesse, pour les sauver des défauts graves que sont l’oubli ou la sous-estimation du prochain qui fait de l’homme un semeur de torts, la rivalité ou la concurrence qui pousse au tiraillement et la vantardise qui gonfle la poitrine.

« Mba du ngéen tooñ ! » (J’espère que vous ne faites pas de tort à votre prochain !)

Bien sûr, la réponse de Pape Malick fut sans équivoque : « Ñamewuñ ko » (Nous ne l’osons pas). Car le fait est grave, très grave même, et seul le fou qui en ignore les conséquences spirituelles ose faire du tort volontairement à son prochain. Dieu, rappelle-t-il, dans sa justice, s’interdit d’interférer dans les préjudices (àq) que se causent les humains entre eux. Et - il faut toujours y penser - seul celui qui a subi le préjudice peut pardonner. Personne d’autre ne peut le faire à sa place. Un jour, narre-t-il, fasciné par le courage physique et moral de Serigne Cheikh, il lui posa la question suivante : « Est-ce qu’il vous arrive d’avoir peur ? » « Oui, répondit Serigne Cheikh, je crains de causer du tort à mon prochain (tooñ sama moroom), même involontairement. J’ai peur de la redevabilité (ameel àq).»

Et Wolof Ndiaye lui donne raison, qui ainsi parle : « Tooñ du galaac » (causer du tort n’est pas une protection), parce que, et c’est connu, « kuy tooñ doo mucc » (qui cause tort ne sera pas sauf) ni ici-bas ni dans l’au-delà. Et aussi : « àq dafa sew » (le préjudice est ténu), pour dire qu’on peut le causer sans s’en rendre compte, d’où la prudence nécessaire dans les relations humaines.

Mais le tort le plus grave, me semble-t-il, est celui du puissant sur le faible, celui du riche sur le pauvre. Et le plus à plaindre d’entre les humains est celui qui utilise la force, le pouvoir ou la richesse à lui confiés par Dieu pour faire du tort à ses semblables.

« Mba du ngéen xëcoo ! » (J’espère que vous ne vous concurrencez  pas !)

Réponse : « Taluñ ko » (Nous n’en avons pas le temps). Car, le jeune homme qui est occupé par les études et la formation ou l’adulte qui travaille à son perfectionnement spirituel, donc qui est en compétition avec lui-même pour toujours se surpasser et devenir meilleur, n’a pas de temps à consacrer à la compétition malsaine pour l’acquisition des biens de ce monde et la gloriole ; il a l’esprit ailleurs. Hélas, nous vivons dans un monde de rivalité permanente pour le pouvoir, l’argent et le bien-être matériel où, à y regarder de près, les hommes ressemblent plus à des hyènes autour de la charogne qu’à des êtres humains, comme disait Djibril Diop Mambéty dans son film Hyènes. Or, un tel état d’esprit, affirme le marabout, ne sied pas à la dignité humaine, car il gâte le sommeil et le caractère, avant de pourrir toute la vie. Et on s’épie, on se griffe, on rapine... Et l’esprit et le cœur et l’âme en perdent leur sérénité... Et notre société emprunte à la jungle ses nuances…

Or, disait Wolof Ndiaye : « cër bi ngay xëcoo, moomu looko » (la part pour laquelle tu joues des épaules, tu ne la mérites pas), « cër boo mënuta ñàkk, moomu looko » (la part que tu n’acceptes pas de perdre, tu ne la mérites pas), car, en vérité, « gor du  xëcoo » (le noble ne se bouscule jamais pour obtenir sa part), et aussi « kuy xëcoo doo noppalu mukk » (qui est en concurrence ne trouve jamais le repos).

« Mba du ngéen tiitaru ! » (J’espère que vous ne vous vantez pas !)

« Rus nañ ko » (Nous avons honte de le faire). Car la gloriole, la vantardise, est une faiblesse ou une folie, dit le marabout. Et le vaniteux qui cherche des admirateurs, le vaniteux qui n’entend que les louanges et fait la roue, tel un paon, « finit par devenir une caricature ». Il ne cherche rien d’autre que d’être admiré, c’est-à-dire, d’être reconnu comme l’homme le plus beau, le mieux habillé, le plus riche et le plus intelligent de la planète, pour parler comme Antoine de Saint-Exupéry. Ce qui constitue la pire des errances.

En vérité, chacune de ces tares de l’âme humaine (tooñ, xëcoo, tiitaru), peut détruire une vie, dira le marabout qui, auparavant, avait utilisé le triptyque « ganaay, alal, jigéen » (arme, argent, femme) opposable au précédent qui en est comme le basculement. Il rappellera, au passage, que Satan qui incite les humains au mal ne leur fait brandir les armes que pour répandre leur sang. Il ne fait briller l’argent, la propriété ou le profit que pour semer entre eux la discorde et la haine. Il n’embellit la femme que pour la faire trébucher.

Il faut dire qu’il n’y réussit pas toujours, même s’il y réussit souvent. C’est pourquoi, enseigne le marabout, Mame El Hadj Malick Sy recommandait, aux anciens qui lui demandaient conseils pour davantage se rapprocher de Dieu et augmenter leur chance d’échapper aux pièges de Satan, de souvent se repentir de leurs péchés, de beaucoup prier sur le prophète Mohamed (Psl) et de toujours faire du bien à leurs prochains.

Pour finir, Serigne Pape Malick rappellera aux jeunes cette belle vérité que « l’homme n’est homme que dans la mesure où il se place au niveau de la perfection ». Il leur faut donc ignorer les insultes et autres crocs-en-jambe qui sont éphémères et savoir passer outre. Il leur faut reconnaître les mérites de tout un chacun, car cela n’empêche pas de conserver les siens. Il leur faut être miséricordieux et servir Dieu à travers ses créatures. Il leur faut surtout nourrir leur intelligence (dundël séen xel) et savoir que l’éducation libère et qu’être jeune n’empêche pas d’être responsable. Il leur faut savoir qu’ils ont le même âge que leur père et leur grand-père, car toutes les âmes ont été créées le même jour. Il leur faut savoir que c’est l’esprit qui vieillit et qu’il leur faut donc rester jeune dans leur tête le plus longtemps possible pour adorer Dieu comme il se doit et être utile à leur famille et leur pays. Il leur faut surtout « faire de leur demeure des paradis terrestres en vivant en harmonie en une famille cohérente où règne l’entente, la compréhension et le respect mutuel ».

ABDOU KHADRE GAYE

Ecrivain, Président de L’Emad

Aout 2018

Ce texte a été écrit et publié dans la presse en aout 2O18 sous le titre « Interpellations-conseils de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum à la jeunesse tidiane malikite via Serigne Pape Malick Sy » ; on le propose en hommage au regretté Serigne Pape Malick Sy.

⃰⃰⃰⃰⃰⃰⃰ ⃰⃰ Xëcoo renvoie à la concurrence, mais à celle-là malsaine impliquant les bousculades. Nous traduirons donc simplement concurrence. Mais entendre concurrence malsaine, bousculade.

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