Mêmes combats, mêmes destins
Les leaders politiques Karim Wade, Khalifa Sall et Ousmane Sonko, tous opposants de premier plan, ont eu maille à partir avec la Cour suprême au cours de leurs différentes procédures judiciaires. Entre rabat d'arrêt, confirmation des peines, rejet de pourvoi en cassation, la plus haute juridiction du pays s’est montrée implacable contre les opposants.
‘’Jamais deux sans trois’’, dit l’adage. Comme Khalifa Sall et Karim Wade, Ousmane Sonko a vu son dossier passer sous les fourches caudines de la Cour suprême, à l’occasion de l’examen de son rabat d’arrêt déposé par ses conseils, lundi dernier.
Selon la loi, le rabat d’arrêt suppose une erreur de procédure susceptible d’impacter un jugement rendu par une cour de justice. Dans le cas d'espèce, il s’agissait avant tout d’invalider la décision de la Chambre administrative de la Cour suprême qui avait, le 17 novembre dernier, donné une décision en annulation de celle du tribunal d’instance de Ziguinchor, du 12 octobre 2023, ordonnant la réintégration de Sonko sur les listes électorales.
Ce recours avait des allures de course contre la montre avant la date de dépôt des parrainages, le 11 décembre prochain. Car, par cette nouvelle procédure, les avocats du maire de Ziguinchor espéraient une suite rapide des chambres réunies de la Cour suprême, afin que leur client puisse recouvrer au plus vite ses droits civiques.
Mais, la demande de rabat d’arrêt introduite par les avocats de l’opposant Ousmane Sonko a été rejetée. Le cabinet du premier président de la Cour suprême l’a notifié aux intéressés. Les services d’Aly Ciré Bâ ont souligné qu’attendu ‘’qu’aux termes de l’article 52 alinéa 2 de la loi organique sur la Cour suprême : le de recours en rabat et le recours ne sont pas suspensifs’’.
D'après eux, c’est le ‘’président du tribunal d’instance hors classe de Dakar (qui) doit être saisi afin de mettre en œuvre la seule procédure d’urgence prévue par les articles 76 et suivants de ladite loi organique ; que le jugement en chambres réunies ne s'accommode guère d’une telle procédure’’. Ainsi ont-ils motivé la décision de rejet de la requête des avocats d’Ousmane Sonko, en prison depuis plusieurs mois.
Cette bataille rappelle les dossiers judiciaires des anciens opposants au régime de Macky Sall : Khalifa Sall et Karim dont les dossiers ont atterri à la Cour suprême.
Pour le dossier de Khalifa Sall, il s’agissait, pour ses conseils, d’introduire un rabat d’arrêt à la veille de l’élection présidentielle de février, afin de lui permettre de participer au scrutin de la Présidentielle 2019, malgré sa condamnation. Le rabat d’arrêt avait été introduit pour dénoncer des vices de procédure lors de la cassation. Ce recours du candidat à la candidature Khalifa Sall avait suscité un débat sur le caractère suspensif du rabat d’arrêt. L’argument n’avait pas convaincu le premier président de la Cour suprême, Mamadou Badio Camara, qui finalement avait rejeté le rabat d’arrêt introduit par la défense de l’ancien maire de Dakar qui avait ainsi épuisé tous ses recours légaux.
Ainsi les avocats du leader de l’ex-Pastef vont devoir trouver autre chose pour que leur client puisse se présenter à la Présidentielle.
Or, selon plusieurs spécialistes, le risque d’une invalidation de sa candidature est plus que réel. D’autant qu’à une dizaine de jours du dépôt des parrainages, l’ancien inspecteur des impôts et des domaines a de fortes chances d’être forclos.
Le rabat d’arrêt du parquet contre une décision rendue en février 2014 en faveur de Karim Wade
Dans le dossier Karim Wade, il a aussi été question de rabat d'arrêt auprès de la Cour suprême. Mais cette fois-là, c’est le procureur général près la Cour suprême qui avait introduit une requête en rabat d’arrêt demandant à ladite cour d’annuler son arrêt précédent n° 23 du 6 février 2014 de la chambre criminelle. Dans ledit arrêt, la Cour suprême avait précédemment déclaré recevable la requête de Karim Wade relative aux exceptions soulevées par ses avocats. Concernant l’incompétence de la Crei à juger le ministre Karim Wade qui bénéficie, du fait de son état, d’un privilège de juridiction et qui ne peut être jugé en conséquence que par la Haute cour de justice, la violation de la présomption d’innocence et du principe de l’égalité des parties devant la loi, du renversement de la charge de la preuve, entre autres.
Ce rabat d'arrêt n’avait pas été rejeté par la Cour suprême. Ainsi, le procès s’était ouvert, le 31 avril 2014 et l’ancien ministre de l’Énergie avait écopé de six ans de prison ferme pour enrichissement illicite par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei).
En août 2015, la Cour suprême du Sénégal avait rejeté l’ensemble des pourvois en cassation de Karim Wade, validant au passage le jugement de la Crei.
La Cour suprême invalide la candidature de Karim Wade en 2018
Toujours dans le dossier Karim Wade, si le secrétaire général du PDS a connu le même sort que les deux autres précités, sur le plan judiciaire, les traitements ont été différents. Puisque, le 31 août 2018, la Cour suprême a rejeté le pourvoi de l'opposant Karim Wade contre sa radiation des listes électorales, dans l’optique d’une candidature à la présidentielle de 2019. Les avocats de Karim Wade avaient déposé ce recours auprès de la cour, après avoir vu sa demande d'inscription sur les listes électorales rejetée, le 2 juillet de la même année, par le ministère de l'Intérieur, qui avait invoqué des dispositions du Code électoral privant de droits civiques toute personne condamnée à plus de cinq ans de prison.
Selon les dispositions du code électoral sénégalais, un candidat radié des listes ne peut être électeur, donc il n’est plus éligible à des postes électifs. Même si ce dernier avait bénéficié d’une grâce présidentielle en juin 2016, Karim Wade avait été privé d'élection présidentielle en 2019.
Mais selon plusieurs observateurs, la différence de traitement a aussi pour origine la décision du tribunal de Ziguinchor qui avait demandé la réintégration d’Ousmane Sonko sur les listes électorales. Ce jugement semble avoir contraint la Cour suprême à chercher une position médiane, en se rabattant sur le tribunal hors classe de Dakar.
Dans le cas de Karim Wade, elle a vite tranché en faveur de l’État, alors que dans l’affaire Sonko, elle a préféré s’aménager une porte de sortie, en s’appuyant sur une autre juridiction.
Mamadou Makhfouse NGOM