Takku Wallu boycotte les séances

Les députés du groupe Takku Wallu ont décidé de boycotter la séance des questions d’actualité. Ils dénoncent les agissements du président de l’Assemblée nationale et du Premier ministre. Ce dernier est accusé de se livrer à une séance d'invectives, d'injures et de menaces envers les députés, sans que ces derniers aient la possibilité de lui répondre.
Les travaux de la plénière, initialement prévus pour ce 10 avril, ont été reportés à une date ultérieure et sont boycottés par les députés de Takku Wallu Sénégal. C'est une première dans l’histoire parlementaire, selon Thierno Alassane Sall, qui s'est exprimé hier lors d’une séance d’information sur la démarche du groupe. Le porte-parole du jour a précisé que la raison fondamentale du boycott réside dans les violations répétées et délibérées du règlement intérieur de l'Assemblée nationale par la majorité, sous l'impulsion du président de l'institution.
Ce dernier agit, d'après TAS, comme président du groupe parlementaire Pastef. Les membres de l’opposition accusent le bureau de l'Assemblée nationale d’avoir violé la loi portant sur la parité. ‘’Que l’Assemblée nationale viole ouvertement les lois qu'elle vote est d'autant plus scandaleux que des conseils municipaux ont été contraints par la Cour suprême à se conformer à cette loi après une première composition ne respectant pas la parité stricte’’, a indiqué TAS.
‘’Au pays de Senghor, de Birago Diop, de Boubacar Boris Diop et d'autres illustres écrivains, le groupe de 130 députés de Pastef ne craint pas le ridicule de prétexter que le terme ‘outre’, qui signifie ‘en plus’, sert non pas à inclure ou à additionner, mais à exclure, à soustraire’’, a-t-il poursuivi, dénonçant un coup de force.
Violations du règlement intérieur ?
Selon les députés membres de Takku Wallu, le président de l'Assemblée nationale viole quotidiennement les droits de l'opposition, en refusant quasi systématiquement la parole, lorsque des députés font appel au règlement intérieur, ne serait-ce que pour expliciter le bien-fondé de leurs démarches. ‘’Il ne s'est pas privé, lors d'une séance, d'accepter pour un député de la majorité ce qu'il venait de refuser à un député de l'opposition, c'est-à-dire l'appel au règlement. Cela participe de la culture du ‘matay’’ (je-m’en-foutisme), du coup de force’’.
Selon Thierno Alassane Sall, Abdou Mbow, Aïssata Tall Sall, Anta Babacar Ngom et Cie, le président de l'Assemblée nationale s'associe à des entreprises visant à saboter l'initiative d'un député de l'opposition, consistant en une proposition de loi écrite accompagnée d'un mémoire relatif à sa recevabilité, démontrant que ladite proposition n’entraîne pas d'impact financier. ‘’Jusqu'à ce jour, ces députés, pas plus que leurs collègues, n'ont reçu de réponse écrite de l'Assemblée nationale, encore moins la preuve de l'impact financier allégué. Pas de réponse écrite, donc pas de possibilité de recours. Cela s'appelle du ‘matay’’’, ont-ils regretté.
À en croire Thierno Alassane Sall, dans ces interactions avec les membres de l'opposition, le président de l'Assemblée nationale manque de la plus élémentaire courtoisie et se prend pour un surveillant de camp plutôt que pour la deuxième personnalité de l'État. Il l’accuse de manipuler les listes d'orateurs, donnant l’exemple de la séance du 2 avril 2025 consacrée au vote de la pseudo-loi interprétative. ‘’Ce jour-là, le summum a été atteint, quand son arrogance et son dévouement à l'Exécutif et à son parti l'ont amené, de façon répétée et avec sarcasme à multiplier les violations du règlement intérieur. Malgré plusieurs remarques faites par l'opposition, le président de l'Assemblée nationale a laissé une si importante et solennelle séance se transformer en meeting nourri d'applaudissements à tout-va et de huées par le public’’, s’est indigné Thierno Alassane Sall.
Il poursuit : ‘’Les rappels des députés au respect du règlement intérieur n'y ont rien fait, le président de l'Assemblée nationale déclarant que les applaudissements du public faisaient certainement mal à l'opposition. Ainsi, le public est allé crescendo dans sa bruyante présence et a failli s'en prendre à deux députés lors d'une suspension de séance.’’
Les députés du groupe Takku Wallu Sénégal demandent, en conséquence, au président de l'Assemblée nationale de se ressaisir pendant qu'il est encore temps, de se débarrasser de ses avis de militant communiquant et d'être à la hauteur de la dignité de son rang pour incarner celui-là même qu'il doit être.
Takku Wallu parle d’un recul dans la marche de l'hémicycle
L’opposition parlementaire parle ainsi d’un recul dans la marche de l'Assemblée nationale du Sénégal, à la place d'une rupture positive et transformatrice. ‘’Ce recul’’, disent-ils, trouve son illustration dans une soumission encore plus grande à l'Exécutif, illustrée par les sessions de questions d'actualité. C'est la deuxième raison de leur décision de boycott.
En effet, ils fustigent le comportement du Premier ministre qu’ils jugent scandaleux. ‘’Les passages du Premier ministre, loin d'être de grands moments d'échange d'idées contre idées, se transforment en joutes d'attaques crypto-personnelles, en procès de députés…’’, a martelé Thierno Alassane Sall, non sans dénoncer un déséquilibre du temps de parole lors des questions d'actualité à l'hémicycle et la suppression du deuxième temps de parole pour les représentants du peuple.
‘’Le député, pour exercer sa fonction de contrôle, doit pouvoir s'appuyer sur le principe du contradictoire. Concrètement, après une première intervention où il interpellait un membre du gouvernement, il avait le droit de revenir s'exprimer pour indiquer s'il était satisfait ou non de la réponse obtenue’’, a expliqué TAS.
Or, cette possibilité de réplique pour le député a été supprimée, alors même que le temps de parole initialement prévu en deux temps a été maintenu pour le Premier ministre.
Ainsi, ce dernier dispose toujours de huit minutes de parole. ‘’Vous avez constaté que la dernière fois, les députés qui étaient intervenus avaient droit à quatre minutes lors du deuxième tour. Cela rompt fondamentalement le principe de l'équilibre des pouvoirs et, surtout, la fonction de contrôle de l'action de l'Exécutif à laquelle cette séance est consacrée’’, a-t-il regretté.
Il soutient aussi qu’il n'y a là aucune innovation ou concession du nouveau régime. Pour lui, les dispositions du titre 3 du règlement intérieur, en particulier les articles 91 à 96, ne sont pas respectées. Il estime que le Premier ministre se rend à l’Assemblée à sa guise et selon son propre agenda.
‘’Les séances de janvier et de mars n'ont pas été tenues sans qu'une explication n'ait été fournie aux députés. Mais pire encore, lorsque le Premier ministre fixe sa date selon son propre bon vouloir, c'est pour se livrer à un exercice qui relève beaucoup plus d'un meeting politique que d'une séance normale et républicaine de réponses à des questions sur lesquelles ses réponses sont attendues par le peuple’’, dénonce le député de Takku Wallu.
Aïssata Tall Sall : ‘’Nous refusons de le faire’’
Quand ce boycott prendra-t-il fin ? Aïssata Tall Sall souligne qu’ils poursuivront le boycott tout en s'acquittant de leur travail de députés. « Ce boycott-là, nous l'avons fait à titre d'avertissement. Mais nous allons continuer le travail parlementaire pour lequel nous avons été élus. Nous retournerons à l'Assemblée nationale lorsqu'il s'agira de voter les lois et d'en discuter au préalable. Nous retournerons à l'Assemblée nationale lorsque les ministres viendront et que nous devrons contrôler leurs activités. Nous retournerons à l'Assemblée nationale parce que nous ne pouvons pas fuir notre responsabilité d'élus. Mais nous associer à cet exercice de questions d'actualité au gouvernement, nous refusons de le faire », a précisé Aïssata Tall Sall.
« Ce qui nous a amenés à être ensemble, c'est le danger qui guette le Sénégal. Parce que, si nous laissons l’Assemblée nationale s'affaisser, si nous laissons cette institution devenir la remorque de l'exécutif, banalisée à tel point qu'elle ne représente plus ce qu'elle doit être dans une démocratie et dans une république, alors nous en serons les responsables », a soutenu l’avocate-députée.
Il faut noter qu'initialement prévue aujourd'hui, la séance des questions d’actualité a été reportée jusqu’au lundi 14 avril. Selon une note reçue à EnQuête, ce report est dû au rappel à Dieu du khalife général des Layènes, Serigne Mouhamadou Makhtar Thiaw Laye.
BABACAR SY SEYE