Publié le 10 Apr 2025 - 14:15
L’OPPOSITION A LA UNE

Madiambal, Yoro, Hamidou et la rébellion des plumes

 

Dans un paysage politique en recomposition, alors que l’opposition classique peine à incarner une alternative crédible, trois figures médiatiques – Madiambal Diagne, Yoro Dia et Hamidou Anne – prennent le relais du combat politique… sans en avoir les attributs officiels. À coups de tribunes mordantes, de posts incendiaires et de chroniques virales, ces ‘’plumes d’opposition’’ captent l’attention, structurent le débat et éclipsent parfois les ténors supposés de la résistance.

 

Ils ne sont ni députés ni chefs de parti, encore moins membres d’une quelconque coalition d’opposition officielle. Et pourtant, Madiambal Diagne, Yoro Dia et Hamidou Anne occupent aujourd’hui le devant de la scène critique contre le pouvoir. Trois profils différents, trois styles distincts, mais une cible commune : le régime de Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Dans un contexte où l’opposition institutionnelle peine à s’imposer, ce trio s’impose comme une task force médiatique, qui mène la charge à coups de chroniques, de tribunes, de lives et d’interventions tonitruantes.

Madiambal Diagne, le sniper médiatique

Le doyen du groupe, Madiambal Diagne, est loin d’être un nouveau venu sur le champ de bataille politique. Fondateur du groupe Avenir Communication, éditeur du quotidien ‘’Le Quotidien’’, il revendique une proximité assumée avec l’ancien président Macky Sall. En 2012 déjà, il avait clairement déclaré à ses journalistes qu’il soutenait Macky contre Abdoulaye Wade. Ce parti-pris revendiqué lui a valu la défiance d’une partie du public, mais aussi un accès privilégié aux coulisses du pouvoir.

Depuis l’ascension de Sonko, Madiambal Diagne est devenu l’un de ses adversaires les plus virulents. Ses chroniques dominicales, "Les lundis de Madiambal", sont devenues un terrain de combat. Il y décortique, attaque, accuse. De l’affaire du général Kandé à la supposée découverte d’un compte de 1 000 milliards, en passant par l’abrogation de la loi d’amnistie, il ne laisse aucun répit au régime. L’homme n’a pas seulement choisi la plume : candidat aux dernières législatives sur la liste Jammi ak Njariñ d’Amadou Ba, il a montré qu’il était prêt à conjuguer engagement éditorial et action politique directe.

Son activisme lui vaut aussi des démêlés judiciaires. Les avocats de Sonko ont porté plainte contre lui, ce qui a conduit à son audition par la Sûreté urbaine en décembre 2024. Loin de se rétracter, Madiambal en a fait une tribune supplémentaire pour dénoncer ce qu’il qualifie de "dérives autoritaires". Sa posture divise, mais elle lui confère un rôle central dans la contre-narration du pouvoir actuel.

Yoro Dia, de la neutralité à l’offensive

Yoro Dia, journaliste de formation et politologue reconnu, a longtemps cultivé une image d’analyste mesuré, adepte de la neutralité axiologique. Mais cette image s’est progressivement estompée. Ministre et porte-parole de la présidence de la République dans les dernières années de Macky Sall, il a changé de ton. Fini l’observateur prudent, place au polémiste déterminé.

Depuis la chute du régime qu’il servait, Yoro Dia est devenu l’un des critiques les plus acerbes du gouvernement de Diomaye et Sonko. Il n’a pas hésité à comparer leur projet politique au nazisme, affirmant sur RFM en juillet 2024 : "Je compare toujours le projet Pastef au projet nazi : populisme, coup d’État raté, prison, élection, pouvoir..." Des propos choquants, qui ont suscité une levée de boucliers, mais qui traduisent la volonté de frapper fort.

Sur les grands dossiers économiques, il multiplie les prises de position, comme lorsqu’il a accusé le Premier ministre de "sabotage économique" en confiant le Port autonome de Dakar à Waly Diouf Bodian, présenté comme un nervi. Sur les relations internationales, il met en garde contre une dérive "autoritaire" et appelle à "préserver l’écosystème démocratique du Sénégal".

Pour ce politologue et essayiste, le pays n’a pas de problème d’institutions, mais de vision économique et de gouvernance.

Il conserve une distance critique même vis-à-vis de certains excès du régime précédent, mais sa ligne est claire : défendre le legs de Macky Sall, dénoncer le populisme souverainiste de l’AES et contester la légitimité politique de Sonko.

Hamidou Anne, la nouvelle voix de l’opposition intellectuelle

Hamidou Anne, dernier membre du trio, est sans doute le plus jeune, mais non le moins incisif. Essayiste, ancien chroniqueur, ex-conseiller de Macky Sall, il assume d’avoir adhéré à l’APR après la perte du pouvoir. "Je ne suis pas venu en politique pour des portefeuilles ou pour une richesse matérielle", dit-il. Il se positionne comme un intellectuel engagé, s’exprimant surtout via ses publications sur Facebook et ses lives réguliers.

Il a ouvert récemment un cabinet de stratégie et de marketing politique, aux côtés de Racine Assane Demba, un autre communicant proche de Macky Sall. Son crédo : disséquer les failles du régime, alerter l’opinion, défendre ses pairs. Il s’illustre par une prise de position constante sur des sujets complexes, comme la dette publique et les relations avec le FMI, dénonçant par exemple une "dette cachée" et relayant les critiques adressées par le FMI aux nouvelles autorités.

Perçu comme arrogant par les militants de Pastef, il avait même jeté le discrédit sur les journalistes qui avaient osé mettre en garde le président contre un troisième mandat. Il est passé du langage diplomatique à la confrontation directe.

Comme ses deux compères, il multiplie les attaques contre le gouvernement. Il parle de "régime d’intérim", accuse Sonko d’être un "activiste déguisé en Premier ministre" et affirme que la posture des dirigeants actuels "ne rassure pas au niveau international". Sa verve est cinglante, ses posts très partagés et son ton volontiers provocateur : "Ce vacarme menaçant sans action concrète, au début risible, est devenu gênant", écrit-il à propos de la gouvernance actuelle.

Trois voix, un même écho : l’opposition extra-parlementaire

Le trio ne laisse personne indifférent. Pour certains, ils sont les derniers remparts d’une opposition qui se cherche, capables de poser les bonnes questions et de contrer l’hégémonie de Pastef. Pour d’autres, ils incarnent le retour déguisé d’un ancien régime défait, usant de leurs réseaux médiatiques pour défendre des intérêts personnels ou claniques.

Leur activisme, aussi bruyant soit-il, révèle une réalité : l’opposition parlementaire et politique formelle peine à se faire entendre. Face à un pouvoir centralisé et offensif, et à une majorité encore en construction, c’est dans les médias, les tribunes et les réseaux sociaux que se joue une partie du débat public. Madiambal, Yoro et Hamidou ont investi cet espace avec une efficacité qui force le constat : le contre-pouvoir est aussi une affaire de récit, de stratégie et d’omniprésence.

Le plus frappant est que ce trio médiatique semble aujourd’hui éclipser des figures politiques qui auraient logiquement dû incarner la première ligne de l’opposition. Amadou Ba, ancien Premier ministre et candidat malheureux à la présidentielle avec un score honorable, peine à faire entendre sa voix depuis sa défaite. Aucune structure visible, aucune ligne claire, aucun discours fort. Barthélemy Dias, autrefois très présent dans les médias, est en perte de vitesse depuis sa destitution à la mairie de Dakar en décembre 2024. Ses relations peu cordiales avec Khalifa Sall, son mentor d’hier, semblent encore brouiller son image.

Aujourd’hui, ce sont parfois des chroniqueurs de télés, de sites web ou des "liveurs" sur TikTok et Facebook qui captent davantage l’attention et la confiance d’une partie du public que ces opposants classiques. Le champ politique est devenu un champ médiatique, où la visibilité vaut plus que les mandats. Madiambal, Yoro et Hamidou l’ont compris avant les autres.

Ils agacent, provoquent, polarisent. Mais leur influence est réelle. Madiambal, Yoro et Hamidou sont devenus les têtes d’affiche d’une opposition qui ne dit pas son nom, mais qui impose sa voix.

Reste à savoir si cette opposition de plume, de post et de micro peut, un jour, se transformer en alternative politique crédible.

Leur défi ? Ne pas sombrer dans l’excès, éviter le discrédit, et surtout convaincre qu’ils portent une alternative crédible, au-delà de la seule nostalgie du passé. Car face à une jeunesse mobilisée, à une opinion publique en mutation et à un pouvoir qui s’impose avec autorité, critiquer ne suffit plus. Il faut proposer.

AMADOU CAMARA GUEYE

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