Quand l'Attaque Ad Hominem Devient Méthode

Le phénomène est désormais établi : notre espace médiatique s'est progressivement transformé en une arène où s'affrontent non plus des idées, mais des hommes. Une tendance inquiétante s'est installée, particulièrement visible dans le traitement réservé aux plus hautes fonctions de l'État. La Présidence de la République et la Primature ne sont plus analysées comme des institutions, mais réduites à la simple dimension de leurs titulaires. Ce glissement sémantique n'est pas anodin : il révèle une mutation profonde de notre culture politique.
La personnalisation outrancière du débat obéit à une logique pernicieuse. Les chroniqueurs, sous couvert de liberté d'expression, ont érigé l'attaque personnelle en méthode d'analyse politique. Le Président n'est plus évalué à l'aune de ses décisions, mais à travers le prisme déformant de supposées intentions cachées. Le Premier ministre ne se voit plus jugé sur la pertinence de sa gouvernance, mais sur des considérations étrangères à l'exercice de sa charge. Cette pratique systématique relève moins du journalisme que du psychologisme de bas étage.
Les conséquences de cette dérive sont multiples et profondément nocives pour la démocratie. D'abord, elle appauvrit considérablement le débat public en substituant aux analyses de fond des polémiques stériles. Ensuite, elle contribue à éroder la légitimité des institutions elles-mêmes, confondant volontairement l'homme et la fonction. Enfin, elle instille dans le corps social une méfiance généralisée qui finit par saper les fondements mêmes du contrat républicain. Ce phénomène n'est pas sans rappeler les mécanismes décrits par le philosophe Jürgen Habermas sur l'espace public comme lieu de rationalisation du politique.
Face à cette situation, un sursaut éthique s'impose. Il convient de réaffirmer avec force le principe cardinal de la séparation entre l'homme et la fonction. Les médias, garants de la qualité du débat démocratique, devraient s'astreindre à une rigueur analytique qui distingue clairement la critique des politiques publiques de l'attaque personnelle. L'établissement de chartes déontologiques contraignantes pourrait constituer une première réponse à cette dérive.
Au-delà des seuls médias, c'est toute la société qui doit s'interroger sur son rapport au politique. La tentation du procès d'intention, la facilité de la polémique personnelle, révèlent une crise plus profonde de notre culture civique. Dans une démocratie mature, le débat doit porter sur les choix de société, non sur les hommes qui les incarnent. C'est à ce prix que nous pourrons préserver la sacralité des institutions républicaines.
Cette exigence de hauteur de vue n'est pas un luxe, mais une condition sine qua non de la pérennité de notre vie démocratique. À l'heure où de nombreuses démocraties à travers le monde voient leur espace public se polariser à outrance, le Sénégal gagnerait à montrer l'exemple d'un débat politique à la fois vigoureux et respectueux des principes républicains.
Assane NIANG
Spécialiste en Communication Institutionnelle
Formateur des Universités ( UA2M, ISEP)