La procédure d’urgence à l’épreuve du projet de loi modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal
La question de la procédure d’urgence a abondamment alimenté l’agitation contre le projet de loi en cause. Mais surtout, c’est dans ce procédé que des analystes mobilisent des arguments pour justifier leur suspicion contre l’action normative du Gouvernement. Ainsi, cet aspect du droit parlementaire mérite que l’on s’y attarde, au moins en deux temps.
I. Une procédure admise
Contrairement à la compréhension souvent médiatisée, la procédure d’urgence n’aboutit pas inéluctablement à une quelconque factorisation du parcours emprunté par le projet de loi. En effet, elle n’implique ni ne favorise l’escamotage du travail parlementaire. Pour preuve, l’essentiel de la procédure et l’étendue des prérogatives des députés sont préservées.
Les travaux de commission se déroulent conformément aux règles inscrites dans la loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, modifiée (RIAN).
Qui peut en être l’auteur ? Relativement à notre objet de discussion, la réponse à cette question a son siège dans l’article 73 du RIAN qui se lit en ces termes : « La discussion d'urgence peut être demandée sur les affaires soumises aux délibérations de l'Assemblée, soit par un nombre de députés au moins égal au dixième, soit par le Président de la République. L'urgence est de droit lorsqu'elle est demandée par le Président de la République. La demande faite par des députés est mise immédiatement aux voix, à mains levées lorsque deux avis contraires se sont exprimés. Si l'urgence est repoussée, l'affaire est examinée selon la procédure ordinaire. Si l'urgence est déclarée, l'Assemblée nationale fixe immédiatement les dates de la réunion de la commission compétente, et de la date de la séance plénière. Ce débat a priorité sur l'ordre du jour. Toutefois, lorsque l'urgence a été demandée par des députés, le Président de la République conserve la priorité, conformément aux dispositions de l'article 84 de la Constitution ».
Plus remarquablement, les députés conservent la plénitude de leurs prérogatives. En dépit du coefficient d’urgence affecté à la procédure, ils ont la faculté d’exprimer leur droit d’amendement au projet de loi. Cette composante essentielle de la fonction législative leur permet de proposer des modifications au texte en discussion.
C’est pourquoi, l’Assemblée plénière du 25 juin 2021 gagnerait en crédibilité et en efficacité si certains députés, au lieu de contenter la clameur et de se réjouir des incidents de procédure, s’étaient évertués à documenter les discussions sur le projet de loi à la lumière des conventions internationales signées, ratifiées et mises en vigueur par le Sénégal. En faisant prévaloir leur esprit constructif, le Peuple allait mieux s’approprier des enjeux réels du projet de loi et, consubstantiellement, ils auraient eux-mêmes opportunément exercé leur office parlementaire.
Dès lors, que faut-il interroger dans la procédure d’urgence ? Certainement, la gestion du temps. En procédure ordinaire, l’article 43 du RIAN prévoit que les commissions sont convoquées à la diligence de leur président par écrit et par voie de presse. Elles doivent l'être quarante-huit (48) heures, au moins, avant leur réunion. La convocation doit préciser l'ordre du jour. Par ailleurs, et là où se situe la réponse à notre interpellation, « elles peuvent, exceptionnellement, être réunies, séance tenante, en vue d'examiner soit des affaires pour lesquelles la discussion d'urgence est demandée, soit des amendements relatifs aux affaires en cours devant l'Assemblée ».
Dans les mêmes dispositions d’esprit, l’article 60, alinéa 2 du RIAN renseigne que « les projets et propositions sont distribués aux députés au moins dix (10) jours avant leur examen par la Commission compétente, sauf en cas d'urgence motivée ».
Il en résulte, conséquemment, que la procédure d’urgence en droit parlementaire sénégalais ne se réalise qu’à travers un réaménagement des délais de lecture des députés. Donc, l’accélération de la procédure consiste en un simple raccourcissement des délais dont les conséquences seraient marginales sur les prérogatives d’un député techniquement outillé ou politiquement organisé.
II. Une pratique nécessaire
« Qu’est-ce qui était plus urgent pour que ça puisse passer en urgence ? ». Cette question, telle un mot d’esprit, au sens freudien, est rapportée dans une récente publication. A l’évidence, les âmes politiques ont le don de rabâcher cette question.
Malgré tout, force est de dire que la procédure d’urgence n’est synonyme ni d’illégalité ni d’illégitimité, encore mois de démarche cavalière. Les arguments sont disponibles et mieux se prêtent à disceptation.
Pour y parvenir, le contexte doit être interrogé pour ne pas ignorer que le temps de la procédure ordinaire, dite normale, est à l’avantage des forces obscures du terrorisme. Sans doute, la désinformation a pu instamment semer le doute dans l’esprit et installer l’angoisse dans le cœur de bon nombre de nos concitoyens, qui sont pourtant tous ébranlés voire menacés par les affres du terrorisme sahélien. A n’en point douter, c’est un terrorisme barbare parce que moins sophistiqué qui impose un arsenal juridique adapté.
A bien des égards, « nous sommes actuellement dans le temps de l’urgence », comme l’indiquait, de manière retentissante, Georges Balandier en Séminaire de l’Ecole doctorale de Science politique de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne du 15 novembre 1999.
Ma foi, quel serait alors le sort du projet de loi évoqué si le temps était celui de la procédure ordinaire ou - et ce serait encore plus risqué – aurait été consacré à la recherche d’un consensus parlementaire ou national. Certes on est habitué à prêter au temps la vertu d’adoucir les choses, mais ce serait, dans le cadre du projet de loi en question, un vice au service de l’entreprise subversive du terroriste fanatique qui cohabite désormais avec un « terrorisme à col blanc » diffus dans les sphères politiques et économiques. Cette force de frappe politique ou la capacité à compromettre les actions gouvernementales est évidemment l’un des nouveaux visages du terrorisme.
D’ailleurs, c’est pour des raisons de même ordre que le Parlement français a récemment adopté la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, à la demande du gouvernement, en « procédure accélérée », en réaction intelligente à la très forte opposition de la part de la société civile, des journalistes, des organismes publics nationaux et internationaux et des associations de défense des libertés publiques.
Afin de conclure cette brève réflexion, je m’engage à recommander aux concitoyens de bien vouloir se défaire du corset réactionnaire de certains acteurs, qu’ils soient des politiques, des analystes ou des activistes, en méditant, dans une posture républicaine, cette célèbre citation : « C'est quand ton esprit est faible que tu prends conscience de l'urgence de réagir » !
Meissa DIAKHATE
Agrégé de Droit public, Ancien Assistant parlementaire
de la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains
de l’Assemblée nationale