Un Impératif pour l'Avenir

Devenue une fierté nationale entre les années 60 et 90, l'école publique sénégalaise a longtemps cultivé l'excellence, formant une élite dont les résultats rayonnaient sur tout le territoire. Elle était alors considérée comme la voie royale, et paradoxalement, certains élèves jugés "nuls" dans le public rejoignaient le privé. Des figures emblématiques de la nation, dans la politique, l'administration, l'université et bien d'autres sphères, sont les fruits de cet âge d'or de l'enseignement public. Un sentiment d'appartenance fort et une quête d'excellence animaient élèves et enseignants.
Aujourd'hui, la tendance s'est inversée. Face à une baisse tendancielle du niveau et des résultats dans le secteur public, les parents se pressent pour inscrire leurs enfants dans le privé, perçu comme un gage de meilleure qualité et de réussite. Cette situation alarmante soulève des questions cruciales quant au devenir de l'école publique, autrefois socle de l'égalité des chances.
Le déclin progressif de l'école publique ne saurait être imputé à un manque de compétence intrinsèque des enseignants. Nombre d'entre eux sont d'ailleurs sollicités et valorisés dans le secteur privé, où leurs qualités pédagogiques sont reconnues. La dégradation s'explique davantage par une conjonction de facteurs systémiques et conjoncturels.
Le clientélisme politique a insidieusement miné le recrutement des enseignants. Des nominations basées sur l'allégeance politique plutôt que sur les qualifications et la formation ont introduit des éléments moins préparés, impactant inévitablement la qualité de l'enseignement.
Parallèlement, les conditions de travail et d'étude se sont considérablement détériorées. La surpopulation des classes est devenue la norme, avec des effectifs dépassant largement le ratio préconisé de 40 élèves par enseignant. Dans certaines écoles, on observe des classes pléthoriques de 80, voire 100 élèves pour un seul professeur, rendant illusoire un suivi individualisé et un enseignement efficace. Le manque criard d'infrastructures et de matériel didactique aggrave la situation. Des salles de classe vétustes, un déficit en mobilier, l'absence de matériel de reproduction adéquat sont autant d'obstacles à un apprentissage de qualité. Le manque de salles va jusqu'à réduire le quantum horaire des matières, amputant le temps d'enseignement nécessaire à une assimilation complète des connaissances.
Les conditions de vie et les revendications légitimes des enseignants constituent un autre volet crucial de cette problématique. La disparité salariale flagrante avec le secteur privé et avec d'autres fonctions publiques nourrit un sentiment de dévalorisation et est à l'origine de grèves récurrentes. Les problèmes de statut et de pension contribuent également au malaise d'une profession pourtant essentielle à l'avenir de la nation.
Cette dégradation progressive a des conséquences profondes sur le système éducatif et la société sénégalaise dans son ensemble. Elle risque de créer un système à deux vitesses, où l'accès à une éducation de qualité devient tributaire des moyens financiers des familles, compromettant ainsi l'équité et l'égalité des chances, piliers d'une société juste et solidaire.
Face à ce constat, une revalorisation de l'école publique sénégalaise s'impose comme un impératif catégorique. Il est crucial de réinvestir massivement dans ce secteur fondamental, non seulement en termes de ressources financières, mais aussi en termes de volonté politique et de vision à long terme.
La priorité doit être accordée à une école publique accessible à tous, offrant un enseignement de qualité et des conditions d'étude dignes. Cela passe par la construction de nouvelles infrastructures, la réhabilitation des existantes, la dotation en matériel pédagogique adéquat et, surtout, par une politique de recrutement et de formation des enseignants rigoureuse et exempte de toute considération clientéliste.
Il est temps de redonner à la fonction enseignante le prestige et la reconnaissance qu'elle mérite. Cela implique une revalorisation salariale significative, une amélioration des conditions de travail et une prise en compte des revendications légitimes des enseignants concernant leur statut et leur pension. L'éducation est un investissement, et investir dans ceux qui forment les générations futures est le gage d'un développement durable et harmonieux pour le Sénégal.
L'école publique ne doit plus être perçue comme une option par défaut pour ceux qui n'ont pas les moyens du privé. Elle doit redevenir le creuset de la nation, le lieu où tous les enfants, quels que soient leur origine sociale, ont la possibilité de s'épanouir et de réaliser leur potentiel. Les enseignants qui œuvrent au sein du public font un travail remarquable malgré les difficultés, mais l'État doit impérativement prendre ses responsabilités pour leur offrir les moyens de leur mission.
Le jour où l'école publique sénégalaise retrouvera sa place d'antan, celle d'une institution d'excellence où tous les parents aspirent à inscrire leurs enfants, alors nous aurons fait un pas décisif vers un avenir plus juste et plus prospère pour le Sénégal. Il est temps de rendre à l'école publique la fierté qu'elle fut.
Ousseynou Owens Ndiaye
Journaliste autodidacte passionné des questions politiques et éducatives