Plus jamais ça ?
A chaque grande catastrophe mondiale, qu’elle soit politique, économique ou sanitaire, le monde se plait à répéter : ‘’Plus jamais ça.’’ Sans remonter très loin dans l’histoire, quelques exemples peuvent nous rafraîchir la mémoire.
Après la Première Guerre mondiale, le monde a dit : “Plus jamais ça.” Cela n’a pas empêché la seconde. Après la grande crise économique née du crash boursier de 1929, le monde a dit : “Plus jamais ça.” Cela n’a pas empêché les crashs de 1987 (taux d’intérêt), de 2000 (éclatement de la bulle Internet) et de 2008 (subprimes – Lehman Brothers). Après Timisoara (la révolution en Roumanie de 1989) qui a balayé la dictature de Nicolae Ceauscescu – et qui fut la première grande manipulation médiatique mondiale – le monde a dit : “Plus jamais ça.”
Cela n’a pas empêché la guerre du Golfe et ses fameuses armes de destruction massive, autre grand mensonge médiatique. Après la haine des Juifs, théorisée par certains intellectuels et pratiquée par le régime nazi, le monde a dit : “Plus jamais ça.” Cela n’a pas empêché la stigmatisation actuelle des musulmans ou leur rejet comme citoyens de seconde zone par des régimes démocratiques comme l’Inde de Modi et ses lois anti islam. Après l’apparition du sida, le monde a dit : “Plus jamais ça.” Et voilà qu’arrive la Covid-19.
Alors, l’histoire, comme perpétuel recommencement, théorie des cycles ou amnésie collective ? Certainement un peu de tout cela. Mais aujourd’hui la question centrale est de savoir à quoi va ressembler le monde de demain ?
Après l’ancien monde et le nouveau monde, quid du monde d’après ?
En 1992, Francis Fukuyama publiait “La fin de l’histoire et le dernier homme”. Dans cet essai, l’auteur prononçait une victoire éclatante du libéralisme économique et de la démocratie politique sur toutes les autres idéologies. Et la chute du mur de Berlin en 1989 en était la parfaite illustration. Le face-à-face Est–Ouest était terminé : l’Ouest avait gagné par KO. Durant et après les 30 glorieuses (1945 – 1975), la mondialisation s’était accélérée et avait gagné ses lettres de noblesse, elle était “heureuse”, comme le soulignait Alain Minc dans un livre éponyme paru en 1999. Malgré quelques soubresauts, le libéralisme et la démocratie étaient l’horizon indépassable.
C’était l’ancien monde.
Puis apparurent le populisme et le repli nationaliste. En vérité, ses racines sont plus profondes et les années 30 furent déjà un creuset assez fertile de ce phénomène.
Dans “La dernière trahison des clercs”, publié par Julien Benda en 1936, véritable pamphlet anti-élite, on peut retrouver les germes du populisme d’aujourd’hui. Ce populisme se veut le moteur d’un repli identitaire, premier rempart contre la mondialisation, donc contre l’ancien monde. Le protectionnisme, pendant économique du populisme, est devenu la nouvelle normalité. C’est la revanche des perdants (de la mondialisation) sur les gagnants. Les laissés pour compte de la révolution technologique, “ces gens qui ne sont rien”, pour citer Macron, ont pris leur revanche.
Au plan politique, cela se traduit par le mouvement des gilets jaunes en France, les élections de Narendra Modi en Inde, de Joao Bolsonaro au Brésil et de Donald Trump aux Etats-Unis, de Viktor Orban en Hongrie. Emmanuel Macron s’est donc trompé : le nouveau monde qu’il a pensé théoriser n’est pas la fin des clivages politiques, ni l’avènement des “start-up nations”, mais la résurgence des vieux démons nationalistes, populistes, protectionnistes et identitaires.
C’est ça le véritable nouveau monde.
Que sera alors le monde d’après ?
Le monde après cette crise de la Covid-19
Essayons, d’abord, de voir ce que la Covid-19 a révélé. Elle aura, tout de même, permis, entre autres, de constater certaines tendances lourdes :
· L’affirmation de la puissance chinoise. En effet, malgré quelques couacs au début, la Chine a quand même bien géré cette pandémie ; elle a fait preuve de résilience et fut l’ultime recours pour les masques pour beaucoup de pays occidentaux.
Le procès en mensonges sur les chiffres réels de contaminés et de morts qui lui est fait par les médias occidentaux, peut être intenté contre tout pays, a priori.
Il reste qu’au regard de la taille de sa population, on pouvait s’attendre à une catastrophe. Qui n’eut pas lieu.
Désormais, la Chine est aussi une puissance sanitaire.
· Le leadership incontestable de la chancelière allemande Mme Merkel qui a réaffirmé, si besoin en était, la solidité allemande. Critiquée, il y a quelques années, pour avoir accueilli un million d’immigrés, elle a démontré, à travers sa gestion de la crise, qu’elle était un véritable leader du monde actuel et que la solidarité n’était pas incompatible avec la rigueur dans la gouvernance de la chose publique.
· L’assertion “science sans conscience n’est que ruine de l’âme” n’a jamais été autant vérifiée que durant cette crise : un protocole, celui du fameux docteur français Didier Raoult, qui a fonctionné sous certaines conditions, a été cloué au pilori par une formidable association composée de pouvoirs publics, médias et firmes pharmaceutiques. Avec des conflits d’intérêts évidents. L’indécence se le disputait au ridicule. Hermann Goering disait : ‘’Je n’ai pas de conscience, ma conscience s’appelle Adolph Hitler.’’ Pour cette association (de malfaiteurs), il suffit de remplacer Hitler par sa majesté le dollar.
Cette pandémie a aussi montré les limites des politiques publiques, notamment en matière de santé. Le monde riche s’est retrouvé étrangement et paradoxalement impuissant face aux ravages d’un virus. Les industries 3.0 que sont l’Intelligence artificielle, le Big Data et l’économie de l’espace (succes de Space X de Elon Musk) n’ont pas été d’un grand secours. La planète a eu besoin plutôt d’usines pour fabriquer des masques – industrie 1.0 – s’il en est.
En définitive, les tenants de l’ancien monde ont fini de s’écrouler : les rois de la délocalisation sont nus, les élites mondialisées perdues, les prophètes de l’humanisme universel déchus.
Pour autant, l’hymne des “relocalisations” sera-t-il chanté ? Le nationalisme va-t–il définitivement gagner ? Le repli identitaire restera-t-il le nouvel Eldorado idéologique ?
Le produire et consommer local sera-t-il demain l’alpha et l’oméga des politiques publiques ?
Rien n’est moins sûr et bien malin celui qui pourra prédire avec succès le monde de l’après Covid-19.
Cependant, il existe un vrai risque pour que le monde d’après soit exactement comme le nouveau monde, c’est-à-dire le monde d’aujourd’hui. Quelques mesures symboliques peuvent être prises çà et là, mais il paraît peu probable qu’il y ait une révolution.
Pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que beaucoup de grands pays ont eu une lecture assez minimaliste de la crise. Les USA de Trump (plus de 100 000 morts), le Brésil de Bolsonaro (500 000 contaminés) et bien d’autres pays encore n’ont jamais vraiment cru à la dangerosité du virus.
Et le fait que les principales victimes ne soient pas dans leur “camp” fait peser sur eux un risqué électoral – le seul qui vaille vraiment pour les hommes politiques – relativement limité. Ils seront plutôt enclins à continuer à tracer leur route, et Covid-19 ou pas, les convictions de ces hommes politiques ne changeront pas d’un iota : l’économie primera toujours sur tout le reste, y compris la santé.
Ensuite, les peuples, dopés par un discours de plus en plus nationaliste et xénophobe, continueront à penser à “la fin du mois” avant “ la fin du monde” : le grand soir écologique, mondialiste et humaniste ne sera certainement pas pour demain. La Covid-19 n’aura été qu’une parenthèse vite refermée.
Enfin, le monde économique et financier, aussi bouleversé soit-il, continuera avec le même fonctionnement : ses structures, ses homes, sa philosophie… bref son système reste toujours le même : Goldman Sachs, BlackRock, la Fed, S&P, Bretton Woods, Gafam… auront toujours le même logiciel.
Mais alors, si rien ne change, à quoi aura servi la Covid-19 ?
Probablement à rien. Le monde n’a jamais appris de ses tragédies et de ses erreurs.
Quid de l’Afrique ? Pourra-t-elle continuer à “faire” comme avant ?
En vérité, la vraie question est de savoir si elle a les moyens de faire autrement ?
Pour le moment, il lui sera extrêmement difficile de changer la donne actuelle.
Les batailles essentielles d’aujourd’hui et de demain sont déjà perdues : la souveraineté, les données, l’information, l’Intelligence artificielle… l’eau et l’énergie (malgré les découvertes, çà et là).
Sur tous ces sujets, le continent est complètement absent ou empêtré dans des logiques où l’idéologie et l’irrationnel l’emportent parfois sur le simple bon sens.
Ce qui est valable pour l’Afrique l’est évidemment pour le Sénégal.
Pour notre cher et beau pays, le chantier est titanesque, presque impossible…
Ibrahima NGOM
Président-Directeur général
ING Capital SA