Publié le 11 Apr 2025 - 12:55
Le Sénégal à la croisée des chemins

sortir du piège budgétaire et bâtir une souveraineté économique durable

 

Consultant international, expert en gouvernance, stratégie et développement économique, il intervient auprès de nombreuses institutions publiques et privées en Afrique et en Europe.

Depuis plus d’une décennie, le Fonds Monétaire International (FMI) a avalisé sans grand état d’âme les choix budgétaires du Sénégal. Pourtant, les indicateurs macroéconomiques n’ont cessé de se détériorer : une dette publique qui tutoie les 110 % du PIB, un déficit chronique, une dépendance accrue à l’endettement extérieur. Aujourd’hui, un vent nouveau souffle sur le pays. Une gouvernance issue d’une volonté populaire claire est en place. Mais une question demeure : le FMI a-t-il mené le Sénégal en bateau ? Et surtout, comment en sortir ?

Une décennie de gestion sous perfusion

La gestion budgétaire du pays, sous perfusion pendant une décennie, a été marquée par une étonnante complaisance de la part du FMI. Sous couvert de croissance – souvent artificiellement soutenue par des projets financés à l’extérieur – plusieurs signaux d’alerte ont été ignorés. La dette publique a été contractée sans réelle évaluation de sa soutenabilité à long terme et de Grands projets d’infrastructures aux retours économiques différés ont été privilégiés. De ce fait, les investissements dits "structurants" n’ont pas généré de rendement économique immédiat, et l’économie est restée vulnérable aux chocs externes, faute de mécanismes de protection internes.

Il ne s’agit pas de désigner le FMI comme bouc émissaire, mais de lui demander des comptes, à travers un débat serein mais déterminé sur la manière dont les institutions financières internationales accompagnent les pays africains.

Le FMI n’est pas un arbitre neutre. Il défend une vision du monde façonnée par les intérêts des marchés et des bailleurs internationaux. Il est donc impératif que le Sénégal reprenne la main sur sa trajectoire économique.

Imposer un nouveau cap économique

La rupture démocratique actuelle offre une opportunité historique de réorienter le cap du pays. Il est désormais crucial d’adopter une stratégie économique fondée sur la souveraineté et l’efficacité. Cela passe par une réorientation budgétaire qui priorise l’investissement social (éducation, santé, agriculture) tout en restaurant les équilibres financiers. Il est également nécessaire de renégocier la dette du pays, en lançant un audit indépendant pour identifier les dettes illégitimes et en engageant des discussions fermes avec les créanciers. La gouvernance plus transparente, fondée sur une reddition de comptes rigoureuse promise doit être accélérée pour lutter efficacement contre la corruption.

Lever l’épargne nationale : au-delà des obligations d’État

Pour sortir du piège de la dette extérieure, le Sénégal doit diversifier ses sources de financement. Cela pourrait inclure la mobilisation de l’épargne nationale, notamment celle de la diaspora, par le biais d’obligations patriotiques comme cela est annoncé. La mobilisation de l’épargne nationale ne se limite pas à émettre des obligations d’État souscrites par les citoyens ou la diaspora. Elle suppose également des mécanismes simples, accessibles et ancrés dans le quotidien des Sénégalais, notamment :

La mise en place de comptes d’épargne développement pour les ménages à faibles revenus, rémunérés et garantis ;

La bancarisation de l’épargne informelle, via des produits simples distribués à travers les mutuelles, les fintechs ou les services postaux ;

La création de produits d’investissement participatifs (fonds locaux, tontines encadrées, coopératives agricoles digitalisées).

Des pays comme le Maroc, le Rwanda, l’Indonésie ou encore l’Inde ont utilisé avec succès ces outils pour :

Financer des projets d’intérêt national sans s’endetter à l’international ;

Renforcer le sentiment de participation citoyenne à l’effort national ;

Réduire leur dépendance aux marchés extérieurs.

Le Sénégal peut s’en inspirer pour construire un système financier endogène, inclusif et résilient.

La création d’un fonds souverain transparent, destiné à canaliser les ressources naturelles pour des investissements à long terme, est également essentielle. Il est également crucial de renforcer les partenariats Sud-Sud, loin des cadres contraignants imposés par le FMI et la Banque mondiale. Enfin, il convient d’appeler les investisseurs à impact, ceux qui allient rentabilité et utilité sociale ou environnementale.

Organiser la riposte : les nouvelles autorités doivent imposer un cap

L’investissement public doit être ciblé, territorialisé et productif. Il est important de soutenir massivement l’agriculture et l’agro-industrie pour assurer la souveraineté alimentaire du pays. L’industrialisation locale permettra de valoriser les ressources naturelles du pays et de limiter les importations. Les infrastructures intelligentes – dans les secteurs du numérique, de l’énergie et de la logistique – seront essentielles pour l’intégration régionale. Le capital humain, avec un accent particulier sur l’éducation technique, la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat des jeunes, sera au cœur de cette stratégie. Le cap est clair Une stratégie d’investissement ambitieuse et productive

Anticiper les revenus des ressources naturelles

Avec l’arrivée prochaine des premières recettes issues des ressources naturelles, notamment du gaz et du pétrole, le Sénégal doit rester vigilant pour éviter la "malédiction des ressources". Il est impératif d’établir un cadre légal rigoureux pour la gestion des revenus extractifs. Ces ressources doivent être affectées à des secteurs prioritaires tels que l’éducation, les infrastructures et l’innovation, et une stratégie prudente et diversifiée doit être adoptée, sans mettre tous les œufs dans le même panier des hydrocarbures. Ainsi le Sénégal doit rester sobre et progressif : le gaz et le pétrole ne doivent pas devenir l’unique horizon

Le FMI face à ses responsabilités

Le FMI ne peut aujourd’hui se dérober à ses responsabilités. En validant des politiques budgétaires déconnectées des réalités socio-économiques et en tolérant une gestion opaque de la dette, il a largement contribué à l’enlisement actuel du pays. En avalisant des politiques de fuite en avant, sans exiger de réformes structurelles profondes ni transparence, il a partagé la responsabilité de l’échec. Le Sénégal doit poser une exigence claire de redevabilité, non seulement vis-à-vis du FMI, mais aussi dans un débat plus large sur le rôle des institutions financières internationales en Afrique. Le FMI ne peut aujourd’hui se laver les mains des déséquilibres qu’il a validés.

Mener l’offensive diplomatique et juridique

Le Sénégal peut, et doit, mener une diplomatie offensive pour exiger plus de transparence et de responsabilité de la part du FMI. Cela pourrait inclure la constitution d’une coalition africaine et la création d’une dynamique internationale en faveur de la transparence. En outre, le pays pourrait envisager de commander un audit indépendant de la coopération Sénégal-FMI au cours de la dernière décennie. Sur le plan contentieux, le Sénégal pourrait explorer la voie des tribunaux arbitraux internationaux en cas de faute grave ou de négligence. Il serait également judicieux de s’allier avec des ONG et des juristes spécialisés pour renforcer l’argumentation et soutenir des initiatives citoyennes ou parlementaires pour plus de transparence.

Reprendre le pouvoir sur notre destin

Le Sénégal n’a pas besoin de plaintes. Le Sénégal n’a pas à quémander. Il a à décider. Il a besoin de courage politique. Il est temps de reprendre le contrôle de notre trajectoire économique, de définir un modèle endogène de développement fondé sur nos ressources, notre jeunesse et notre vision. Le FMI n’est pas l’ennemi. Mais il ne doit plus être le pilote. Le FMI n’est pas au-dessus des peuples. Il est temps de bâtir un partenariat respectueux et responsable, fondé sur les intérêts fondamentaux de notre Nation.

Il appartient désormais à nos nouvelles autorités de transformer la rupture démocratique en souveraineté économique réelle, en refusant les distractions politiciennes, en s’attaquant aux vrais enjeux, et en donnant au peuple sénégalais les moyens de maîtriser son avenir.

Le moment est venu de bâtir un modèle endogène de développement, adossé à nos réalités, nos talents, nos ambitions.

Par Amar THIOUNE

Section: 
Mon analyse sur Trump et ses tarifs douaniers
Lettre ouverte aux ministres chargés des Transports, de l’Intérieur et de la Sécurité publique
De la responsabilité de la Cour des comptes ?
Vers l’autosuffisance, la fin des importations de pommes de terre et d’oignons : Une décision stratégique à accompagner
L’éducation sexuelle des adolescents
Sénégal : Une agriculture à bout de souffle face aux défis climatiques et structurels
DENOMINATION DU BOULEVARD DE GAULE : DEBAPTISER DE GAULE POUR REBAPTISER MAMADOU DIA EST UNE  HERESIE HISTORIQUE
ADOPTER UNE METHODE CARTESIENNE POUR REALISER LES POLITIQUES PUBLIQUES
Diomaye–Sonko : Entre espoirs de rupture et critiques précoces, quelle voie pour un Sénégal en transition ?
Le changement climatique met à nu les défaillances de l’Etat et attise la violence au Sahel
Repenser le développement touristique au Sénégal : Une stratégie d'innovation et de diversification
Mahammad Boun Abdallah Dionne ou la fierté d’être sénégalais
Valdiodio Ndiaye à l'épreuve des options mémorielles des pouvoirs politiques : Pour une reconnaissance nationale à la hauteur de l’Histoire
AN 1 DU PROJET PASTEF : Une transition complexe
Chroniqueurs en roue libre, journalistes sous silence : Qui défend encore ce métier ?
« NUREMBERG BIS » EN GESTATION
Reddition des comptes : Ne pas commettre les erreurs des précédents régimes
Le vent de la révolte a soufflé*
REVISITER L’HISTOIRE DE LA SÉNÉGAMBIE ANCIENNE Sur les traces de Ca Da Mosto (1455-1456)
Le Sénégal retourne au FMI, par manque de stratégie de souveraineté