Publié le 1 May 2013 - 09:25

Les défis du « Contribuabilisme »

 

 

«I’M A TAX-PAYER». Chaque fois qu’un citoyen anglo-saxon s’exprime ainsi, ce n’est point pour se plaindre de la diminution de ses moyens de subsistance, mais pour exprimer une fierté. La fierté de faire partie des personnes qui entretiennent la bonne santé financière de leur pays. C’est aussi une façon de rappeler ses droits à un interlocuteur qui aurait semblé l’ignorer ou l’oublier. C’est encore l’expression la plus légitime de sa citoyenneté et de son appartenance à une nation qui se construit ; une nation où chaque individu  dispose d’une part de responsabilité qu’il se doit d’exercer pleinement. Ne dit-on pas : «Qui paie commande ! »

Le génie de ce peuple anglo-saxon est d’avoir incrusté dans le cœur des populations le lien qui existe entre la contribution fiscale et l’acquisition des droits civiques, dès le début de la lutte pour l’indépendance. L’un des précurseurs de cette prise de conscience se nomme Henry David Thoreau. L’histoire rapporte que ce dernier a refusé un jour de payer l’impôt que lui réclamait un agent de la gendarmerie municipale. La raison était qu’il ne voulait pas participer au financement de la guerre contre le Mexique, dans laquelle son Etat s’était engagé. C’était en  juillet 1846, dans l’Etat du Massachusetts, aux Etats-Unis d’Amérique. Ce fut le point de départ d’un long combat pour la désobéissance civile. M. Thoreau affirmait que la désobéissance civile n’avait de sens que si elle revêtait un caractère économique. Il acceptait de payer l’impôt pour l’entretien des routes ou la construction des écoles, mais n’envisageait nullement de renforcer les capacités financières des Etats du Sud Esclavagistes. Cet acte de courage et de détermination inspira plus tard l’écrivain russe Léon Tolstoï, le pasteur baptiste africain-américain Martin Luther King, l’étudiant indien de l’université d’Oxford Mahatma Gandhi…et tant d’autres. A l’issue du combat de Thoreau, il était désormais admis « l’idée qu’un seul citoyen puisse se dresser contre son gouvernement, en son âme et conscience, afin d’être en accord avec les principes constitutifs de son Etat». Et la force motrice qui l’a toujours guidé est l’appréciation à sa juste valeur, du geste qui consiste à se priver d’une partie de son patrimoine financier et de le mettre entre les mains d’un Etat pour la réalisation d’objectifs précis. D’ailleurs, un ami rappelait à juste raison, cette boutade : «les américains ont deux certitudes dans leur vie : la mort et les redevances fiscales annuelles! ». C’est ce que nous avons tenté d’appeler «l’esprit contribuabiliste ».

En effet, le concept de «contribuabilisme» peut être défini comme une doctrine qui vise à placer l’acquittement des impôts et des taxes au cœur de l’expression de la citoyenneté : se sentir utile à sa nation ; se porter garant des investissements effectués par l’Etat au nom des  contribuables ; être regardant sur l’exécution des dépenses  de l’Etat.

Cette notion trouve également son sens dans la religion. Du moins, c’est l'une des valeurs fondamentales de la culture islamique pratiquée par le Compagnon du Prophète Oumar Ibn Khattab depuis la structuration durant son khalifat, du Trésor Public (Bayti Maal). Il avait poussé les limites de l’Etat Islamique jusqu'au pays des Afghans et à l’Est de la frontière chinoise. Par conséquent, il avait considérablement élargi les bases de son assiette fiscale. Malgré toute cette richesse, lorsque les Sahabas ont envoyé sa fille Hafça, qu'ALLAH (SWT) l'agrée, pour lui proposer l’augmentation de son salaire, il lui répondit ceci : « le Messager d'Allah (Seydina Mouhamed PSL) a estimé les choses. Il a dépensé le surplus comme il convenait et s'est contenté du strict nécessaire. Moi aussi j'ai estimé les choses et, par ALLAH (SWT), je vais dépenser le surplus comme il convient et je vais me contenter du strict nécessaire. »

D’après la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE), dans son « Rapport sur la situation économique et financière en 2011 et perspectives 2012 » il était prévu en 2012, une somme de 2074 milliards FCfa de dépenses de l’Etat du Sénégal. Ce montant devrait être financé à hauteur de 1422 milliards, par les recettes fiscales. 1422 milliards constitués de 375.6 milliards d’impôts directs, 949 milliards d’impôts indirects, 59.4 milliards de droits d’enregistrements et timbres et 38 milliards de fonds de sécurisation des importations de produits pétroliers. Nous pouvons constater ici que l’impôt indirect représente près de 70% de cette manne financière. Il est pourtant qualifié d’impôt indolore. C’est à dire lorsque nous effectuons une dépense courante (pour l’achat d’une brosse à dents ou de « guerté thiaf »), au supermarché, à la boutique du coin ou sur une table de marchand ambulant, nous contribuons sans nous en rendre compte pour plus de deux tiers des recettes de l’Etat du Sénégal ; notamment le salaire du Ministre, la dotation d’alcool de l’hôpital d’Ourossogui ou la craie utilisée par le maître d’école qui se trouve à Andoulaye ! 

Quant aux 375.6 milliards de l’impôt direct, les sociétés régulièrement installées au Sénégal n’y participeraient que pour 113 milliards, au moment où 225 milliards seraient directement ponctionnés sur le revenu des sénégalais (salariés ou autres personnes physiques), qui pour la plupart peinent à se soustraire de l’engrenage d’un déficit  financier mensuel permanent. Moins de 500.000 personnes s’acquittent de leur impôt sur une population active qui avoisine les 7.500.000 habitants. Les 250.000 salariés sont généralement au Sénégal les seuls à se plaindre de l’impôt direct car ne pouvant y échapper. Cette partie des recettes fiscales est retenue à la source sur les bulletins de salaire. Le défi serait de donner la possibilité à chaque citoyen de cette population active et à hauteur de sa capacité contributive, de verser un minimum d’impôt. C’est non seulement pour renforcer la démocratie mais  cela place les sénégalais à égale dignité puisqu’ils auront tous participé à la prise en charge des dépenses publiques.  

Si nos compatriotes acceptent tous ces sacrifices, ce n’est sûrement pas pour financer des déplacements d’hommes politiques sénégalais à Paris, Malibu ou dans les Iles Barbades, prêts à allumer la mèche pour faire exploser leurs caprices de jeunesse. C’est pourquoi, il appartient à chaque sénégalais de s’armer d’un « esprit contribuabiliste ».

L’Etat doit certes, effectuer des dépenses. Encore faut-il, qu’elles soient acceptables aux yeux des populations. Et les principales conditions d’acceptabilité sont : qu’elles soient avant tout raisonnables pour ne plus avoir recours aux surfacturations ; qu’elles soient ensuite bénéfiques, afin d’avoir un impact réel sur le bien-être des sénégalais et que cela ne souffre d’aucune controverse (un ancien maire a osé déclarer il y a quelques années : « Qui aurait cru que le Sénégal allait, un jour, avoir un tunnel ? » ; il était juste émerveillé !) Et finalement, ces dépenses publiques doivent être imputables à un budget (ni de dépassement budgétaire, ni de dépenses hors budget). La rigueur dans la gestion des affaires publiques amène parfois de grandes personnalités à payer les frais de leurs dérapages incontrôlés. Ce fut le cas du Président Américain Bill Clinton, qui a pris le malin plaisir à retarder de quelques minutes l’atterrissage d’Air Force One afin de finir son rasage. Le Congrès Américain exigea de lui qu’il rembourse ces minutes supplémentaires, qualifiées de dépenses inéligibles car non raisonnables, non bénéfiques et non imputables. 

Le Sénégal n’en serait pas là avec l’affaire des biens supposés mal acquis si toutes les personnes impliquées étaient imprégnées de cet « esprit contribuabiliste ». Quand on découvre l’ampleur de la prévarication, alors que le minimum vital nécessaire à la survie des populations fait terriblement défaut, on ne peut s’empêcher d’être indigné. Il y a deux mois, un enfant est tombé par accident du quatrième étage d’un immeuble avec une jambe ballante, une mâchoire et un poignet cassés. Ses parents ont fait le tour des hôpitaux de Dakar de 17 heures à 04 heures du matin pour lui trouver un lit. Lorsque j’en ai discuté avec un Professeur de Médecine, il me fit comprendre « qu’il existe seulement 150 lits de traumatologie pour toute la région de Dakar. Ces 150 lits répartis entre les trois principaux hôpitaux de la capitale (Aristide Le Dantec, Principal et CTO) couvrent les 2.000.000 d’habitants de la capitale ; soit 1 lit pour 13334 personnes. C’est, en outre, sans prendre en compte les besoins des autres régions du Sénégal ainsi que ceux de la sous-région frontalière qui, malheureusement, dépendent de ces 150 lits de traumatologie. » Il poursuit, sur un ton sec : « Tu as pu le  constater toi-même, il n’y a présentement aucun lit disponible à Dakar. Si par malheur (Nianou niouko Yalla), deux bus entraient en collision, tout de suite, la moitié des passagers serait dans un état critique, faute de prise en charge correcte. » C’est terrifiant !

Rien que pour cela, nous ne devons qu’afficher du mépris, face à l’arrogance de certains de nos gouvernants qui ne se rendent pas compte qu’ils tirent l’essentiel de leurs moyens de subsistance de l’effort permanent des vaillants contribuables sénégalais (en moyenne 10% de croissance des recettes fiscales par an depuis la dévaluation en 1994). C’est le cas depuis le temps des Royaumes du Cayor et du Baol pourrait-on dire. Cependant, dans le Sénégal d’aujourd’hui, le contribuable aimerait, en retour,  ressentir du fond de son cœur, qu’il participe à l’amélioration des conditions d’existence de ses concitoyens. Le contribuable mérite du respect et de la considération. Il exige l’humilité et le sacerdoce. Il n’attend pas que des Directeurs, Ministres ou Conseillers gagnent des bases électorales. Mais le contribuable espère que ces derniers règlent ses problèmes quotidiens de fourniture d’électricité, d’accès à l’eau potable, de fréquentation d’infrastructures sanitaires et éducatives adéquates. En réalité, les contribuables sénégalais ne peuvent plus assister au spectacle affligeant qui consiste à redistribuer le fruit de leur  dur labeur à des « clients-militants » pour la quête d’une légitimité politique.

Notre attitude à l’égard des utilisateurs de nos deniers publics devrait désormais être plus rationnelle, plus responsable et plus participative. Notre attitude serait aussi, celui d’un employeur vis-à-vis de son employé. Nous devons, sans plus tarder bannir la lâcheté et la complicité passive. Nous avons constaté que, pour la plupart des fautes reprochées aux mis en cause dans l’affaire des biens supposés mal acquis, beaucoup de sénégalais - avocats, notaires, experts comptables, fonctionnaires de l’Etat - en savaient un bout. Les techniques listées par le procureur de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), sont tellement sophistiquées qu’elles ne pouvaient pas être opérationnelles sans l’appui de tous ces cadres. Si les faits sont avérés, je suis en droit de me demander comment ils ont fait pour organiser une conspiration d’une telle ampleur sur le dos des contribuables sénégalais.  Un « esprit contribuabiliste » refuse, non seulement tout compromis face à une entreprise de pillage de ressources publiques, mais ira plus loin en dénonçant cela dans les instances les plus solennelles (Assemblée Nationale, séance de délibération de Conseil Municipal, etc…) ou celles moins conventionnelles (jurys populaires, presse etc…). Le reste pourrait être le travail des services fiscaux. Le fisc peut parfois redresser bien des torts dans une société.  Avec toutes les infractions commises, Al Capone aux Etats Unis, a toujours échappé à la justice de son pays, parce qu’il cachait très bien son jeu. Il a fallu l’intervention du fisc pour qu’il tombe. 

Les Wolofs ont raison de dire que « kouy doundé your (cervelle), bou raamé ba yégue thi sey mbag (épaule), fakhassal». Le Sénégal a irréversiblement changé. Le signal fort issu de l’exaltante aventure des Assises Nationales est passé par là. C’est ce qui a permis à ceux qui somnolaient de tomber sur ceux qui dormaient profondément. Tout le monde s’est précipitamment réveillé ! Il faut maintenant, remettre de l’ordre dans cet insoutenable tohu-bohu. Un débat philosophique doit être engagé dans chaque domaine de notre vie économique et sociale. Les Assises avaient commencé ce travail qui il mérite d’être continué, dans le seul but de protéger « Les Chefs » contre eux-mêmes, comme le disait un de mes ainés ! Rek Sénégal dieum kanam !

Cheikh Oumar SY

BES DU NIAK

28 avril 2013

Cofsy@hotmail.com

 

 

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