DES ENERGIES FOSSILES ET FISSILES AUX ENERGIES RENOUVELABLES
Les catastrophes naturelles liées aux inondations et aux tornades qui continuent de secouer la planète terre ces dernières années en causant beaucoup de dégâts matériels et humains interpellent notre conscience et notre responsabilité écologique. Ainsi, la conférence de Kyoto a été l’expression d’une prise de conscience des fondements de notre sécurité climatique mais aussi de la qualité de notre environnement. Elle a encouragé l’abandon progressif des énergies fossiles à faible qualité environnementale, l’arrêt de la prolifération des centrales nucléaires pour des questions de sécurité liées au péril radioactif, tout en recommandant leur substitution par une transition vers les énergies renouvelables. La lutte des mouvements écologistes et anti-nucléaires a eu pour résultat de détourner la volonté des politiques vers des options moins favorables à la prolifération des énergies fossiles et fissiles.
Les autorités sénégalaises, pour diversifier les sources de production d’énergie électrique, ont malheureusement opté pour la construction de centrales à charbon et à gaz, sans tenir compte des enjeux géopolitiques et environnementaux susceptibles de perturber, en cas de troubles civils ou militaires, l’approvisionnement en combustible, de provoquer des catastrophes naturelles et de dégrader nos sols. Le récent projet de construction d'une centrale à charbon de 250 MW sur le site de Bargny Minam (30 km de Dakar) par Kepco, une société d'électricité sud-coréenne, permettant de produire la moitié des besoins en électricité du Sénégal, est vanté grâce à ses impacts bénéfiques sur la baisse des tarifs. « Le tarif de cession de l’énergie par Kepco à la SENELEC est fixé à 68 francs CFA par kilowatt heure.
La centrale coûtera plus de 300 milliards de francs CFA et permettra d’économiser 42 francs CFA/kWh, soit environ 2.662 milliards de Francs CFA pendant la durée du contrat de 25 ans », selon les mots des autorités sénégalaises. Il faut noter que ces avantages ne sont possibles que si les prix restent constants pendant toute cette période, ce qui est très improbable. Les urgences sont mauvaises conseillères ! Selon nos estimations la prise en charge de l’éclairage domestique par le photovoltaïque devrait couter environs 400 milliards de francs CFA amortis au maximum dans une durée de dix ans selon le montant de la contribution forfaitaire fixée au consommateur. Nous n’avons pas tenu compte du marché du carbone qui a connu un important succès d’exportation pour la réduction des émissions des gaz à effet de serre et pour le contrôle du réchauffement climatique fixé à moins de 2°C lors du sommet de Copenhague en 2009.
Cela veut dire, que si le kWh de la centrale au charbon revient à 68 FCFA à la SENELEC pendant 25 ans, il coutera, dans le cadre des systèmes photovoltaïques isolés généralisés (SPIG), zéro FCFA au consommateur sénégalais après 10 ans de service. Le Sénégal ne gagne donc rien en voulant s’assujettir à une dépendance technologique et économique de 25 ans liée à la technologie des groupes électrogènes et au prix fluctuant du combustible, le charbon. L’action gouvernementale doit être encadrée par une vision portée par un concept et traduite par une stratégie efficace et durable. Il faut voir tôt, il faut voir grand, il faut voir loin. En outre, la Chine est entrain d’inonder le marché mondial par des produits solaires à bon marché qui mettent à l’épreuve toute concurrence. Les produits solaires chinois, de par leur qualité tant décriée par les occidentaux en guise de propagande malveillante, envahissent de manière surprenante les marchés américains et européens. La chute vertigineuse des prix a entrainé une perte considérable de parts de marché pour certaines entreprises américaines et européennes qui n’ont pas tardé à réagir par des mesures de rétorsion vigoureuses. Les américains adoptent des mesures antidumping en relevant les taux de leurs tarifs douaniers sur les produits solaires chinois à plus de 30% et les Européens entre 37% et 68% , ce qui indique un écart significatif entre les prix pratiqués.
Des voix s’élèvent cependant pour alerter les opinions publiques et politiques que de telles mesure protectionnistes peuvent conduire à des pertes d’emplois sur la chaine de valeur du photovoltaïque car le marché du solaire est très sensible au prix. Le sens de la justice sociale devrait recommander une attitude démocratique plus inspirée par le génie et le système chinois caractérisés par leur capacité à produire à bas prix pour en faire profiter les larges masses à faible pouvoir d’achat au lieu de les vouer aux gémonies. C’est une question démocratique et de droits de l’homme. Néanmoins, nous saluons les contrats noués avec des entreprises chinoises par le gouvernement du Sénégal en matière d’énergie solaire tout en décourageant et désavouant ceux établis avec des sociétés américaines ou européennes qui nous coûtent souvent deux fois plus chers.
Le dit prix du kWh et les économies supposées réalisées ne prennent pas en compte l’instabilité et l‘évolution du marché des combustibles en général et du charbon en particulier sur une période de 25 ans. Le charbon est un combustible fossile d’origine organique utilisé par les centrales à charbon pour produire de l’électricité avec un rendement moyen d’environ 30% suivant un mécanisme similaire à celui des autres centrales thermiques (gaz, fuel, nucléaire). Malgré le caractère bon marché du charbon, son expansion a été toujours limitée par la concurrence du pétrole et du gaz naturel au cours des trois dernières décennies. Il a été abandonné à cause de son pouvoir de pollution très élevé en faveur des autres combustibles fossiles tels que le pétrole et le gaz relativement moins polluants. Mais, la montée insupportable des prix du pétrole et du gaz combinée à la demande mondiale insatiable de l’économie et de la société en énergie a remis au goût du jour les centrales à charbon. Un accroissement sans précédent a caractérisé la production mondiale de charbon pendant les années 2000 et particulièrement la période 2000-2007 avec un taux de croissance annuelle moyen de 4,8 %. Le prix du charbon a été multiplié par 5 entre 2003 et 2008, mais cette forte progression n’a pas impacté sur les coûts du pétrole et du gaz qui demeurent toujours moins chers.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit entre 2007 et 2035 une hausse de 43 % des émissions mondiales de gaz carbonique. Une partie importante de ces émissions est imputable au charbon, du fait d’une augmentation d’environ 50 % de sa consommation mondiale, soit un accroissement annuel de 2 %. Il est très probable que la tendance haussière des prix suit la courbe de croissance de la demande. L’importance des réserves estimées à environ 120 ans, soit plus que le gaz naturel (65 ans) ou le pétrole (40 ans), conjuguée aux coûts d’exploitation avantageux des centrales à charbon, aux contraintes liées à la satisfaction de la demande croissante en électricité ainsi que les préoccupations géopolitiques rendent attractif le bon vieux charbon. Cependant, la prolifération des centrales à charbon pose de sérieux problèmes environnementaux qui annulent tous ces avantages économiques. Elles représentent une source de pollution atmosphérique (poussières, NOx, SO2) et d’effet de serre (CO2) incomparable. En dépit de ces inconvénients, certains pays en font massivement recours pour répondre à leurs besoins de croissance même s’il est vrai que la majorité des pays signataires du protocole de Kyoto veillent à réduire leur consommation de charbon. Ce sont les rares pays qui produisent le charbon qui majoritairement en consomment. Cette remise en cause des recommandations de la conférence internationale de Kyoto traduit une incapacité des décideurs á satisfaire les besoins de l’humanité en électricité à haute qualité environnementale mais aussi cachent mal leur irresponsabilité face à la menace de notre sécurité écologique. Toutefois, pour relever les importants défis environnementaux, des techniques de captage et de stockage du CO2 et des techniques de « charbon propre » telles que la désulfuration et la dénitrification alliées à l’augmentation de l’efficacité et des rendements des centrales à charbon sont développées et mises en œuvre pour réduire l’impact sur l’environnement.
En résumé, le mix énergétique doit reposer sur un concept de transition énergétique orienté vers les énergies renouvelables mais ne devrait signifier en aucune façon un retour au modèle énergétique du 20ème siècle. L’entrée dans une nouvelle ère énergétique est un défi qui marquera le 21ème siècle. La transition énergétique axée sur le solaire représente un enjeu stratégique incontestable en termes de fournitures énergétiques, de qualité environnementale, de développement industriel, d’emplois, de savoir et de savoir-faire. Le photovoltaïque est une alternative incontournable des politiques de souveraineté énergétique. L’électricité photovoltaïque sera économiquement compétitive dans les toutes prochaines années, si elle ne l’est pas encore. Les prix du photovoltaïque tendent à baisser, tandis que ceux des combustibles fossiles tendent à augmenter.
La filière photovoltaïque se présente comme un élément de réponse durable à la demande d’énergie électrique qui ne cesse de croitre. Elle progresse rapidement et régulièrement en termes d’efficacité énergétique, de baisse des couts et de compétitivité grâce aux résultats des recherches scientifiques et technologiques. La stratégie solaire s’appuie sur la formation de professionnels qui disposent d'une puissante expertise technique et qui prennent parfaitement conscience des enjeux technologiques, géopolitiques et environnementaux s’inscrivant dans l’avenir des énergies renouvelables. Elle nous offre la possibilité de travailler à l’émergence de solutions technologiques et économiques durables qui nous permettent de minimiser les effets de la fluctuation photovoltaïque sur le réseau, de maitriser l’intégration photovoltaïque au bâtiment par les tuiles solaires, de développer des serres agricoles solaires, de profiter du potentiel et des nombreuses applications de l’énergie solaire. Si nous voulons vivre dans une prospérité durable et protéger efficacement le climat, la gestion parcimonieuse et économe de nos matières premières mais aussi et surtout de nos ressources énergétiques est un impératif absolu et incontournable.
L’enjeu est donc de développer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique afin de garantir une sécurité et une disponibilité énergétique partout et pour tous. L’Afrique ne doit pas rater la révolution industrielle basée sur les innovations technologiques de l’énergie solaire en particulier. Telle la révolution industrielle basée sur l’électronique et le numérique, la révolution industrielle basée sur les énergies renouvelables a de fortes promesses. L’Arabie saoudite, grand pays producteur de pétrole, en voulant investir plus de 103 milliards de dollars dans le solaire, a parfaitement compris le sens de l’enjeu. La France veut diminuer la part du nucléaire dans la production de l’électricité de 75 á 50% en 2025, mais augmenter celle des énergies renouvelables à hauteur de 23% en 2020 et de l’efficacité énergétique de 20% tandis que l’Allemagne vise à atteindre au moins 50% d’énergies renouvelables en 2030 et sortir complètement du nucléaire en 2022. La transition photovoltaïque réduit la dépendance et renforce la souveraineté énergétique tout en créant de l’emploi et de la valeur ajoutée.
L’Afrique en général et le Sénégal en particulier doivent contribuer à l’émergence du nouvel ordre environnemental en s’interdisant de ne pas favoriser l’inquiétante tendance vers un retour au charbon dans la production de l’électricité.
Dr. Abdoulaye TAYE
Enseignant-Chercheur à l’Université Alioune DIOP de Bambey
Tél : 77 413 14 49