Et si la gratuité partielle aidait à réduire la consommation d’eau ?
La mobilisation des ressources en eau dans le monde est confrontée à nombreuses difficultés relatives à la disponibilité, à la répartition géographique, à la diversité des sources, aux moyens mis en œuvre dans tout le processus visant à fournir une eau de qualité aux populations.
Rappelons, selon les travaux du ''WATER RESSOURCES GROUP 2030'', que les ressources en eau sont utilisées à 71 % pour l’agriculture, 16 % pour l’industrie et 13 % pour l’usage domestique qui nous concerne directement.
Dès lors, il y a un enjeu de taille pour la gestion de cette ressource confirmée par les projections de demande en eau. Il est établi, en effet, que d’ici une vingtaine d’années, c’est à dire à l’horizon 2030, il y aura une augmentation des besoins à hauteur de 4500 à 6900 milliards de m3, soient 40 % au niveau mondial et de 50 % dans les pays émergents en particulier.
A cela s’ajoute le fait que plus d’un tiers (1/3) de la population mondiale vivra dans des zones à stress hydrique dans lesquelles se retrouveront des pays et régions moteurs de la croissance économique.
Pour conjurer cet état de fait qui pourrait nous amener droit au mur, il est nécessaire de donner une place prépondérante à la maîtrise des ressources en eau puisqu’étant le premier jalon de la chaîne avant la distribution d’eau potable et l’assainissement des eaux usées dans le sens d’une réutilisation.
Les solutions passent, au-delà des gros investissements à consentir, par l’augmentation de la productivité et de l’offre en l’accompagnant d’une diminution ou modération de la demande.
A propos de cette demande qui est un corollaire de la manière de consommation et des problèmes de gaspillage, il nous faut mettre en œuvre des méthodes innovantes de paiement du service par les usagers comme la gratuité partielle.
A première vue, il peut sembler chimérique lors qu’on s’en tient à la spécificité capitaliste du secteur de l’eau ; c’est pour reconnaître un semblant antagonisme que d’aucuns pourraient le retenir et donc approfondir la réflexion.
Les éléments justificatifs de nature capitaliste de ce secteur, bien que nombreux, ne seront pas développés dans cette présente contribution mais retenons à titre d’exemple qu’une concession dans l’eau ne suit pas la même logique qu’une concession d’une autoroute par exemple.
En effet, pour le cas d’une autoroute, les gros investissements vont en ordre décroissant avec des coûts relativement constants et modérés pour l’exploitation et la maintenance (marquage au sol, changement de glissières, réparation de feux et de nids de poule sur la chaussée etc.). Pour cette raison, il est souvent retenu, dans le lancement des appels d’offre, l’enchère de type LPRV traduit par ''Least Present Revenue Value'' (selon les publications de Engel, Fisher et Galetovic – 1997,2001) qui consiste à faire une actualisation des flux financiers prévus sur une période donnée de l’exploitation des ouvrages.
Par contre, dans les concessions du secteur de l’eau, les gros investissements jalonnent tout le processus au point qu’une entreprise pourrait ne pas respecter un engagement contractuel qui lui imposerait de construire une nouvelle station de traitement, par exemple, à quelques trois (3) années de la fin de son contrat; les raisons peuvent être cherchées en considération du délai de récupération qui deviendrait caduque s’il n’existe pas de clauses de reversement sur la valeur résiduelle au cas ou la reconduction du contrat n’est pas effective.
Nous n’épiloguerons pas sur le contenu des types de contrats utilisés sous le vocable anglo-saxon de ''Franchisse Bidding'' (avec toutes les variantes de types BOT, BOOT et ROT ou encore les contrats SPOT relativement aux contrats de gestion et aux contrats de service) sans oublier les principes de ''Price cap'' et de ''Cost plus'' qui consiste à payer le prix réel des intrants qui sont mobilisés pour le service et de l’accompagner d’un paiement supplémentaire.
Pour fermer cette parenthèse dont l’objectif est de démontrer la réalité de ce caractère capitaliste du secteur de l’eau, il est nécessaire d’y ajouter les difficultés de mise en œuvre qui surviennent à la sélection et à l’octroi du contrat, à la mise en œuvre du contrat et à la réattribution (fin du contrat) tel que abordé par le Pr Freddy HUET de l’université de Nice en France et, dans une large mesure, par les théories de Demsetz et Posner qui prônent une concurrence unidimensionnelle dans l’octroi des contrats à l’opposé de la théorie multidimensionnelle soutenue par Williamson et Goldberg pour ne citer que ceux-là.
Toutes ces considérations dont l’impact financier est réel sur la gestion du secteur ne sauraient encourager une théorie qui sous-tend la gratuité alors que l’idéal est que le secteur puisse se rémunérer de lui-même.
Le domaine du possible étant infini, les experts économistes et autres pourront réétudier la mode de facturation pour le cas du Sénégal en allant dans le sens d’appliquer une gratuité de la première tranche de la facture d’eau dite sociale; il s’agit d’exempter de paiement de l’eau toute facture dont la consommation ne dépasse pas les 19 m3 par bimestre avec une possibilité de revoir ce palier à la hausse.
Il est évident qu’un manque à gagner apparaît mais vite juguler par la possibilité de le récupérer au niveau des tranches qui suivent et par le truchement d’une augmentation des tarifs de façons graduelle.
N’est-ce pas là, une manière de faire payer plus les réputés plus riches à la place d’une majorité dite pauvres ? C’est tout juste une justice sociale qui tend à rééquilibrer la société et à procéder à une redistribution des dividendes qui ne dit pas son nom.
L’avantage d’une telle mesure est maintenir les consommations à un niveau raisonnable car, d’un point de vus psychologique, le ménage est conscient qu’en dépassant ce quota gratuit, le montant de la facture va augmenter substantiellement par rapport à la facturation en vigueur.
Un autre avantage serait d’éviter les agressions sur le réseau de distribution d’eau potable ou les vols incessants qui empirent les pertes d’eau non-facturée (estimées entre 20 et 75% dans les pays moins développés) au-delà des pertes réseaux et autres pertes commerciales ; la logique voudrait qu’on ne soit pas en infraction dès lors qu’on dispose du minimum pour assurer le quotidien.
Aussi, des retombées peuvent être attendues sur le plan mondial du fait de cette volonté, en adoptant la gratuité partielle, de faire de l’eau un droit comme le préconisent les Nations Unies.
Cependant, il serait hasardeux de verser dans la simplicité et de vouloir faire passer les choses comme lettre à la poste. Il sera, en effet, nécessaire de faire des études approfondies sur plusieurs domaines pour rassurer sur l’applicabilité et la durabilité d’une telle approche même si la volonté politique l’encourage résolument.
Ces études devront prendre en compte certaines considérations dont le niveau de consommation qui n’est pas, à l’évidence, plus fort au niveau des riches que chez ceux qui le sont moins. Des erreurs de dimensionnement de réseaux d’assainissement dans des quartiers de haut standing sont apparues du fait que les préjugés de grands débits étaient diamétralement opposés à la réalité ; ces maisons dans ces quartiers ne sont fréquentés qu’une fois dans le mois pour ne pas dire dans l’année et ne seraient que des maisons de passage.
C’est, entre autres, une raison supplémentaire à disposer d’une expertise avérée en matière de statistiques, de maîtrise de la base de données des consommations d’eau sur une période significative, de fluctuation du nombre de populations comme à l’image des grandes villes religieuses dont la population peut passer du simple au triple suivant les événements.
Papa Samba DIOP
Doctorant en Sciences de gestion /
Membre de l’ACASE (Amicale des Cadres des Sociétés d’Eau)