Publié le 22 Oct 2015 - 09:11
LIBRE PAROLE

Le salut public

 

"Toute vérité est une route tracée à travers la réalité", nous apprend Henri Bergson. Il est de coutume, surtout depuis Abdou Diouf, qu’à peine le Président de République élu, que fusent de partout, parfois dans son propre camp, les critiques, reproches et railleries les plus acerbes, les plus ubuesques et les plus kafkaïens. Or, à chaque alternance, le rêve est de transformer le tonneau des Danaïdes en mât de Cocagne.

Actuellement, on a assistance à un élan de suivie de l’opposition qui essaie d’unir ses forces et ressources au sein de l’Assemblée. A quelle fin ? Il est vrai que la beauté de la nature réside dans la variété de ses couleurs. Telle une mosaïque, cette union reflète la beauté mais peut-on mélanger les choux et les carottes dans la sphère politique comme le ferait Penda Mbaye pour notre plat national ? En voulant vouer aux gémonies le Président Sall et son système, on semble conjuguer au passé les rancœurs d’hier et le "plus jamais ça" du peuple du 23 juin. Donc, la préoccupation doit être ailleurs.

Avec WADE, la nouvelle donne exigeait de dépasser les clivages politiques traditionnels inadéquats et inaptes à résoudre les problèmes du pays en finissant avec les faux débats et autres oppositions artificielles et stériles. C’était cela aussi une forme de revendication du Peuple du 25 mars 2012 aussi avec la grande coalition Bennoo Bok Yakaar. Elle s’inscrit en faux contre le pessimisme ambiant et l’atmosphère anxiogène sans cesse relayée par certains médias. Aujourd’hui, le Sénégal a les moyens d’agir, de sortir de la crise cristallisée par des débats personnalisés sans intérêt aucun et de retrouver le chemin de l’émergence économique, sociale et culturelle  soutenue par un dialogue politique sensé, apaisé et constructif pour le salut public.

Cette nouvelle République, qu’on nomme la République du sérieux et de la vertu est le revers de l’abandon. Il faut savoir que le pessimisme est une humeur à partir de laquelle il est impossible de construire et d’avancer. L’optimisme, lui, est un état d’esprit qui, seul, permet de surmonter les difficultés et de franchir les obstacles. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un optimisme béat qui serait ridicule mais d’un optimisme au contraire lucide. C’est celui-là qui permet de progresser. 

Et de lucidité, on ne doit pas en manquer parce que les attentes des populations nous invitent à dépasser l’opposition stérile et systématique et à œuvrer en communion. Elle appelle à la mobilisation générale de tous bords, par conséquent, capable de s’adresser à toutes les composantes de la société, d’en réunir tous les représentants légitimes et leur demander, face à la Nation, en toute transparence et élégance, de répondre clairement et concrètement, à la seule et unique question qui vaille : à quoi sommes-nous prêts pour aider notre Sénégal à s’en sortir, à quels efforts, à quelles actions, à quelles initiatives, à quelles concessions, à quels sacrifices ? Cartes sur table. Tous masques laissés au vestiaire.

En fonction de cette hiérarchisation des gros avantages et des petits passe-droits, des privilèges de fortune ou de statuts, héréditaires ou catégoriels, l’obligation de répondre sans faux-semblants, sans échappatoires, à cette interpellation publique : pour permettre que notre pays s’en sorte, nous sommes prêts à quoi ? A quel sacrifice, à quel renoncement, à quelle remise ou restitution, à quel apport, de nous, compte tenu de ce que la nation nous a apporté, de ce qu’elle nous a permis de construire ou de conserver, de ce que nous pesons grâce à elle, de l’assistance ou des soutiens qu’elle nous a prodigués, elle peut attendre ? Que nous renoncions à quoi ? Que nous consentions à quoi ? Que nous lui rétrocédions quoi ? Individuellement ou collectivement ? En tant que corps ou en tant que personne ?

En l’absence de cette impérieuse interrogation, le Sénégal peu à peu s’affaisse. Pas simplement à cause des indépendances mal négociées, d’une fédération ou confédération précipitées, d’un diktat des institutions de Bretton Woods, mais sans doute à cause de nous, de nos égoïsmes et de nos corporatismes, de nos frivolités et de nos cloisonnements. A cause, également et surtout d’un système politico-administratif démoniaque au sein duquel les uns et les autres ont pu caler, paresseusement, leurs illusionnismes de confort et leurs aveuglements partisans, leurs certitudes binaires et leurs exclusivismes manichéens.

On s’en sortira par un vaste et puissant transfert du passif à l’actif, du négatif au positif, de l’immobile au dynamique, de ce qui pèse à ce qui propulse, de ce qui plombe à ce qui soulève. Il faut rompre, et maintenant, avec la vision binaire qui veut qu’il n’y ait de choix qu’entre l’austérité et la relance, alors que c’est la nécessité absolue de la relance qui exige l’extrême rigueur. Il faut savoir que la rigueur implacable, mais juste, qui constitue le fer de lance d’une puissante relance. On réduit les dépenses gabegiques parce que c’est la seule façon de permettre des dépenses utiles. L’Etat se dégraisse, parce que l’Etat doit se muscler pour investir. L’Etat s’allège, parce que son action doit se durcir. Ce n’est ni la croissance contre l’austérité ni l’austérité contre la croissance, logique archéo-libérale s’il en est. C’est l’austérité assumée qui permet d’introduire le plus de chevaux possibles pour renforcer le moteur de la croissance.

Le salut public fait appel au rassemblement et au silence pour se consacrer au travail. Il invite tout un chacun à participer, et pas seulement financièrement, à proportion de ce que la société lui a apporté, lui apporte ou de ce qu’il en soutire, au Bonheur Collectif. Il ne s’agit plus d’entasser les taxations à la petite semaine, de sauter d’un bouche-trou à l’autre, compulsivement, de façon aussi incohérente qu’illisible. Cela exige une mise à plat total. Plus de tricheries, plus de camouflages, plus de calculs.

Pourquoi ce que le pays doit à tous ces pans de la population active ne serait-il pas mis en parallèle avec ce que ponctionnent, aux dépens de la collectivité publique, ceux qui vivent à ses crochets ou lui tondent la laine sur le dos, et ne lui rétrocèdent, de mauvaise grâce, que le moins possible. Qui croit qu’on s’en sortira que si nous ne sommes pas capables de refaire « Nation » en même temps que « République », c’est-à-dire nous redécouvrir en tant que Sénégal.

Nous, sénégalais, devons faire corps et âme pour nous constituer UN. Point de différenciation ethnique, sociale, professionnelle, politique ou confessionnelle. Et c’est cela que le Sénégal a de beau et de vrai, d’unique et de spécifique. Une mobilisation dans une mobilité univoque pour le salut public.

C’est cette union de nos forces vives qui détermine cette résurrection tant prônée par tous les Chefs de l’Etat, comme toutes celles qui ont permis, depuis Blaise Diagne, à notre pays de rebondir et même de bondir. Elle ne sera pas, cette résurrection, la résultante laborieuse de reculades tactiques répétitives, de compromissions permanentes et de décisions molles. Elle ne s’épanouira ni dans la flasque ni dans le flou. L’urgence appelle à ce qu’on jaillisse des tranchées, qu’on cisaille les fils de fer barbelés, qu’on renverse les barrières et les murailles, qu’on franchise les lignes de démarcation. Ainsi libérés de tous les clivages, les acteurs, de tous horizons, se fédèrent autour d’un projet, d’une perspective, d’une direction, d’une finalité et d’une volonté pour enfin asseoir l’alternative après l’alternance. Ce n’était pas le cas hier, parce que le « rêveur ». Ça doit être le cas aujourd’hui, parce que le « réaliste ».

Aujourd’hui, on a rangé au musée des antiquités « la République bling-bling et des gyrophares » pour installer la sobriété dans la gestion publique. Malheureusement, on le constate encore souvent et trop souvent, le retour de la République de la verve injurieuse au sein de l’échiquier politique et dans l’univers médiatique.

L’opposition, quant à elle, joue une partition connue d’avance, qui n’a d’autre objectif que d’alimenter des polémiques politiciennes, partisanes, bien éloignées des légitimes préoccupations de l’Etat et du peuple sénégalais.

On doit admettre que c’est l’action et non la parole qui a toujours permis à tout Etat développé, même aux heures les plus sombres de son histoire, de tenir bon, en surmontant les obstacles et en bravant les dossiers de ceux qui se croyaient intouchables, pour imposer, porter et réaliser ensemble, le projet de salut public que réclame le Peuple sénégalais.

C’est en cela que l’opposition doit se réformer et changer de méthode. S’opposer est en démocratie, ce que le vent est au feu. Il attise le grand mais éteint le petit. Et dire que le Sénégal est un pays de démocratie, c’est se livrer au jeu de Lapalisse. Une grande démocratie est sous-tendue par une grande opposition. De nos jours, celle-ci doit troquer ses binocles du hâbleur de rue, crachant dans la soupe gouvernementale au risque d’être antinationale et inconsciemment antipatriote, en bésicles de l’ophtalmologue pour proposer des remèdes au mal qu’elle croit susceptible de nuire.  L’opposition de négation est surannée, démodée et obsolète. Celle qui est à la mode, parce que salutaire, est une opposition de participation, de proposition et de veille. Elle doit être en alerte et se comporter en veilleur de nuit, en vigile et en sentinelle pour signaler les dangers.

Repousser la barrière ? Non ! La Sauter ?oui ! Pour cela, il s’agit de sortir des chantiers battus et d’éviter l’éternel recommencement. Le devoir de tout un chacun est d’accompagner les bonnes politiques gouvernementales, et surtout dans la critique juste, pour avancer et réussir au nom du Salut Public.

Refusant le travail de Sisyphe encore plus que le sort des sœurs Danaïdes, nous devons pagayer Sunugaal pour le sortir des eaux troubles et nauséabondes de la mer rendue houleuse par l’argent sale et facile, par le lucre, la triche et le rêve infantile d’être milliardaire parce qu’on fait de la politique. Il jette à la figure la triste réalité de la vie qui a poussé l’autre à fredonner ces vers : « Travailler c’est trop dur et voler ce n’est pas bon ».

L’alternative dans cette seconde alternance c’est de s’armer de courage politique, de maturité sociopolitique et de patience religieuse, dans la persévérance et l’abnégation. Ainsi, on s’apercevra qu’on n’est pas tombé de Charybde en Scylla.

Mouhamadou Mounirou SY

Docteur en Droit/ Enseignant-Chercheur

Université de Thiès

 

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