Le projet adopté, l’opposition rue dans les brancards
Malgré les récriminations de l’opposition, la loi sur la refonte du fichier électoral a été votée hier.
L’opposition et la majorité n’arrivent toujours pas à parler le même langage sur la refonte du fichier électoral. Hier, les deux parties ont transféré le débat à l’Assemblée nationale au moment de l’examen de la loi relative à la refonte partielle du fichier. Celle-ci a d’ailleurs passé comme lettre à la poste malgré les réticences de l’opposition.
Cette loi vise en effet à débarrasser le fichier électoral de son stock mort. Dans l’exposé des motifs de ladite loi, il est fait état d’‘’une moyenne annuelle de 30 000 personnes décédées qui figurent toujours dans le fichier. Il s’y ajoute un taux de 1,8% d’électeurs qui changent de domicile sans modifier leur adresse électorale ainsi qu’un nombre impressionnant de cartes non retirées depuis la refonte de 2005-2006 et qui sont estimées à plus 300 000’’. A cet effet, note l’exposé des motifs, la population électorale réelle apparaît surévaluée, engendrant une masse d’électeurs inactifs appelée ‘’Stock mort‘’. C’est dans le but d’apporter des correctifs à cette situation que le gouvernement a jugé nécessaire pour tout électeur établi sur le territoire national ou à l’étranger, de procéder à la confirmation de son inscription sur les listes électorales. Dans la même veine, il est prévu le couplage de la refonte avec la création d’une carte d’identité biométrique à puce pour la CDEAO.
Ces motifs évoqués n’ont pas convaincu de sitôt l’ensemble des parlementaires. Après l’exposé du rapporteur, le député Mamadou Faye a été le premier à soulever une question préalable. Selon le parlementaire, ce projet de loi avait été déjà déposé avant d’être retiré par le gouvernement pour non-concertation avec l’opposition. ‘’Il faut un consensus autour de la question pour un renforcement de la démocratie’’, a déclaré M. Faye.
Suivant les règles du processus, le président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse a donné la parole au président de la Commission des lois pour apporter des précisions à l’hémicycle. Sur ce point, Samba Diouldé Thiam rétorque que le gouvernement n’a pas expliqué à l’Assemblée nationale les raisons du retrait du premier projet de loi. ‘’La recherche du consensus n’est pas un mode ordinaire de décision. Il est prévu des cas où l’on requiert l’arbitrage du président de la République en dernier ressort’’, souligne-t-il. Pour sa part, le rapporteur Maguette Diokh croit savoir que l’Assemblée nationale n’est pas directement liée à ce qui se passe entre l’opposition et le gouvernement.
Carte communautaire d’identité biométrique
Toutefois, le député Thierno Bocoum pense que le texte initial a été ramené et les points de divergences reconduits. ‘’C’est un projet soumis à la majorité par le président de l’Alliance pour la république (APR) alors que la question concerne tout le pays. On est dans une régression démocratique, c’est du forcing’’, a dénoncé le chargé de la communication du parti Rewmi. ‘’Les deux projets de loi ne sont pas les mêmes. Le premier compte 8 alinéas et 8 articles alors que le second est composé de 13 alinéas et de 9 articles’’, rétorque le député Abdou Mbow. En ce qui concerne la refonte du fichier, le porte-parole adjoint de l’APR pense que la présence de l’électeur à la commission électorale est l’audit le plus fiable pour le fichier. Mais pour le Grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop, le gouvernement doit mesurer les risques liés à la confirmation sur les listes électorales.
‘’Il faut s’attarder sur l’opportunité d’une telle décision car il n’est pas évident que les citoyens aient les moyens pour aller confirmer leurs inscriptions sur le fichier électoral’’, prévient-il. Plus catégorique, Mamadou Diop Decroix estime que l’Etat pouvait utiliser un autre moyen pour auditer le fichier électoral. Il propose ainsi ‘’de recruter des étudiants afin de consulter les registres de décès et les comparer au fichier électoral pour voir le nombre de décès. De la même manière, ressortir la liste des émargements depuis 2012 pour déterminer le nombre d’électeurs’’.
Aïssata Tall Sall, pour sa part, reste sceptique sur la confection des cartes communautaires d’identité biométrique qui seront détenues par tous les ressortissants de la CEDEAO. ‘’Tous les détenteurs de cette carte ne seront pas exclusivement des Sénégalais. Comment pourrait-on ériger un rideau de fer entre les électeurs sénégalais et les ressortissants de la CEDEAO. Il faut des garde-fous à ce niveau’’, avertit le maire de Podor. Mamadou Lamine Diallo de son côté s’est préoccupé du marché des cartes d’identité biométrique et la gestion de données personnelles qui seront utilisées.
Double nationalité
La question de la double nationalité est revenue au cours des débats. A ce propos, Abdoulaye Makhtar Diop déclare que la question doit être laissée aux experts. Il précise toutefois que la constitution sénégalaise est formelle. ‘’Tout Sénégalais qui acquiert une autre nationalité perd celle d’origine. Et si on renonce à la nouvelle, il faut formuler une demande au président de la République pour retrouver sa nationalité sénégalaise’’, rappelle-t-il. Pour Aïda Mbodj, son parti n’a aucun problème avec la double nationalité. ‘’Nous sommes en phase avec le ministre. Seulement, on se demande pourquoi exiger aux candidats de renoncer à leur nationalité cinq ans avant les élections’’, se demande le député libéral.
Abdoulaye Daouda Diallo (Ministre de l’Intérieur) ‘’Il n’y a pas meilleure révision que celle-ci…’’ ‘’Le Président avait demandé de retirer la première proposition de loi dans le cadre de la session ordinaire de l’Assemblée nationale. Et c’était le seul point qui avait fait l’objet de six séances de débat. Le nouveau projet de loi a enregistré beaucoup de modifications dans la forme comme dans le fond. Désormais, il faut détenir la nouvelle carte biométrique à compter de janvier 2017. La présence physique est obligatoire pour l’obtention de cette carte. Après l’installation de la commission électorale, le citoyen doit aller confirmer si oui ou non, il souhaite participer à ce fichier électoral. On peut détenir la carte et prévoir de ne pas participer aux élections. Il n’y a pas meilleure révision que celle-ci de par sa transparence et sa mise en œuvre ; même les partis politiques sont invités dans les commissions électorales. La carte électeur biométrique n’est délivrée qu’une seule fois. Il faut savoir que le désaccord est inévitable dans un débat. On peut discuter sur certaines questions pendant deux ans sans trouver de consensus. On ne peut pas retourner en commission pour des questions qui ne trouveront jamais de consensus comme le bulletin unique, le système électoral, l’augmentation du nombre de députés… Sur la question de la double nationalité, il faut savoir que l’exclusivité de la nationalité sénégalaise est une exigence de la Constitution pour toute personne qui ambitionne de devenir président de la République’’. |
HABIBATOU TRAORE