Les recommandations de la société civile
Les mécanismes de lutte contre la corruption au Sénégal ont fait l’objet d’une étude réalisée par l’avocat Moustapha Ka, en partenariat avec plusieurs ONG telles que Transparency International et le Forum civil. L’expert y fait des recommandations en vue de l’application effective de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption, le Sénégal a ratifié, le 15 février 2007, la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (CUAPLCC) adoptée à Maputo le 11 juillet 2003 et entrée en vigueur en août 2006. Un cadre propice à l’harmonisation des mécanismes de lutte contre la corruption dans la région et dont la mise en œuvre a fait l’objet d’une étude réalisé avec l’expertise de Moustapha Ka, Avocat général près la Cour d’appel de Dakar.
Dans son rapport, l’ancien directeur des Droits humains affirme que le dispositif sénégalais de prévention et de lutte contre la corruption comporte de nombreux aspects positifs dont certains ont été réalisés après l’adhésion à ladite convention. Il s’agit, entre autres, de l’axe 3 du Plan Sénégal émergent ‘’Gouvernance et institutions, paix et sécurité’’, de la mise en place de l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac), l’Inspection générale d’Etat (IGE), la Cour des comptes, la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei)...
Cependant, malgré les efforts déployés, le Sénégal reste dans la zone rouge, en raison des insuffisances notables nécessitant des efforts. Selon l’expert, l’autonomie financière de l’Ofnac a besoin d’un renforcement en vue d’une gestion directe de son budget.
Ainsi, l’organe doit connaitre une gestion directe et autonome de son budget. Ce qui constitue un critère déterminant dans l’évaluation de l’indépendance des organes nationaux anticorruption. En outre, le Sénégal doit modifier la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 afin de doter l’organe de pouvoir de sanction contre les assujettis qui ne font pas leur déclaration de patrimoine. Les membres de l’Ofnac doivent, eux aussi, se soumettre à la déclaration de patrimoine avant et après cessation de fonctions. Il plaide également pour un renforcement des attributions de la police judiciaire, en la dotant du pouvoir de décider de l’arrestation et de la garde à vue des personnes sur qui pèsent des indices sérieux de corruption. ‘’La loi doit obliger le procureur de la République à saisir immédiatement un juge d’instruction, lorsqu’il reçoit un rapport d’enquête de l’Ofnac, comme c’est le cas en matière de blanchiment. Les mesures que voilà peuvent être prises en compte dans un avant-projet de loi modifiant le Code de procédure pénale ou dans la loi de modification de la loi créant l’Ofnac. L’avant-projet de loi sur l’accès à l’information est une exigence de conformité pour accroitre la transparence, notamment dans les marchés publics’’, lit-on dans le document.
Par ailleurs, le droit interne doit prendre en compte toutes les formes d’abus de fonction et mieux régir la responsabilité pénale des chefs d’entreprises privées en matière de corruption.
Une autre recommandation est de combler le quasi vide juridique quant au financement des partis politiques. La tâche consistera à accroitre le plaidoyer pour l’accès à l’information et à élaborer un avant-projet de loi sur le financement des partis politiques. Au titre des codes de conduite, des projets de Code de la Fonction publique et du Code de déontologie de la gendarmerie nationale et de la police ainsi que des codes de conduite de toutes les administrations dans la chaîne de transparence doivent être adoptés. Sous le bénéfice du volet financier de la répression, le Sénégal est invité à modifier sa législation nationale, en vue de prendre en compte le recouvrement des avoirs à l’étranger, la restitution des avoirs saisis ou confisqués sur demande d’autorité judiciaire étrangère et la définition des clés de répartition desdits avoirs.
Dans le cadre de la gestion des ressources naturelles et du contrôle des sociétés étrangères, l’Initiative de transparence des industries extractives doit songer à élaborer et rendre public un manuel de procédures relatif notamment à l’octroi des titres et permis, au suivi des opérations, au recouvrement des recettes et clarifier les mesures du niveau fiscal incitatives accordées aux sociétés extractives.
Pour la mise en œuvre effective de la Convention au Sénégal, Moustapha Ka insiste sur le rôle des organisations de la société civile qui doivent veiller à accroitre la transparence dans la désignation de leurs représentants au niveau des administrations publiques. Pour y parvenir, ‘’les OSC et les médias doivent réserver dans leurs plans de communication un axe sur la communication en matière de respect du bien public. Les OSC doivent, autant que possible, vulgariser les instruments nationaux et internationaux de lutte contre la corruption, se conformer au délai de production des rapports périodiques destinés aux organes des traités et appuyer l’Etat dans la mise en œuvre des recommandations issues des sessions d’évaluation pays’’, détaille-t-il.
Le rôle de la société civile et des médias s’apprécie à différents niveaux, ajoute-t-il, en citant le cadre de la lutte pour la conformité technique du droit national à la CUAPLCC et dans la mise en œuvre dans l’appui au processus d’adhésion et dans l’éducation et à la formation des citoyens au respect des biens publics. En d’autres termes, la société civile doit mettre l’accent sur la commande d’études pour identifier les faiblesses du dispositif et proposer des pistes de réforme au gouvernement.
Par ailleurs, l’implication de la société civile et des médias à l’éducation au respect du bien public demeure primordial. Pour atteindre cet objectif, l’expert propose un renforcement de leurs actions de prévention en milieu scolaire, pour mieux préparer les élèves, les enseignants et administrateurs des écoles au respect du bien public. Sur le plan des procédures judiciaires, l’Etat doit étendre le régime juridique de détention avant jugement applicable au détournement et soustraction de deniers publics à toutes les infractions prévues par la CUAPLCC.
EMMANUELLA MARAME FAYE