L’autonomisation semencière, mère de toutes les batailles
Au-delà de la priorisation politique des systèmes semenciers paysans (SSP), les leaders et agents techniques des associations de femmes rurales (AFR) membres du mouvement panafricain Nous sommes la Solution (NSS) estiment que la lutte pour la souveraineté alimentaire au Sénégal et dans la sous-région ouest-africaine passera inéluctablement par l’autonomisation semencière paysanne.
‘’Nous devons arrêter de confier nos ventres à ceux qui ne sont pas prêts à nous nourrir et qui sont prompts à fermer leurs banques semencières quand ils veulent. Nous sommes fatigués d’être accrochés aux autres. Notre objectif principal est l’autonomisation semencière pour ne plus faire recours à l’Occident’’. Plus qu’une invite ou encore un cri du cœur, ces propos de Sia Anne Marie Kamano, responsable en Guinée du mouvement panafricain des femmes rurales (AFR), sonnent comme un cri de détresse face au ‘’néo-colonialisme semencière’’ dont souffrent les communautés sénégalaises et de la sous-région ouest-africaine.
Selon elle, les communautés doivent préserver leurs valeurs et leurs identités qui sont incluses dans la semence paysanne. Cette conviction d’Anne Marie qui résonne, par ailleurs, comme un véritable appel au ‘’retour aux sources’’, est partagée par la soixantaine de leaders et agents techniques des associations femmes rurales (AFR) membres du mouvement panafricain Nous sommes la Solution (NSS). Venus de huit pays de l’Ouest africaine prendre part à la 2e édition du camp international de formation sur l’agroécologie paysanne (Sifap) tenue du 10 au 17 septembre 2023 au centre de formation et de démonstration sur les bonnes pratiques agricoles paysannes ‘’Karonghen Wati Naaning’’ de Niaguis, à une quinzaine de kilomètres de Ziguinchor, ces participants ont tous réaffirmé que l’autonomisation semencière est la clé de la lutte pour la souveraineté alimentaire en Afrique.
C’est la raison pour laquelle depuis plus d’une dizaine d’années, l’AFR s’évertue à ‘’reprendre le contrôle de l’alimentation, par le biais de la semence paysanne afin de rompre avec la ‘’dépendance, les pénuries et les déficits fictifs’’ que l’Afrique a connus, par exemple, durant la Covid-19 et avec le conflit en Ukraine justifie Famara Diédhiou, chargée des programmes à l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (Afsa). Pour lui, la semence est un élément crucial dans le système de production ou dans les systèmes alimentaires. C’est ce qui explique, dit-il, pendant plusieurs décennies, l’existence de politiques et de pratiques qui ont fait croire et continuent de faire croire aux agriculteurs et producteurs africains que la production de semences est réservée à un type d’acteurs bien déterminé.
Et pourtant, ajoute-t-il, jusqu’aux années 60, les agriculteurs et les paysans ont su sélectionner leurs semences, les reproduire et assurer l’alimentation. ‘’En vérité, cette semence dont nous parlons, nous sommes les meilleurs à la maitriser et au-delà, toute la biodiversité qui s’y trouve. Quand on parle de biodiversité, c’est pour éviter de se limiter à un système semencier constitué de blé, de riz et de maïs, puisque de plus en plus, ce sont les principales céréales qu’on est en train de forcer à l’humanité’’, regrette M. Diédhiou.
Ce dernier estime que ‘’le blé doit être une option secondaire ou tertiaire dans le système alimentaire en Afrique de l’Ouest.
Expliquant le choix du thème de la 2e édition du camp de Niaguis qui était axé autour de la production de semences horticoles et maraichères paysannes, Mariama Sonko, présidente du mouvement Nous sommes la Solution, est convaincue qu’il est ‘’temps de refuser de dépendre des semences hybrides ou améliorées faites d’organismes génétiquement modifiés (OGM) parce qu’elles ne concourent pas à l’autonomisation financière durable des femmes africaines. Dans le même sillage, l’expert paysan agroécologiste, Bélimgnégré Abdoul Razack du Burkina Faso, prône, quant à lui, pour ‘’le retour aux sources’’ et ‘’aux pratiques endogènes’’ dans un contexte d’insécurité alimentaire mondiale. ‘’On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire en Afrique tant qu’on n’est pas souverain en semences paysannes. L’autonomie paysanne commence toujours par l’autonomie de la semence. Il faudrait que les agriculteurs africains arrivent à produire leurs propres semences, à les sélectionner, à les multiplier dans les différents champs et fermes. Si nous laissons perdre nos semences paysannes, nous perdons notre dignité. Et la dignité paysanne commence par la semence paysanne. Voilà tout le sens de notre combat’’, fait-il savoir.
Priorisation politique des systèmes semenciers paysans et droits des agriculteurs
Tout comme l’agrobiologiste guinéenne Anne Sia Kamano, les acteurs qui gravitent autour de la lutte pour la souveraineté alimentaire, par le biais de l’autonomisation semencière paysanne, estiment que le combat sera de longue haleine, mais ne sera pas vain. C’est pourquoi, pour mener à bien cette ‘’mère des batailles’’, ils s’appuient sur la tenue de plaidoyers, les camps de formation en agrologie comme celui de Niaguis qui, au-delà de sa mission de sanctuaire mémorial, est une ‘’source vivante et féconde ou les générations présentes et futures, d’ici et d’ailleurs viendront s’abreuver et s’humecter des bonnes pratiques et savoir-faire paysans’’.
Comptant plus de 500 associations faitières réparties dans toute l’Afrique de l’Ouest, ce mouvement de femmes rurales, appuyé par l’ONG Fahamu Africa, s’adosse sur d’autres outils et mécanismes tels que la réalisation de fermes et de centres agrobiologiques, l’organisation de voyages ‘’d’imprégnation et de partage d’expériences à l’image de ceux tenus récemment à Ber Shaba à Sandiara et à la ferme agroécologique des 4 Chemins de Toubab Dialaw, les 18 et 19 novembre dernier. L’organisation de la foire de semences paysannes de Djimini, dans le département de Vélingara, s’inscrit en droite de la volonté des acteurs qui gravitent autour de l’agroécologie de redynamiser les circuits d’échanges et de plaidoyer pour les systèmes semenciers paysans (SSP).
Organisée chaque deux ans, cette foire vise aussi à ‘’renforcer les compétences des plateformes de promotion des SSP pour qu’elles puissent engager les débats au niveau local, national et régional, mais également à contribuer à la médiatisation des systèmes semenciers paysans pour un meilleur soutien politique’’, indique Mamadou Danfakha, chargé des programmes à Fahamu Africa, qui compte par ailleurs s’appuyer sur la pérennisation et l’institutionnalisation des camps de formation et de démonstration des bonnes pratiques et savoir-faire paysan.
Tenue à Dar Es Salam, en Tanzanie, du 14 au 17 aout 2023, la conférence panafricaine sur les semences paysannes, organisée par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (Afsa) et ses alliés, participe de la lutte pour l’autonomisation semencière en Afrique de l’Ouest. Cette rencontre vise à ‘’galvaniser une plus grande action en faveur de la priorisation politique des systèmes semenciers paysans et les droits des agriculteurs sur le continent’’, explique Famara Diédhiou, le chargé des programmes au sein de l’alliance.
Pour l’Afsa, ‘’les semences paysannes ne sont pas seulement les dépositaires de la diversité génétique, elles incarnent également les traditions, les connaissances et les identités de nos communautés agricoles’’. C’est pourquoi la conférence a réitéré son appel aux dirigeants pour qu’ils rejettent les technologies de la révolution verte qui ont échoué et veillent à ce que les gouvernements, les décideurs politiques, les producteurs de denrées alimentaires et les consommateurs du continent tracent leur propre voie vers des systèmes alimentaires et des pratiques agricoles durables et saines.
HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)