‘’Il faut que l’Afrique se prenne en charge (...) les méthodes onusiennes ont montré leurs limites’’
Macky Sall a présidé, hier, l’ouverture, à Diamniadio, de la 8e édition du Forum international sur la paix et la sécurité. En présence de différentes personnalités d’Afrique dont le président de la République d’Angola, d’Arabie saoudite, du Japon, de France, etc., il a partagé ses sentiments sur la gestion des conflits en Afrique.
La sécurité et la stabilité sont des enjeux cruciaux de développement. Si l’Afrique veut se développer, se construire et enclencher des dynamiques de changement, elle devra savoir prendre elle-même en charge les conflits qui ravagent le continent. Des propositions sont souvent faites et l’une des tribunes pour les exprimer est le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité. La 8e édition s’est ouverte hier au Centre international de conférences Abdou Diouf à Diamniadio. Le président de la République Macky Sall, dans son discours d’ouverture, est revenu sur l’urgence d’avoir une politique africaine pour lutter contre toute forme d’insécurité. Il est clair que le continent ne peut plus se reposer sur l’aide extérieure. D’ailleurs, certains concepts ont fini de montrer leurs limites.
Pour M. Sall, il faut ‘’rendre opérationnelle la force africaine en attente et financer de façon plus adéquate le Fonds de paix de l’Union africaine. Nous ne pouvons pas toujours compter sur le financement extérieur pour assurer notre propre sécurité et bâtir une architecture de paix viable’’. Le Sénégal et l’Angola ont donné le ton en donnant chacun un million d’euros pour intervenir en RDC. Une initiative qu’il faut multiplier à grande échelle. Elle est tout de même à saluer, puisqu’elle démontre que l’Afrique a quelques capacités pour financer la paix sur le continent.
En outre, même si le thème choisi cette année est ‘’L’Afrique à l’épreuve des chocs exogènes, défis de stabilité et de souveraineté’’, les organisateurs n’ignorent nullement les responsabilités des gouvernants africains sur la situation que vit le continent. D’ailleurs, analyse Macky Sall, ce thème suggère de regarder la réalité du continent en face. Celle-ci traduit une expansion du terrorisme, des conflits inter et intra étatiques, une recrudescence des coups d’État, une ingérence politico-militaire étrangère et des effets combinés des changements climatiques, de la pandémie Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine. Force est alors de constater que le tableau n’est pas reluisant, reconnait Macky Sall. ‘’En posant la problématique des chocs exogènes, nous n’éludons pas les manquements dont les solutions relèvent de notre responsabilité afin de favoriser les conditions minimales de paix et de stabilité propices au développement. Il en est ainsi des changements anticonstitutionnels de gouvernement qui ont fait l’objet d’un sommet extraordinaire de l’Union africaine en mai dernier. Quelles qu’en soient les formes, ces pratiques ne sont pas acceptables. Elles ne peuvent servir de remèdes à nos maux. Au contraire, elles les aggravent et nous retardent sur le chemin du développement’’, se désole l’hôte du jour.
La situation sécuritaire en Afrique est exacerbée par la montée du terrorisme. Un phénomène que l’Afrique ne saurait gérer seule. ‘’Avec ses multiples connexions avec l’extérieur, le terrorisme africain fait partie de celui international. Si l’Afrique est devenue l’épicentre du terrorisme international, c’est lié à plusieurs facteurs, dont la criminalité transfrontalière, la prolifération illégale d’armes, les flux financiers illicites et autres trafics et la participation de combattants étrangers sur le continent africain. Des États sont aujourd’hui menacés jusque dans leur existence, des vies humaines perdues au quotidien, des services sociaux de base détruits et plus de 30 millions de personnes restent réfugiées ou déplacées à l’intérieur de leur propre pays’’, expose M. Sall.
Pour le chef de l’État sénégalais, la seule constante, aujourd’hui, au milieu du chaos qu’il décrit, est que ‘’les opérations classiques de paix des Nations Unies ont montré leurs limites. Des Casques bleus attaqués jusque dans leurs propres bases sans capacité significative de riposte ne peuvent assurément pas protéger des populations menacées par des groupes terroristes. Comment maintenir la paix quand elle-même n’est pas rétablie ?’’, se demande-t-il.
Face à cette évaluation, il propose un changement de paradigmes. ‘’En toute vérité, nous devons changer la doctrine des opérations de paix qu’il convient de mettre à jour en intégrant pleinement la lutte contre le terrorisme y compris en Afrique, dans cette nouvelle philosophie des Nations Unies. Le terrorisme, qui gagne du terrain sur le continent, n’est pas une affaire africaine. C’est une menace globale qui relève de la responsabilité première du Conseil de sécurité des Nations Unies qui est garant du mécanisme de sécurité collective’’, rappelle Macky Sall.
La passivité onusienne pose problème. ‘’L’inertie du Conseil de sécurité dans la lutte contre le terrorisme en Afrique porte en elle-même la défaillance du système multilatéral. Pour inspirer confiance et adhésion, le multilatéralisme doit servir les intérêts de tous. Autrement, il continuera de susciter la méfiance des uns, la défiance des autres et il finira par perdre la légitimité et la crédibilité attachées à son autorité’’, défend-il.
Le président de la République, sur cette question, est du même avis que Sa Sainteté le Pape François, comme il l’a d’ailleurs dit. Ce dernier est de ceux qui pensent que le multilatéralisme tel qu’il fonctionne ne répond plus aux nouvelles réalités. Il faut, par conséquent, des réformes pour faire retrouver aux organisations internationales leurs vocations primordiales de servir la famille humaine.
Il n’y a pas que les conflits politiques qui menacent la stabilité de certains pays africains. ‘’La menace de la paix réside également dans la crise économique profonde qui secoue le monde. Des millions de personnes n’arrivent plus à supporter le coût de la vie et d’autres basculent dans l’extrême pauvreté sans espoir de lendemains meilleurs. Ces circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles’’, analyse Macky Sall.
Dans ce contexte, des plans de résilience économique et sociale ont été développés ici et ailleurs. Mais ils ne suffisent pas. ‘’Aujourd’hui, nous devons travailleur sur des subventions pour contenir la flambée des prix du pétrole en particulier et ceux de l’électricité et du gaz. Au Sénégal, nous avons renoncé à des taxes fiscales pour éviter une hausse non contrôlée des prix des produits de première nécessité. On a procédé à la revalorisation des salaires. On a fait des transferts financiers pour des familles très modestes. Nous avons lancé des concertations nationales afin de réfléchir sur des mesures additionnelles de lutte contre la vie chère’’, informe-t-il.
Mais, avoue-t-il, ‘’les efforts internes restent insuffisants pour des pays comme le Sénégal dépourvus de mécanismes financiers d’amortissement des chocs, surtout qu’il y a de graves menaces qui pèsent sur l’agriculture et la sécurité alimentaire, à cause de la pénurie d’engrais et du renchérissement considérable du prix des fertilisants’’.
En effet, contrairement à ce que l’on peut penser, la production agricole africaine est plus importante que ses importations. Dès lors, le plus important n’est pas le blé qu’importent des pays d’Afrique, mais les intrants, notamment l’engrais et les fertilisants pour continuer la production agricole sur le continent. Cette question d’accès à ces produits est fondamentale.
Mais il faut surtout que l’Afrique arrive à se faire entendre sur les réallocations des droits de tirages spéciaux. ‘’Le G20 a mis en place un système de suspension des intérêts la dette, mais le mécanisme est grippé. Il s’agit, en effet, d’une suspension temporaire du paiement du titre du au service de la dette publique bilatérale, afin de permettre aux pays bénéficiaires, donc très affectés, de consacrer les ressources initialement prévues pour les services de la dette aux financements de dépenses de résilience sanitaire, économique et sociale et aux dépenses de sécurité’’, rappelle Macky Sall.
Il regrette que ‘’l’initiative ne mobilise pas encore suffisamment de pays créanciers pour produire les effets escomptés. Pire, alors qu’il s’agit d’un mécanisme officiel du G20 agréé de façon consensuelle et transparente par l’instance habilitée, cette initiative suscite la défiance, parce que tout pays en développement qui sollicite le bénéfice voit immédiatement sa note dégradée. Ce qui signifie qu’il ne pourra plus accéder au marché du crédit (…). C’est un problème. Ainsi, ce qui était censé être un mécanisme vertueux de solidarité se transforme en un cercle vicieux’’. Et ajoute-t-il, ‘’je rappelle que la réallocation des DTS ne sont pas des dons, mais des prêts sous forme de liquidités que des pays détenteurs de ces droits allouent volontairement aux pays qui en ont besoin. Nous demandons une solidarité internationale à nos partenaires développés’’.
LES DÉRIVES DU NUMÉRIQUE ‘’Il est temps de réglementer les réseaux sociaux pour en limiter les abus’’ ‘’Les dérives du numérique constituent l’une des menaces les plus sérieuses à la paix, à la sécurité et à la stabilité de nos pays. Elles sont difficiles à combattre, parce que diffuses et protéiformes Ainsi, à la cybercriminalité classique, s’ajoute la frénésie quotidienne des réseaux sociaux devenus une fabrique massive de ‘fake news’ et de manipulation. Le monde réel est à la merci d’un monde virtuel qui répand à haut débit la tromperie, le populisme, le radicalisme, la haine et la violence. Autant de pratiques malsaines qui ne peuvent relever de la liberté d’opinions ou d’expressions. Au demeurant, droit et liberté vont de pair avec responsabilité. Nul droit, nulle liberté ne donnent licence d’attenter à la liberté, au droit et à la dignité d’autrui ou de saper la cohésion sociale ou la stabilité institutionnelle d’un pays. C’est dire qu’il y a urgence à réformer les moyens de lutte contre la cybercriminalité. C’est la mission de l’École de cybersécurité à vocation régionale qui travaille à former des experts dans ce domaine. Les insulteurs publics en savent quelque chose. Ils sont facilement retrouvés aujourd’hui et traduits devant la justice. Dans le même esprit, il est temps de réglementer les réseaux sociaux pour en limiter les abus. Il n’est pas question de remettre en cause quelque liberté que ce soit. J’invite le forum à réfléchir sur cette problématique urgente.‘’ |
B.BOB