Publié le 13 Jan 2022 - 19:27
MAIRES ANALPHABETES

Des limites et des obstacles

 

Ils sont analphabètes ou peu instruits. Mais ils n’en sont pas moins ambitieux pour la course aux collectivités territoriales. Si certains peuvent se prévaloir de parcours assez élogieux en tant qu’entrepreneurs, commerçants ou émigrés sans niveau d’études, ni en arabe ni en français, d’autres semblent surgir de nulle part et s’arrogent la prétention de gouverner des territoires dont les budgets sont chiffrés à des milliards. Dans tous les cas, leurs profils atypiques, parfois loufoques, soulèvent pas mal de débats chez certains électeurs.

 

Ni la caution, encore moins les diplômes n’ont pu les décourager. Pour les élections locales à venir, il faudra également compter sur quelques ‘’analphabètes’’ ou personnes peu instruites qui ne vont pas manquer de rivaliser avec les plus éminents professeurs, les plus grands intellectuels, jusque dans les plus grandes villes du Sénégal.

A Rufisque, l’opinion cogite encore sur cette masse de candidats hors du commun, jusque-là peu connus du grand public. Parmi eux, Mor Fall alias ‘’Baye Mor Fall’’, candidat de la coalition Defar Sa Gox ; Ousmane Ndiaye de la liste And Liggey Ci Degg. Tous à la conquête de la grande commune de Rufisque-Nord. Artiste-chanteur, Mame Ngor Diazaka, lui, semble avoir eu encore beaucoup plus de cran et d’audace, en décidant tout simplement d’aller à l’assaut de la ville de Rufisque, qui brasse chaque année autour de sept milliards F CFA.

A Thiès et un peu partout sur le territoire, ils sont également nombreux les candidats aux parcours peu reluisants, qui aspirent à diriger des collectivités territoriales.

Zoom sur certains de ces candidats aux CV peu balèzes !

Riche commerçant établi au marché central de Rufisque, Baye Mor Fall semble avoir la ferme conviction qu’avec ses millions, il pourrait faire pencher une bonne partie de l’électorat en sa faveur, pour espérer une victoire au soir du 23 janvier prochain. Pour sa première participation connue, le commerçant ne lésine pas sur les moyens. Réputé être un guichet automatique de billets dans les mosquées et autres mouvements de femmes, il peine même à faire rallier la majorité de commerçants de son fief, le marché central de Rufisque, à sa cause. ‘’Il perd vraiment son temps et son argent. En plus de ne pas avoir été instruit, c’est quelqu’un qu’on n’a jamais senti dans les activités de développement du marché’’, témoigne un électeur.

L’argent, le principal argument

Sur la stratégie du candidat, c’est essentiellement basé sur la distribution de liquidités. Dernièrement, il a fait un don d’une valeur de plus de 15 millions en ciment et fer pour la mosquée mouride de Rufisque. Baye Mor finance également beaucoup de groupements de femmes qu’il compte ainsi mettre dans sa besace. A en croire Cheikh Tabane, proche collaborateur du candidat, ceci constitue une fausse accusation. Baye Mor, selon lui, avait l’habitude d’aider les populations. ‘’C’est d’ailleurs ce qui facilite notre campagne. Au début, il y avait des réticences et une campagne de diabolisation. Certains se demandaient ‘fan la tothie’, mais on a dépassé cette étape. Aujourd’hui, même certains candidats à la ville viennent le convoiter, parce qu’ils ont vu ce dont nous sommes capables’’, se défend M. Tabane.

En ce qui concerne le reproche des diplômes, il ne mâche pas ses mots pour porter la réplique. ‘’C’est bien d’avoir des diplômes pour diriger une localité, souligne-t-il, mais c’est encore mieux de savoir trouver des milliards pour construire la commune. Notre candidat a des partenaires internationaux qui sont prêts à l’accompagner, si les populations lui font confiance. Et beaucoup ont compris qu’il est le candidat idéal’’.

Pour sa part, Mame Ngor Diazaka a pendant longtemps été le symbole de ces candidatures plus que fantaisistes, qui polluent l’ambiance des élections locales plus qu’ils ne contribuent à un exercice libre et démocratique des suffrages. D’ailleurs, la question s’est une fois invitée sur la plage Facebook très suivie de T’es de Dakar si. A l’affirmation ‘’Mame Gor Diazaka, futur maire de Rufisque’’, les réactions des internautes avaient fusé de partout. Morceaux choisis : ‘’Ce serait Rufisque à l’envers’’, ‘’Président ASC sakh douko nekk (il ne peut même pas diriger une association socio-sportive et culturelle’’, ‘’Pitié’’, ‘’Dans ses rêves !’’, ‘’Il ne peut même pas gagner dans son bureau de vote’’, etc. Pour beaucoup d’observateurs, Mame Gor Diazaka n’a ni l’étoffe, ni la légitimité intellectuelle, ni l’envergure pour être à la tête d’une ville comme Rufisque.

En fait, si tout se passait comme initialement prévu, le musicien ne serait pas candidat à la ville. En tout cas pas de la liste Booloo Defar Teunguethie. En effet, cette liste était celle du député et président du conseil départemental Souleymane Ndoye. Un des responsables de la majorité qui avait menacé de mettre en place une liste parallèle avant de revoir sa position. Interpellé sur la légitimité d’une telle prétention, Diazaka disait : ‘’Moi, je n’ai que des amis maires, ministres, de grandes personnalités de la République. De plus, un maire, il ne gère pas seul. Il a des collaborateurs, des techniciens. Moi, je suis parti de rien pour être ce que je suis devenu. Et je n’ai que Rufisque. Je me suis toujours battu pour Rufisque. Je me suis battu pour la reconstruction du stade, quand il était fermé, pour la construction des écoles et j’aide beaucoup les populations. Donc, si des populations me demandent d’être candidat, je ne peux que l’accepter. Nous avons des idées pour Rufisque.’’

Dans le département de Thiès, les exemples font florès. Si certains ne peuvent se prévaloir ni de diplômes ni d’aucune sorte de légitimité, d’autres n’ont certes pas de diplômes, mais semblent jouir d’un certain parcours qui leur confère une sorte de légitimité. Outre les candidats de Gueum Sa Bopp et de Wallu à Thiès-Est, on pourrait également citer les cas des candidats de prestige à Thiès-Nord et de Diop Sy à Tivaouane, avec des parcours politiques et professionnels souvent très diversifiés.

Mais, à en croire certains interlocuteurs comme Abdou Diouf, citoyen de Mbour, il faut vraiment relativiser. Il déclare : ‘’Les diplômes sont certes importants, mais on ne peut pas tout réduire aux diplômes. Dans le département de Mbour, nous avons, par exemple, des maires qui n’ont pas des niveaux poussés, mais qui n’en sont pas moins de bons maires. Je peux citer Cheikh Tidiane Diouf de Diass et Ousmane Guèye de Saly. Ils sont toujours au front, en première ligne, quand il s’agit de défendre les intérêts de leurs populations. Ce n’est pas un hasard, si ces populations leur font confiance. Ousmane ne parle presque pas français, mais je le placerai à la troisième place des meilleurs maires, en termes d’innovations et de réalisations. Les deux premiers dans mon classement seraient Maguette Sène de Malicounda et Serigne Guèye Diop de Sandiara. Bien entendu, ces deux derniers sont bardés de diplômes et cela montre également que les diplômes sont importants.’’

Les diplômes seulement ne suffisent pas

Ces candidats, célèbres ou moins bien connus, sont présents un peu partout. Surtout dans les communes les plus reculées du pays. Parfois, ils ne savent ni lire ni écrire et se voient confier des budgets et les destinées de milliers d’hommes et de femmes.

A Ngandiouf, le sieur Ngouda Ciss est maire depuis 1990, alors qu’il ne sait pas aligner deux mots dans la langue officielle. Le 23 janvier, il sera en quête d’un 7e mandat à la tête de ladite municipalité. Il a toujours assumé son statut et a confié s’appuyer sur son secrétaire pour mener à bien la commune. Il disait : ‘’Je n’ai pas de diplôme, mais Dieu m’a beaucoup aidé. J’ai la chance d’avoir un bon secrétaire. J’ai l’habitude de dire que c’est vrai que j’ai la chance et l’expérience, mais lui il a la Licence. Comme il est à mes côtés, c’est comme si c’est moi qui avais la Licence.’’ Ancien émigré reconverti politicien et grand agriculteur, l’octogénaire a toujours brandi son amour pour sa commune et la bénédiction de son marabout pour justifier ses candidatures.  

A l’instar du maire Ngouda Ciss, ils sont nombreux, les maires sortants, dont les parcours académiques, arabe ou français sont sujets à controverse. Généralement, c’est d’anciens émigrés, des entrepreneurs ou commerçants prospères, des artistes… ou pire, des gens sans aucun background. Certains, pour se légitimer, s’arrogent des professions difficilement vérifiables. Dans tous les cas, si l’on se fie aux témoignages de certaines autorités administratives déconcentrées, la collaboration avec certains de ces élus ne se passe pas toujours sans anicroches.

 ‘’Ces gens n’ont rien fait. Les coupables, c’est ceux qui les élisent. Quelqu’un qui n’a pas été à l’école, qui n’a pas de métier, un beau jour, on lui confie la charge de diriger même des gens qui font partie de l’élite. Que voulez-vous ? Ils gèrent les deniers comme leur propre patrimoine. Ils ne se soucient nullement des textes qu’ils ne savent même pas lire’’, témoignait un de nos interlocuteurs.

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CODE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

Attributions et pouvoirs des maires

Malgré la quasi-absence d’exigences pour être élu, les pouvoirs et attributions des maires et autres élus restent très importants. Au terme de l’article 106 et suivants du Code des collectivités territoriales, ces prérogatives sont nombreuses et variées. En ce qui concerne le maire, il est le représentant de la collectivité locale. ‘’A ce titre, indique l’article 106, il est chargé, sous le contrôle du conseil municipal, de conserver, d’entretenir et d’administrer les propriétés et les biens de la commune et de faire, en conséquence, tous actes conservatoires de ses droits…’’. Le maire est aussi chargé de gérer les revenus de la collectivité locale, de surveiller les services communaux et la comptabilité communale. Il a également la mission de préparer et de proposer le budget, d’ordonnancer les dépenses et de prescrire l’exécution des recettes. En outre, le maire est chargé de souscrire les marchés, de passer des baux, des marchés et des adjudications des travaux communaux selon les règles établies par les lois et règlements en vigueur. Aussi, a-t-il la mission de passer, selon les mêmes règles, les actes de vente, d’échange, de partage, d’acceptation de dons ou legs, d’acquisition, de transaction, lorsque ces actes ont été autorisés par le conseil municipal.

TOIS QUESTIONS A CHEIKH TIDIANE CISSE, EXPERT

‘’Pour être maire au Niger, il faut au moins le BFEM, le Bac pour une ville comme Niamey’’

Coordonnateur pôle Gouvernance de l’ONG 3D (Démocratie, développement local et droits humains), Cheikh Tidiane Cissé apporte des éclairages.

Y a-t-il des critères relatifs au niveau d’études pour devenir maire ?

La loi a, effectivement, prévu que pour être maire, il faut savoir lire et écrire. Quand on faisait la réforme, certains avaient même proposé de corser cette disposition, de prévoir qu’il faut savoir lire et écrire dans la langue officielle. Mais il y a eu des manœuvres qui ont fait que ce bout de phrase a finalement été abandonné. Mais il reste que la loi prévoit bien qu’il faut savoir lire et écrire. C’est un minimum.

A mon avis, il faut un certain nombre de critères pour élire un maire. Au Niger par exemple, ils ont sérié le niveau d’études en fonction des collectivités concernées. Par exemple, pour être maire à Niamey, il faut au moins le Bac. Pour être maire, il faut au moins avoir le BFEM. Je pense que ce sont des réformes à encourager. Parce que nous avons des collectivités territoriales qui ont besoin de maires avec un certain niveau d’études.

Peut-on s’attendre à une gouvernance efficace et efficiente avec des collectivités dirigées par des élus peu instruits ou bien pas du tout ?

Bien entendu. Pour une gouvernance territoriale efficace, il faut des maires qui soient à la hauteur, qui savent au moins lire et écrire. Je dirais mieux. Il faut des maires avec des études très poussées, surtout dans certaines collectivités. Par exemple, la ville de Dakar ne peut pas être dirigée par n’importe qui. Il faut avoir le niveau. On ne peut promouvoir un développement territorial sans des maires bien instruits. L’expérience montre effectivement que certains maires n’ont pas l’expertise pour booster le développement de leur territoire.

Par rapport à votre expérience, qu’avez-vous constaté au contact de la réalité de la gestion municipale ?

Si vous observez l’ensemble des collectivités du Sénégal, vous ne verrez pas une collectivité qui s’est développée avec, par exemple, un maire analphabète. Cela demande un minimum de niveau intellectuel, de connaissance, d’expertise et d’expérience et de qualification. Présider aux destinées d’une collectivité, il faut au moins savoir les enjeux des politiques publiques. Avec les anciennes communautés rurales, la plupart étaient dirigées par des analphabètes. Du coup, la gestion budgétaire est assurée par un assistant communautaire qui fait toujours appel aux compétences du percepteur municipal, du préfet ou d’autres compétences pour assurer sa mission.

Autre exemple, un maire qui n’a aucune vision du développement, qui ne maitrise pas les outils de planification, ne peut pas diriger à bon escient une collectivité territoriale.

Mor AMAR

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