L’Europe veut corser l’accès à son territoire
Alors que les départs de migrants augmentent, notamment au Sénégal, l'Union européenne cherche les moyens de faire face, même si, pour cela, il faut fermer les yeux sur des moyens d’une extrême gravité.
Par milliers, les jeunes Sénégalais ont repris la saison des départs pour l’Europe à travers l’Atlantique. Depuis avril et l’amélioration des conditions climatiques de traversée, les départs de pirogues des côtes sénégalaises continuent de faire leur lot de drames. La dernière grande émotion liée à la tragédie de l’émigration irrégulière est le chavirement, en août 2023, d’une pirogue partie du village de Fass Boye, avec la mort de plus de 70 jeunes qui tentaient de rallier l’Europe.
Si les décès se comptent par milliers du côté des migrants, leur terre de destination cherche toujours les moyens de les empêcher d’y arriver. À cet effet, un nouveau plan d’aide pour stopper l’arrivée massive de migrants sur le vieux continent est à l’étude par les autorités de l’Union européenne.
C’est dans l’île italienne de Lampedusa, lors d’une visite-éclair dimanche, que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un plan pour aider Rome face à l’afflux de migrants. Dans le centre d’accueil des migrants installé sur place, prévu pour 400 personnes maximum, ils étaient plus de 2 000 à cohabiter. Trois jours avant la visite de la présidente de la Commission européenne, ils étaient 7 000 à s'y presser. Rien que dans la semaine du 11 au 17 septembre, plus de 10 000 personnes ont débarqué à Lampedusa, selon des chiffres fournis par Info Migrants.
Pour essayer de stopper ce flux, Ursula von Der Leyen a assuré qu’il faut aider l’Italie à gérer la situation. Accompagnée de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, la responsable européenne a détaillé un plan en plusieurs points dont l’objectif principal est d’externaliser au plus les traitements inappropriés réservés aux migrants pour les empêcher d’entrer en Europe. Ceci, à travers un renforcement de la surveillance des frontières maritimes.
Cette tâche confiée à l’agence Frontex consiste souvent à survoler les eaux pour repérer les embarcations et veiller à ce qu’elles n’atteignent pas l’Europe.
Selon un rapport du Forum consultatif de Frontex publié en juin dernier, un canot sur deux repéré par Frontex est renvoyé en Libye, au nord de l’Afrique, où les violations des droits des exilés sont légion.
En mars 2023, le rapport de la mission d'enquête des Nations Unies en Libye a épinglé le soutien financier de l'Union européenne à Tripoli comme ayant "aidé et encouragé la commission de crimes" contre l'humanité sur des migrants. Le document estime que des migrants sont "appréhendés, détenus et débarqués en Libye dans le seul but d'empêcher leur entrée en Europe, en corollaire de la politique européenne d'immigration".
Le rapport a listé de nombreux cas de détentions arbitraires, de meurtres, de tortures, de viols, d'esclavage sexuel, d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, confirmant que ces pratiques sont largement répandues en Libye. D'après le document, "il existe des motifs raisonnables de croire que l'esclavage sexuel, un crime contre l'humanité, a été commis à l'encontre de migrants". "Un large éventail de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité a été commis par les forces de sécurité de l'État et les milices armées" en Libye, rapportait le chef de la mission des Nations Unies, Mohamed Auajjar, cité par Info Migrants.
Après avoir consacré "700 millions d'euros à la Libye au cours de la période 2014-2020", selon la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, l’UE compte renforcer son partenariat avec les pays pouvant aider à stopper l’arrivée de migrants. Ce sera le cas avec la Libye et la Tunisie. Bruxelles veut accélérer la fourniture d’équipements et renforcer la formation des garde-côtes de ces pays côtiers de la Méditerranée. En juillet, l’UE a signé un partenariat avec la Tunisie afin de stopper les arrivées de migrants en Italie. Depuis, les autorités tunisiennes ont arrêté et expulsé dans le désert, à la frontière libyenne ou algérienne, des milliers de Subsahariens, dont certains sont morts de faim ou de déshydratation. Le fait que ces atrocités ne soient pas commises sur le sol européen aide à mieux supporter les violations de la loi internationale.
D’autres mesures incluses dans le plan des autorités de l’UE concernent l’augmentation des expulsions. Elle compte mener des campagnes de sensibilisation auprès des principaux pays d’origine des nouveaux arrivants, comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso, afin d’améliorer la coopération. Bien que des camps soient remplis de migrants, les expulsions ne se font qu’avec l’accord des ambassadeurs des pays concernés qui doivent délivrer un laissez-passer. Le Sénégal n’est pas le plus grand fournisseur de migrants irréguliers passant par la Méditerranée, mais beaucoup de Sénégalais sont quand même signalés dans les centres de détention libyens.
D’autres efforts seront menés pour lutter davantage contre les filières d’immigration illégale avec les pays d’origine et de transit à travers l’intensification des campagnes de sensibilisation pour décourager les traversées.
Plusieurs ONG dénoncent des politiques européennes d'immigration inefficaces qui continuent d'être poursuivies, au lieu d’ouvrir des voies légales et sûres afin que personne ne soit obligé de monter sur un bateau précaire et de risquer sa vie dans une tentative d'atteindre l'Europe. Dans ce nouveau plan, l’UE veut développer les voies légales de migration, notamment par l’attribution de plus de visas.
Lamine Diouf