‘’Le cinéma et moi, tout est fruit du hasard…’’
Quelqu’un d’autre aurait-il pu mieux jouer le rôle de ‘’Grand Laye’’ que lui ? On en doute, quand on côtoie tant soit peu Mohamed Touré. Dans la vraie vie, il a de la répartie, l’esprit vif, astucieux et aussi sagace que ce personnage qu’il incarne dans ‘’Idoles’’. Cela se remarque très vite. Ceci n’est que similitudes. Mohamed Touré est un agent la Direction de la promotion des droits et de la protection des enfants au ministère de la Femme, de la Famille et du Genre. Acteur culturel, ses rapports à l’audiovisuel sont tous accidentels. Sa première publicité, en 1998, est un pur hasard, comme tout le reste de ses expériences télévisuelles jusqu’à son arrivée dans ‘’Idoles’’. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, il revient sur tout cela, mais également partage son expertise sur le tourisme, son vécu sur le terrain de la protection des enfants, son compagnonnage avec la diva du jazz Aminata Fall, etc.
Comment êtes-vous arrivé dans le cinéma ?
C’est peut-être le fruit du hasard ou une suite logique. Parce que je fus d’abord acteur dans un spot publicitaire, en 1998. J’ai fait également des photos d’affiches. Mais un jour, j’ai lu dans la presse qu’il y avait une session de formation en direction d’acteurs, organisée par le groupe Image et Vie, en 2006, en partenariat avec le département culturel de l’ambassade du Brésil. J’ai postulé et j’ai été retenu. C’était une session de trois à quatre jours. Le jour de la restitution, on nous a demandé d’improviser une scène. Moi, on m’a donné le rôle du procureur. Je me suis défoulé sur mon interlocuteur, lors de la prestation. Tout le monde a applaudi dans la salle. Au présidium, il y avait des réalisateurs, de grands acteurs et producteurs. Trois jours après, je reçois un coup de fil ; c’était Ahmed Fall Diagne. Il a demandé à me rencontrer et m’a donné un rôle de rédacteur en chef. C’était dans un film institutionnel visant à sensibiliser sur la drépanocytose avec le soutien de la fondation Education-Santé de Viviane Wade, en partenariat avec le Centre national de transfusion sanguine. C’était ma première expérience et j’ai joué avec Rokhaya Niang.
Après cela, Moussa Sène Absa m’a appelé pour me faire tourner le rôle de Me Kane, un avocat. Malheureusement, le film n’a pas pu paraître. Le financement a fait défaut et ça a capoté. La série s’appelle ‘’Boulevard des passions’’. Après cela, Ahmed Fall Diagne m’a appelé à nouveau pour sensibiliser où incarner le rôle d’un patron qui ne devait stigmatiser ses agents qui étaient atteints du VIH. C’était un film documentaire destiné à un pays étranger.
Et pour ‘’Idoles’’, comment s’est passé le casting ?
Mon intégration dans le casting d’’’Idoles’’ est le résultat d’un concours de circonstances. J’étais retenu pour un spot publicitaire de thé. J’y suis allé. C’est Ibou Guèye, producteur et réalisateur, qui me filmait. Et c’est lui qui a vu que je pouvais interpréter ce rôle. Plus tard, j’ai demandé à Ibou la raison pour laquelle il a porté son choix sur moi. Il m’a répondu que le spot publicitaire que j’avais fait était sarcastique et qu’il avait des frissons. Alors, la direction de la production casting m’a convoqué six ou sept mois plus tard. Quand ils m’ont demandé si je pense pouvoir interpréter le rôle de Grand Laye, je leur ai répondu que c’est moi Grand Laye et qu’ils aillent dire à leur patron qu’ils ont trouvé celui qu’ils cherchaient. Je leur ai dit ça avec tellement de sérieux et de sérénité… Après, Ibou m’a expliqué que sept candidats sont passés avant moi, et c’est moi qui les ai impressionnés.
Au Sénégal, il est rare de voir une personne de l’Administration jouer dans des spots. En général, ils se cantonnent dans leur domaine. Qu’est-ce qui vous a décidé à franchir le pas ?
Ce n’était même pas mon intention. J’étais parti prendre la défense d’une nièce, parce qu’elle s’est sentie lésée, après avoir participé dans un spot. Quand je suis allé dans la boite de communication en question, après avoir discuté avec le directeur, il m’a pris pour une publicité sans que je ne le demande. Y participer n’était pas un problème pour moi, même si, à l’époque, je travaillais à la Direction des investissements et de la promotion touristique. Aussi, j’étais un acteur culturel en même temps. Donc, je suis arrivé à la télévision par pur hasard et pour une publicité d’une marque d’électroménager.
Comment vous avez réussi à entrer dans le corps de Grand Laye ?
Les textes étaient intéressants. C’était une belle écriture d’Aminata Dièye, avec un très bon français. Le texte était poignant. En plus, je n’étais pas novice dans un poste de directeur, parce que quand je fus jeune, j’étais déjà chef du personnel par intérim. Et c’était une agence avec 500 agents, entre le département de Bambey, Mbacké et Diourbel ; je gérais les salaires surtout. Donc, je maitrisais l’administration et la gestion du personnel. De ce fait, j’étais déjà préparé pour cela.
Que retenez-vous d’Aminata Sophie Dièye ?
Elle était toujours là pour s’assurer du bon déroulement du tournage. A chaque fois qu’on avait une pause, on prenait ensemble le café et elle me racontait sa vie. Elle était devenue une bonne amie, une bonne complice. Sa mort ma beaucoup ébranlé. Elle est partie au moment où on ne s’y attendait pas. Et ça a créé beaucoup de bouleversements. Qui écrirait après ? Le texte de départ était très fort. Parce que c’était une professionnelle qui écrivait. Aminata Sophie, tout le monde aimait ses chroniques du samedi, ‘’Ndèye Taxawalu’’.
Après Aminata Sophie Dièye, il y a eu Ibou Guèye et le ministre Maal. Comment l’équipe a vécu toutes ces pertes ?
Sophie Dièye est partie en premier. On s’est arrangé avec d’autres gens qui ont écrit. Après, c’est le décès d’El Hadj Bâ. La mort de ce dernier m’a surpris, parce que vers le mois d’août, il était malade, mais allait mieux. Et il m’a dit qu’à mon retour de La Mecque, il viendrait me voir. On était tellement proche lui et moi qu’on se chahutait très souvent. Je reviens de La Mecque, on me dit qu’il est malade. Deux jours après, il a rendu l’âme. On avait une bonne complicité, parce qu’on était les plus âgés. A sa mort, les gens ont eu peur. Après lui, Moussa Guèye a rendu l’âme aussi. Il m’aimait bien. Et son décès m’a choqué.
Après ces trois pertes, des proches ont eu peur et ont commencé à me demander d’arrêter de jouer dans la série (il sourit).
De la première saison à la saison 7, laquelle vous a le plus marqué ?
(Hésitation) La première saison ! Parce que nous avons démarré avec l’adhésion des Sénégalais. Ils nous disaient qu’on embellit le théâtre. Moi, je précise qu’on ne fait pas du théâtre, mais du cinéma. Nous sommes des acteurs. Et ceux qui disent que nous osons faire ou dire certaines choses, je leur réponds que nous donnons des leçons de vie. Pour chaque aspect de la société que nous avons touché, il y a un conseiller spécialiste dans ce domaine qui nous dit ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas. Même les procès que l’on diffuse, ça se passe comme ça. Donc, c’était une innovation. Mais la réaction des gens dans la rue nous amenait à nous demander ce que l’on a fait de spécial.
Quand vous dites que vous êtes acteur culturel, dans quel domaine évoluez-vous précisément ?
J’aime la culture. Je suis passionné de jazz. Aux Parcelles-Assainies où j’habitais, j’animais une émission à la radio Jappo FM, les dimanches, de 23 h à 00 h. Avec des amis, on avait créé une fondation quand je travaillais encore au ministère du Tourisme. C’était au lendemain du décès de Dizzy Gillespie, le ‘’prophète de la trompette coudée’’. Je suis un féru de jazz et mes amis et moi voulions promouvoir le jazz qui était considéré comme une musique trop élitiste, alors qu’elle est populaire. Mais en profiter aussi pour aider les artistes en détresse et en difficulté. J’avais initié une campagne de collecte de soutien pour Aminata Fall qui était malade.
C’est son mari qui m’a demandé d’aider sa femme à se soigner parce qu’elle avait une facture de 8 millions 320 mille à honorer au CHU de Grenoble. Sa maladie s’était envenimée. Le mari avait beau faire, il ne trouvait pas de solution. Il avait remarqué qu’à chaque édition du Saint-Louis jazz, c’est moi qui aidais Aminata Fall, Pape Niang et autres à faire certaines choses. Alors, il m’a confié l’organisation d’un concert pour le 21 avril 1997. J’ai écrit au président Diouf avec beaucoup d’émotions et à d’autres autorités. Aminata Fall avait elle-même signé les lettres. Quarante-huit heures après, le président Diouf a réagi et a envoyé son médecin personnel, le colonel Mara. J’avais dit à Aminata Fall que si quelqu’un d’autre que moi intervenait, je laissais tout tomber. On a ainsi travaillé ensemble. Je la considérais comme ma mère, parce qu’elles sont nées la même année. Elle ne faisait rien sans moi, sans ma présence.
Le président Diouf lui avait offert 1 500 000 en plus. Je lui ai demandé d’utiliser cet argent pour sa dépense quotidienne. Je suis allé voir Babacar Touré de Sud Communication. Je l’ai rencontré et je lui ai demandé de me soutenir dans ce projet. Je lui ai demandé d’accepter qu’on vire dans les comptes de Sud Communication tout argent reçu et destiné à soutenir Aminata Fall. Le médecin du président coordonnait alors avec le CHU de Grenoble et le service comptable de Sud imputait par une traite normalisée ou un virement. Babacar a utilisé son carnet d’adresses pour aider la dame. Mansour Kama avait donné 2 millions 500, Youssou Ndour 500 mille, je crois. Babacar Touré nous avait fait une liste des donateurs, les numéros des chèques et les banques, tout. Notre fondation a pu au moins faire cela.
Vu votre expérience dans le domaine du tourisme, que pensez-vous de la politique touristique ?
Quand j’ai quitté le ministère du Tourisme pour être guide, j’avais commencé à découvrir autrement le Sénégal. A partir de ma fondation qui était une institution non lucrative, je voulais me mouvoir dans l’activité touristique. Il me fallait un support. J’ai créé une agence d’ingénierie culturelle. Et je l’ai intitulée Impulsion pour la promotion de l’art, de la culture et du tourisme (Impact). De là, j’ai commencé à parler du tourisme culturel. Parce qu’à partir de la culture, je me disais que le pays devait se mouvoir dans une dynamique festivalière.
Si on prend l’exemple de la Casamance, il y a une diversité ethnologique et culturelle. Il serait intéressant d’organiser des festivals pour chaque région et chercher des partenariats avec de grands internationaux pour filmer les évènements et vendre la destination Sénégal. Avec Impact, en partenariat avec l’Association des guides touristiques du Sénégal, je voulais faire quelque chose de nouveau. Mais des gens ont voulu me voler mon projet de formation sur le patrimoine historique et culturel local et son application à la promotion du tourisme au Sénégal. Je l’ai retiré tranquillement. Ce projet date de plus de 15 ans. Le tourisme balnéaire était allé à un sommet où ce n’était plus le bon produit pour vendre notre destination, mais il y a le tourisme culturel et celui religieux.
Aujourd’hui, quel plaidoyer pouvez-vous faire pour la protection des enfants ?
(L’air désolé) Cette couche est très vulnérable. Nous allons devoir reprendre du terrain pour combattre la floraison d’enfants dans la rue. L’instruction venait du président de la République. Mais pour éviter certains couacs auxquels on était confronté, on avait pris du recul. Maintenant, on veut ratisser large. Le ministère de la Femme chargé de l’enfance peut conduire cela avec le ministère de l’Intérieur pour gérer la sécurité, le ministère de la Santé pour prendre en charge les enfants malades, parce qu’il y en a souvent, le ministère de la Justice pour dissuader des gens qui auront mal agi à l’encontre de ces enfants. Parce qu’il y a des marabouts qui ont fait la taule, pour avoir martyrisé un enfant.
Mais ce qui me dérange, c’est que l’éradication de cette mendicité au Sénégal ne sera pas facile.
BABACAR SY SEYE (STAGIAIRE)