Mon image d’adolescent sur la dame de fer
En 1981, j’avais une quinzaine d’années et l’image de Bobby Sands et Kevin Lynch désossés en grève de la faim m’était insupportable. Ces républicains irlandais avaient retenu l’attention de l’adolescent que j’étais. Dieu sait que je souffrais de les voir se désosser tous les soirs devant le petit écran de la RTS lors des JT d’entre janvier et mai 1981 présentés à l’époque par la maestria des Malick Gueye, Sada Kane, Mbaye Loum, Sokhna Dieng et autres Elisabeth Ndiaye.
La Dame de fer tenait entre ses mains le destin des grévistes de la faim dont dix jeunes d’entre eux âgés de 25 à 30 ans et qui allaient par la suite un à un mourir tenaillés par la faim devant les caméras du monde entier. La dame de fer disait de marbre comme un roc, comme une roche devrais-je dire : « Monsieur Sands était un criminel condamné. Il a fait le choix de s'ôter la vie. C'est un choix que l'organisation à laquelle il appartenait n'a pas laissé à beaucoup de ses victimes. »
Elle avait une conviction cette disciple de l’ultralibéral Milton Friedman inspirateur des politiques économiques non interventionnistes qui ont donné au monde le spectre des programmes draconiens d’ajustement structurel en fermant les yeux sur les pratiques de plusieurs dictateurs du monde. Les règles économiques passaient devant les droits élémentaires surtout que l’alibi de l’ennemi communiste d’en face (qui n’était pas exempt aussi de reproches sous ce rapport-là) passait comme excuse.
L’adolescent, puis le jeune homme que j’étais vivais déjà (comme la plupart de mes concitoyens) les affres du « moins d’État » et se refusais aussi à l’appel des cocos (communistes) que très tôt je considérais comme idéalisant « les leaders infaillibles apporteurs de bien être ». La chute du communisme allait me conforter dans mes certitudes.
Sans jugement politique, l’image de Tatcher ne passait pas dans mon cœur face à la souffrance des jeunes grévistes de la faim. Ma perception n’était pas politique mais simplement humanitaire et naïve sans doute. C’est pourquoi aujourd’hui encore, de Tatcher, je retiens l’image d’une femme certes brave et intelligente au milieu des hommes mais aussi froide devant la clameur humaniste d’un monde. L’africain que je suis retiens l’image des grévistes de la faim mourant comme des bêtes affamées devant une femme qui aurait pu être plus élégante. Cette image-là de Tatcher, ne me plaisait pas, ne me plait pas.
En le disant, je ne juge pas celle qui part à 87 ans et qui, certainement était en reflexe excessif devant la cruauté d’un monde. La première cruauté hélas est la ferme certitude de devoir planter le drapeau de ses propres convictions sur les cranes d’un monde beau de sa seule différence. Je ne juge pas Tatcher puisque Seul Dieu est Juge !
Ma seule et petite conviction est qu’on ne laisse pas la faim tuer un homme. Soixante, soixante-dix et près de quatre vingt jours de grève de la faim ne doivent pas laisser de marbre quelqu’un qui prend son diner tous les soirs. Négocier avec un gréviste de la faim n’est pas abdication mais perche tendue.
Mamadou NDIONE
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