‘’On ne vient pas dans un Festival pour avoir un prix’’
Le ciné ‘’Neerwaya’’ a reçu dimanche la projection du film de Moussa Touré, ‘’Bois d’ébène’’. Mais depuis sa sortie, l’œuvre suscite beaucoup de polémiques. Le réalisateur, inscrit dans la catégorie ‘’documentaire’’, répond dans cet entretien à ses contempteurs. Il se dit par ailleurs optimiste sur les chances du Sénégal à la 25ème édition du Fespaco.
Vous revenez au Fespaco après votre sacre en 2013. Etes-vous optimiste comme à cette dernière édition ?
Je pense qu’il faut plus souligner le fait que je revienne avec un documentaire qu’un film fiction. En 2013, j’étais dans la catégorie fiction et cette année, je suis dans la catégorie documentaire. Ce qu’il faudrait comprendre, c’est : qui suis-je en tant que cinéaste ? C’est cette analyse qu’il faut faire. En toute modestie, vous ne verrez pas beaucoup de gens qui sont entre le documentaire et la fiction. Je le suis. C’est une leçon que la jeunesse doit comprendre. Le cinéma ne s’arrête pas à la fiction. Quand on fait un documentaire, on raconte une histoire. En fiction aussi, on raconte une histoire. C’est cela qu’il faudrait dire avant de parler d’une édition où j’ai eu beaucoup de prix. Ce qu’il faudrait comprendre, c’est qu’on ne vient pas dans une compétition pour gagner. Je suis un peu stressé parce que ce sont des jeunes qui vont voir mon film au cours de cette compétition. Je suis stressé en tant que cinéaste, en tant que réalisateur, d’avoir une salle comble où on va me regarder. C’est l’Afrique qui me regarde. Je ne suis pas là pour un prix. Je suis là pour qu’on voie mon film.
Dans ce cas, pourquoi alors avoir proposé votre film pour la compétition ?
Je vais vous faire une confidence : Soma (ndlr : Ardiou Soma, délégué général du Fespaco) m’a vu à Carthage et m’a demandé pourquoi je ne m’étais pas encore inscrit pour la compétition à Ouaga. Je lui ai dit que je n’allais pas le faire parce que les gens de ma génération ne représentent que 25% de ceux qui viennent pour la compétition. Les 75% représentent les plus jeunes. Je lui ai dit que ce que je souhaite, c’est de montrer mon film à Ouaga pour que les gens le voient. Il m’a dit : inscris-toi et après, tu réfléchis. Dès que je l’ai fait, il m’a informé que j’ai été sélectionné. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Je crois que le Sénégal aura un prix. Avec quel film ? Je ne saurais le dire. J’en suis persuadé, parce que nous avons de la crème. Nous avons un bon cinéma : Alain, William, surtout William. J’ai presque travaillé sur tous les films de William sauf sur le dernier (ndlr : Kemtiyu, Seex Anta). Nous sommes des cinéastes, des amis aussi. Les gens de ma génération sont des cinéastes-amis, pas des concurrents.
Et la polémique qui a suivi la sortie de ‘’Bois d’ébène’’, qu’en pensez-vous ?
Quand on parle de politique ou d’histoire, surtout l’esclavage, quoi qu’il arrive, on va parler de problème de fonds. Il y a eu un film sur l’esclavage qui a eu un Oscar. On dit pourtant que dans ce film, tel qu’est montré l’esclavage, c’est un phénomène trop parfait. Parce que l’acteur est musicien, écrivain, etc. On parlera toujours de l’esclavage parce que c’est un sujet dont on ne parle pas, surtout les Africains. On ne veut pas. Même avant de faire le film, j’ai dit à la production : ça va chauffer. Je le savais, mais il faut parler de l’esclavage. Aussi, de tous les films, on peut parler du fond. Quelqu’un a dit que ce film est un chef-d’œuvre au plan technique. Mais la technique sert à amener une histoire cinématographiquement. Comment alors peut-on dissocier la technique de l’histoire ? Je vais faire un autre film sur l’esclavage. Je reviens du Maroc ; j’ai prévu de faire un film sur l’esclavage ‘’arabo-musulman’’. C’est une histoire que j’ai inventée. On va parler de problème de fond. Je te jure, il y aura une polémique internationale. C’est moi qui fais exprès de faire un film sur l’esclavage.
Vous reparlez de ce sujet juste pour la polémique ?
Non, j’étais au Maroc récemment et on m’a dit qu’il y a un village des esclaves. J’y suis allé et c’est comme si j’étais au Sénégal ou au Mali. Il n’y a plus d’esclaves aujourd’hui au Maroc, mais l’histoire reste. Je suis quelqu’un qui aime les traces. Et cette histoire a laissé des traces. Moi, c’est avec ça que j’ai appris à faire du cinéma. Des gens comme Johnson, Sembène, Tidiane Aw, Momar Thiam etc. m’ont appris à laisser des traces. Je vais aller dans quelque chose de très drôle entre les Wallons et les Flamands.
Comment est née l’histoire de ‘’Bois d’ébène’’ ?
Ceux qui ont produit ce film étaient là en 2013 et ont vu ‘’La Pirogue’’. Ils m’ont appelé pour faire leur film, mais j’avais des conditions. Mes conditions étaient qu’il fallait éliminer ce silence-là. En Afrique, on ne parle pas d’esclavage. Après, on y a ajouté de la fiction et cela me convenait. Le problème, c’est qu’aussi, à la base, c’est une histoire réelle.
Depuis quelques années, au Fespaco, ce sont presque les mêmes cinéastes qui représentent le Sénégal, notamment, Alain Gomis, William Mbaye et vous. Quelle explication vous-en faites ?
C’est le travail. Moi, je mets 5 ans dans un film. Je suis en train de préparer quelque chose. Cela va faire 6 ans cette année que je le prépare. On procède ainsi parce qu’on veut aller profondément dans les choses. Je ne sais pas combien d’années il a pris pour préparer Cheikh Anta. Alain est un perfectionniste. Moi, je n’attaque un film que quand il est profond. Je peux en parler aujourd’hui, mais il va être profond dans 6 ans. Moi, j’ai été façonné par Sembène, Traoré, Ben Diogaye, William Mbaye. J’ai travaillé avec eux. Ce qu’il faudrait comprendre, c’est que le cinéma, c’est pour les petits. Aujourd’hui, j’ai 60 ans. J’ai été en compétition avec Sembène. Il m’envoyait chercher du cola pour lui. Il n’y a pas de problème de génération, c’est une question de suite. Il faut que les gens comprennent cela.
Parmi les jeunes qui sont là cette année se trouve une de vos anciennes assistantes, Fatou Touré. Comment appréciez-vous sa sélection ?
C’est la deuxième fois. La première, c’était Pape Seck (ndlr : Pape Abdoulaye Seck qui a remporté en 2015 au Fespaco le prix de la catégorie film d’école). J’ai fait son premier cadre. Lui, il était instituteur. J’ai vu en lui quelques prédispositions ; on a travaillé ensemble. Fatou, quant à elle, je lui ai fait faire un film sur baobab et la femme. Je lui ai donné la direction d’un regard. Je respecte le regard de l’autre et je le pousse simplement à le voir. Des fois, on oublie de regarder. Il y a une manière de regarder. Fatou a vraiment de la sensibilité.
C’est ma fille. C’est une fierté pour moi. Mais je suis fier humblement. Avant de partir au Clap Ivoire, elle est venue chez moi pour solliciter mes prières. Malheureusement, je n’étais pas là. Ça, c’est honorable et agréable. Mais la fierté est un peu partout. Elle est sur Fatou mais aussi sur Alain Gomis. On est costaud cette année. Les yeux vont être rivés sur nous. Parce que quand Alain gagne, c’est nous. William, c’est mon ami. On a un projet de coréalisation d’un film. Ce qui est arrivé à nos aînés, il ne faut pas que cela nous arrive. Il nous faut faire un film ensemble.
Comment appréciez-vous les efforts faits par les autorités sénégalaises pour soutenir le septième art ?
Cela fait 30 ans que je viens au Fespaco. Je suis venu ici en 1987 pour ma première participation à la compétition. En 1992, je suis revenu avec un autre film. Ce que j’ai vu cette année ici, je ne l’ai jamais vu. Pour une fois, il y a plus de journalistes que de cinéastes. La 2e chose, c’est que les cinéastes sénégalais se plaignaient souvent de l’absence des autorités à Ouagadougou. Cette année, tout le monde est là. Il y a différentes délégations, c’est bien et c’est à encourager. Je voudrais remercier le ministre de la Culture pour cela. Moi, je ne fais pas de la politique.
J’étais de ceux qui s’en prenaient aux autorités sénégalaises pour leur manque de soutien. Mais cette année, franchement, elles ont fait beaucoup d’efforts. Toutefois, à mon avis, on peut mieux faire. Pour le Fopica (ndlr : Fonds de promotion à l’industrie cinématographique et audiovisuelle), un milliard ne suffit pas. Il faut une enveloppe conséquente pour avoir une industrie cinématographique. On a des cinéastes, on a des formateurs, on peut avoir une industrie cinématographique dynamique. Le cinéma demande beaucoup de moyens. J’ai fait ‘’Bois d’ébène’’ en 18 jours et il a coûté un milliard. Les gens pensent qu’un milliard, c’est beaucoup d’argent mais c’est pour le cinéma. Il faut que le Président mette encore un milliard. Les cinéastes veulent cela.
BIGUE BOB (Envoyée spéciale à Ouagadougou)