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De rares hommes ont cette élégance dans le geste qui ne cesse de les caractériser jusque dans leur dernier sommeil. Dans la ferveur qui saisit actuellement l’Afrique dont le destin – cette fois sécuritaire- est une nouvelle fois en train d’être tracé sur les berges de la Seine, Nelson Mandela s’en alla sur la pointe des pieds. Avec élégance et douceur.
La grandeur de l’homme est ainsi marquée une nouvelle fois par sa manière de nous quitter : elle fut douce, élégante et sans bruit. Comme voulait-il ne point nous perturber dans la stérilité de nos agitations surfaites. S’il a été un homme qui a construit l’unanimité ces dernières décennies autour de sa personne, Mandela fut aussi et avant tout un combattant de la liberté. Aussi par les armes.
Oublié par un Occident qui a pendant longtemps fait prévaloir la realpolitik, brimé par le régime aux relents fascistes de l’Apartheid, adulé par une jeunesse et des mouvements progressistes qui ont toujours revendiqué sa libération, Nelson Mandela s’est toujours résolument dressé, au nom de la liberté ; mais au nom d’une certaine idée de l’idéal humain. Il n’y a pas de belle cause, il n’y a que des causes justes qui méritent qu’on s’y attache, au prix de notre vie. 27 années durant, dans l’étroitesse d’une cellule, le combat fut farouche, constant et surtout empreint de bon sens.
Mais là où Nelson Mandela a dépassé bon nombre de ses contemporains, c’est valablement dans la gestion du « jour d’après ». Beaucoup de nos vaillants leaders, farouches et plein de bonnes intentions dans l’opposition, se sont révélés de piètres gestionnaires à l’épreuve du pouvoir et d’incapables gardiens de tout ce pourquoi ils avaient combattu. Souvent le romantisme du discours et des intentions se heurte à des dérives conduisant aux totalitarismes tristes et ravageurs.
Le talent de Mandela fut de gérer et de relever le défi du « jour d’après. » Que ce long chemin vers la liberté serait vain si un esprit vindicatif, le plus infime, avait animé le père de la nation arc-en-ciel. Mandela a réussi à construire, avec ferveur et générosité, un pays qui aujourd’hui scintille au firmament des modèles économiques, chanté dans tous les fora internationaux.
L’Afrique du Sud, seulement 20 ans après avoir pris congé éternellement des démons du racisme et de la division, loge aujourd’hui, et de façon durable, dans le cercle fermé des grandes démocraties.
La tristesse mondiale qui enveloppe le monde cette fin de semaine montre à quel point nous avons perdu un immense homme d’Etat doublé d’un grand humaniste. Par ses petites mains fragiles, il a su « transfigurer » le monde et le marquer à jamais de son empreinte indélébile. Je ne suis pas venu me souvenir, je suis venu devant sa mémoire m’inspirer, car ce qu’est Nelson Mandela ne mourra jamais.
Son œuvre doit être magnifiée et transmise aux actuels et prochains locataires de notre monde, afin que nul n’ignore qu’un monument pareil nous a fait croire qu’il a vécu avec nous. Et pourtant, il ne vécu guère dans notre monde, il l’a juste survolé.
Un homme de gauche fondamental, a, à mon avis, déclamé l’hommage le plus juste à Mandela en rappelant que Margaret Tchatcher l’a traité de terroriste. Il ajoute qu’aujourd’hui, dans le contexte de libération de la parole raciste en Europe, des enfants mal élevés lui auraient jeté des peaux de banane.
Ces mots forts de Jean-Luc Mélenchon me rappellent que l’ANC n’a quitté la liste des organisations terroristes que très récemment. La vie de Mandela, ses combats, ses douleurs et ses épreuves nous rappellent à tous notre responsabilité de ne rien lâcher devant le racisme, le fascisme ou la xénophobie.
Les crises structurelles qui ont déchiré les équilibres sociaux, ruiné des vies et mis des pays entiers en faillite sont le terreau fertile de tous ceux-là qui érigent des barrières de haine et de violence entre les hommes. Et nous ne pourrions réagir de façon efficace à toutes les abjections en omettant de mettre l’Humain au centre de nos actions quotidiennes, car Mandela n’a jamais dissocié l’Homme, dans sa plénitude, à toute entreprise d’édification d’un monde meilleur.
Cela dit, le meilleur service que l’on rendra à Mandela est de le discuter, de rappeler son œuvre et de voir dans quelle mesure elle va guider nos combats futurs pour construire une alternative crédible et durable au monde actuel encore sous le joug de fortes inégalités sociales.
Il ne va point nous honorer de « muséifier » Mandela, de le sortir du vivant et de ne l’évoquer que pour mieux l’ensevelir dans un tombeau sertis de roses. Mandela demeura plus qu’actuel et sera un bréviaire pour tous ceux qui ont, au fond de leur cœur, ne serait-ce qu’une toute petite parcelle révolutionnaire.
Certes, demain, sous le prétexte du droit d’inventaire, de jeunes africains, dans une manifestation d’impétuosité, critiqueront de faço irrévérencieuse le « vieux », le hueront peut-être, le conspueront même…C’est une forme d’ersatz de virilité intellectuelle propre aux fougueux étudiants et jeunes diplomés en mal de Bastilles à renverser, de pères à tuer et d’idoles à démolir.
Mais ils seront, ceux-là, tellement dans la continuation de l’œuvre du grand homme, car seront-ils des bouts de voix de feu qui alimenteront la braise du débat en Afrique qui ne doit point s’éteindre. Mes pensées émues à Paul Mashatile, à Mduduzi Mbada et à tous mes amis sud-africains, qui ont partagé avec le grand homme cet immense symbole qu’est l’ANC. Ce patrimoine qui est à ranger soigneusement dans la conscience collective africaine.
Regardons vers l’avant ! Avec vous, comrades, l’Afrique du Sud tiendra debout, sous le regard prévenant et paternel du "vieux"…Madiba.
Hamidou ANNE
Conseiller de Monsieur le Ministre de la Culture
Et du Patrimoine du Sénégal
Ancien élève de l’ENA de France