La ville de Dakar met-elle la charrue avant les bœufs ?
Adoubées par certains Sénégalais, les nominations du capitaine Touré et de Guy Marius Sagna à la ville de Dakar sont loin d’être effectives. L’État, qui a en charge le paiement de tous les agents, y compris du maire, attend de pied ferme.
La guerre aura-t-elle lieu entre la ville de Dakar et le pouvoir central représenté par les autorités déconcentrées ? Tout porte à le croire, si le maire actuel de Dakar insiste dans sa volonté de nommer le capitaine Seydina Oumar Touré et Guy Marius Sagna. A en croire ce haut fonctionnaire sous le couvert de l’anonymat, Barthélemy Dias a tout bonnement enfreint les prescriptions légales, à travers ces recrutements. Il déclare : ‘’Depuis le 8 janvier, les maires n’ont plus le droit de recruter comme ils le faisaient avant. Il y a un nouvel organigramme qui encadre les recrutements au niveau des collectivités territoriales. Le texte était dans le circuit depuis deux ans, mais il est entré en vigueur le 8 janvier dernier. Avant, les maires pouvaient recruter n’importe qui dans leur cabinet, sans tenir compte des capacités financières ou des besoins. Cela provoquait toutes sortes de dérives. Mais le nouveau texte est venu pour mettre un peu de l’ordre, en veillant sur la sécurité des emplois créés.’’
Jugeant illégaux les actes de nomination du capitaine Touré et de Guy Marius Sagna, notre interlocuteur prévient que la ville de Dakar doit être prête à en assumer toutes les conséquences, si elle tient à persister dans ‘’l’illégalité’’. Et l’État, à en croire son exposé, ne manque pas de leviers pour imposer le respect des dispositions législatives en vigueur en la manière. ‘’Il ne faut pas oublier que la caisse de la mairie, c’est la caisse de l’État. La mairie est un démembrement de l’État. Le maire, lui-même, est un fonctionnaire de l’État, payé par l’État. Il est payé par le receveur municipal au même titre que tous les autres agents. Son budget est approuvé par le représentant de l’État. Il ne peut pas faire ce qu’il veut. À moins qu’il les prenne pour les payer sur son propre argent - et là on ne parle plus de contrat. C’est autre chose. Quand on parle de contrat de travail, cela engage nécessairement l’État qui paie, et c’est sous le respect d’un certain nombre de dispositions’’, souligne l’administrateur civil.
Interpellé sur cette question liée à l’organigramme type auquel les collectivités territoriales seraient assujetties dans leurs recrutements, l’expert en gouvernance territoriale, Ibra Dieng, a apporté quelques éclairages. Selon lui, le décret 2020-30 du 8 janvier 2022 relatif aux organigrammes types des collectivités territoriales prévoit, en effet, un certain nombre de postes, sans entrer dans le détail. ‘’Si on fait l’économie de ces organigrammes, souligne-t-il, la section 2 indique que l’organigramme type des communes chefs-lieux de région ou de la ville est ainsi organisé : il y a la Direction des finances et de la comptabilité publique, la Direction des ressources humaines, la Direction des services techniques, la Direction de la planification et des compétences transférées, soit quatre grandes directions prévues par le texte.’’ Dans cette dernière direction, fait-il remarquer, il y a une division intitulée ‘’De la santé, de l’hygiène et de l’action sociale’’.
A la question de savoir si les nominations sont légales ou pas, M. Dieng s’en limite à un rappel des principes, sans préjuger de la légalité ou non desdits actes. Il s’interroge : ‘’On peut se demander si le recrutement de Guy Marius Sagna, par exemple, n’entre pas dans le cadre de cette division ou pas (division en charge notamment de l’action sociale, NDLR). Moi, je ne sais pas quels sont les différents postes prévus dans ce cadre. Aussi, la question que l’on peut se poser est de savoir si le représentant de l’État est habilité à dire que ce recrutement n’entre pas dans le cadre de cet organigramme. Dans ce cas, ce serait un contrôle de l’opportunité, alors qu’il n’est pas juge de l’opportunité des actes de la collectivité territoriale, à mon avis’’.
Le maire a plusieurs prérogatives dont la nomination aux emplois de la Ville
De manière plus globale, le juriste consultant rappelle l’article 171 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que le maire, représentant de la ville, a plusieurs prérogatives dont la nomination aux emplois de la ville. Aussi, invoque-t-il l’article 307 du même code qui donne compétence au maire de recruter en matière de santé et de protection sociale. Il ajoute : ‘’Sous réserve des dispositions de l’organigramme ci-dessus invoquées, on peut dire que la loi a bien prévu la prérogative de recruter des agents du maire. Tout comme le président de la République qui a la prérogative de nommer aux emplois civils et militaires, le maire a la prérogative de nommer aux emplois de la ville.’’
Cela dit, précise l’expert, il y a des procédures à respecter et un contrôle de légalité auquel doit se soumettre le maire, conformément à l’article 243. Aux termes de cette disposition, les actes pris par les collectivités territoriales doivent être transmis au représentant de l’État auprès du département ou de la commune. Lequel en délivre aussitôt accusé de réception. La preuve de la réception pouvant être apportée par tout moyen. ‘’Le représentant dispose, en principe, d’un délai de 15 jours pour en demander une seconde lecture. Cette demande revêt un caractère suspensif, aussi bien pour le caractère exécutoire de l’acte que pour tout délai de procédure contentieuse. Parmi les mesures concernées, il y a les décisions individuelles relatives à la nomination, à l’avancement de grade ou d’échelon d’agents des collectivités territoriales’’, a-t-il souligné.
Et de préciser : ‘’’Il en découle que ces actes sont exécutoires de plein droit, sauf demande de seconde lecture de la part du représentant de l’État. Ce délai de 15 jours peut être réduit à la demande du maire ou du président du conseil départemental.’’
Dans le cas où la loi n’est pas respectée, explique le juriste consultant, la première conséquence, c’est l’annulation de l’acte. Et c’est du ressort du représentant de l’État. Selon lui, le représentant de l’État doit déférer l’acte à la Chambre administrative de la Cour suprême pour voir s’il y a abus ou pas. S’il ne le fait pas, le maire, pour s’assurer de la légalité de son acte, peut faire ce qu’on appelle le ‘’déféré provoqué’’.
‘’La jurisprudence Khalifa Sall’’
Outre la soumission des actes de nomination au représentant de l’État compétent, la ville de Dakar a aussi l’obligation, selon le haut fonctionnaire, de respecter d’autres formalités, notamment la saisine du conseil de ville, ainsi que la notification desdits contrats à l’inspection du travail. ‘’Sans le respect de ce processus, on ne peut parler de contrat de travail entre la mairie et ces gens. Il n’a qu’à l’appeler autre chose…’’.
Aussi, condamne-t-il, les propensions de certains maires à faire comme si les collectivités sont des entités entièrement à part. ‘’Dans les deux cas, ce sont des fonctionnaires de l’État qui ont été sanctionnés. Maintenant, ils veulent quitter pour aller de l’autre côté de l’État. Comme si la collectivité territoriale ne fait pas partie de l’État. Ce serait un précédent dangereux. La collectivité fait partie de l’État. Le maire lui-même est payé par le payeur de l’État. Son budget est approuvé par le représentant de l’État. On ne peut faire le distinguo entre ces entités’’.
Par ailleurs, en ce qui concerne le cas du capitaine Touré recruté comme conseiller technique en charge de la sécurité, l’administrateur civil se pose des questions sur les tâches véritables qui lui seront dévolues. A l’en croire, Barth s’est peut-être trompé dans la dénomination, mais la sécurité, c’est du domaine de l’État central. ‘’J’aimerais bien savoir, dit-il, de quelle sécurité il parle ? Parce que la police, c’est l’État ; la gendarmerie, c’est l’État ; l’armée, l’ordre public, c’est l’État ; la sécurité civile, c’est l’État ; les incendies, c’est l’État. La sécurité sanitaire, c’est l’État ; la sécurité environnementale, c’est l’État ; la sécurité sociale, c’est l’État… C’est pourquoi je me demande ce qu’il peut bien y avoir comme contenu.’’ Et de pester : ‘’Ceux qui sont à la tête des mairies pensent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. J’ai l’impression qu’ils n’ont pas beaucoup appris de la jurisprudence Khalifa Sall.’’
Compte tenu de tous ces obstacles, l’on est tenté de se demander si la ville de Dakar n’a pas mis la charrue avant les bœufs. Selon le commis de l’État, Barth n’est pas sans ignorer tout ceci. ‘’Il fait juste son show pour plaire à un certain public’’, a-t-il renchéri.
Ce que la loi prévoit à propos de la révocation En ce qui concerne la révocation invoquée par le président de la République, pour le cas des maires qui violeraient les dispositions législatives, le juriste consultant Ibra Dieng parle des articles 140 et 135 qui l’encadrent. Aux termes de l’article 140, il y a une liste de fautes non limitative dont la commission peut entrainer la révocation prévue à l’article 135. Parmi ces fautes, il y a : tout fait prévu et puni par la loi instituant la Cour des comptes, l’utilisation des deniers publics à des fins personnelles ou privées, les prêts d’argent effectués sur les recettes de la commune, le faux en écriture publique authentique visée par le Code pénal, faux commis dans certains documents administratifs, la concussion, la spéculation sur l’affectation des terrains publics, les permis de construire ou de lotir, le refus de signer ou de transmettre au représentant de l’État une délibération du conseil municipal. Mais comme précisé à l’alinéa 1er dudit article, cette liste n’est pas limitative. Parmi les sanctions prévues par l’article 135, il y a la suspension et la révocation qui ne peuvent être prononcées que par décret. En tout cas, à la ville de Dakar, l’on n’a pas tardé à réagir aux menaces. Selon Abass Fall, 1er adjoint au maire, Macky Sall ne va révoquer personne. Dans un communiqué, il affirme à qui veut l’entendre : ‘’Macky Sall, après avoir essayé d'effacer Dakar des collectivités territoriales, après avoir tenté, en vain, de nommer un maire pour Dakar, après avoir été battu à Dakar et toujours rongé par cette défaite cuisante qui frôle l'humiliation, tente désespérément de menacer et de façon non courageuse le maire Barthélemy Dias de révocation. Les Dakarois attendent avec impatience qu'il passe à l'acte.’’ Cette souffrance tirée de cette défaite, selon lui, l'a rendu amer et il ne manque aucune occasion et de façon inconsciente de montrer sa rancœur. ‘’Ce qu’il refuse d’admettre, c'est que lui-même est sous révocation. L'acte le concernant a été déjà décrété et établi. Il ne reste que la signature finale du peuple qui se fera en 2024. Auparavant, la première étape sera celle des élections législatives du 31 juillet 2022 qui va consacrer définitivement le divorce entre le peuple et un président qui appartient au passé’’, fulmine le bras droit d’Ousmane Sonko. |
AMADOU FALL