Publié le 25 Sep 2012 - 08:05
NOTE DE LECTURE

«Mémoires synchrones du fleuve de mon destin», Général Mamadou Niang

 

La tradition prétorienne

 

Le général Mamadou Niang vient de commettre un ouvrage autobiographique. La tradition de silence des soldats de la grande muette s’estompe peu à peu. Avant lui, son homologue le général Cissé, «un militaire au cœur de l’alternance» puis le colonel Jacques Ntab, «L’itinéraire d’une vie» et à la même période, le général Mamadou Seck, «Nécessité d’une Armée» ont levé un coin de voile sur cette communauté à laquelle s’impose la mission sacrée de défendre la souveraineté de la nation au prix de la vie de ses membres. Le titre, «Mémoires synchrones du fleuve de mon destin», trahit le récit méticuleux d’une vie qui ne s’écoule pas comme un long fleuve tranquille.

 

Après l’inévitable initiation au Coran dans sa prime enfance, Mamadou Niang n’échappe pas au destin des fils de la colonie française, l’école des Blancs. Puis, c’est le Lycée Faidherbe de Saint-Louis, la première ville impériale où dans le choc des contradictions politiques de l’époque, ses idiosyncrasies lui imposent le choix périlleux de rejoindre les rangs du Parti africain de l’indépendance (PAI). Il appartient en effet à une famille maraboutique prestigieuse qui a porté les armes contre la France. L’épopée de son aïeul Amadou Cheikhou Ba est la prouesse militaire la plus éminente contre la domination française dans la colonie du Sénégal.

 

Exclu du lycée pour son activisme politique, il est recruté comme instituteur et affecté dans sa région d’origine. Sa narration de cette période nous montre, avec la visite à son école de Gaol du président du Conseil de gouvernement Mamadou Dia, combien les dirigeants étaient proches de leur peuple. Après avoir interrogé les élèves, suivant un instinct nostalgique puisqu’il fut brillant instituteur, l’illustre visiteur, très satisfait des réponses qui dénotaient d’un niveau supérieur de sa classe, lui promit de lui envoyer un magnétophone pour la rentrée prochaine. «Le destin fera que lui comme moi ne serons pas au rendez-vous», évoque l’auteur.

 

Ce destin se noue quand, au bout de cette année scolaire qui était la troisième, il fut appelé aux armées et autorisé par note du 22 septembre 1962, à souscrire à un engagement volontaire de trois ans et à être incorporé au titre de l’Ecole spéciale militaire interarmes de Saint-Cyr pour l’armée sénégalaise. C’est là qu’il va rater une séquence importante de l’histoire de la jeune armée sénégalaise. Deux mois après son départ pour la France, intervient la crise constitutionnelle qui oppose Mamadou Dia, le président du Conseil, à Léopold Senghor, président de la République mais aussi le général Amadou Fall, chef d’Etat-major et une aile de jeunes officiers nationalistes au colonel Jean Alfred Diallo, nommé chef d’Etat-major.

 

Mamadou Niang et les élèves officiers de France, en cette période où la presse n’était pas aussi disserte, n’ont de l’épreuve de force que la version officielle, celle des vainqueurs, relayée par le commandant Cheikh Claude Mademba Sy, l’attaché militaire du Sénégal à Paris que l’auteur a compris ainsi : «Le général Amadou Fall, chef d’Etat-major, avait des problèmes de même que M. Mamadou Dia, mais que tout était rentré dans l’ordre.» La fracture du temps a sans doute été bénéfique pour le futur général Mamadou Niang. Car s’il avait été là au moment de la confrontation, son tempérament et ses options politiques antérieures le prédisposaient à être du camp des jeunes officiers qui soutinrent l’option d’une solution politique sans affrontement des unités militaires qui avaient chacune choisi son camp.

 

L’auteur ne le dit pas. Il se contente de noter : «La relation faite des événements de Dakar ont laissé en alerte ceux qui comme moi, avaient trempé dans la politique. Lorsque la démarcation des prérogatives n’est pas nette, les relations souvent heurtées entre hommes politiques comportent des risques qui peuvent dangereusement impliquer les autorités militaires, parfois en les éclaboussant. C’est la raison pour laquelle le général Jean Alfred Diallo s’est lui-même tenu et nous a tenu hors du champ politique tout en nous inculquant l’esprit républicain qui, aujourd’hui encore, dicte notre attitude.» Cette leçon qu’il tire est la transition d’un futur général vers un statut de prétorien malgré l’érudition politique qui transparaît dans les analyses, pertinentes par ailleurs, qui fracturent la narration événementielle de son vécu politique et militaire.

 

La trahison du serment des officiers par le nouveau chef d’Etat-major Jean Alfred Diallo et les parachutistes du capitaine Pereira qui firent arrêter Mamadou Dia et ses amis, aura durablement éprouvé l’intégrité de l’armée la plus républicaine d’Afrique. Le général Diallo, au charisme évident, a beaucoup contribué à bâtir notre armée nationale. Mais il l’a fait au service de la France. Au soir de sa vie, le natif de Tivaouane fera un aveu de taille dans une chaîne de télévision française en disant à peu près qu’il a commandé en chef l’armée du Sénégal alors qu’il y exerçait «au titre de l’assistance technique française». Laquelle avait neutralisé, au rythme d’une crise militaro-politique tous les deux ans, des officiers patriotes qui avaient noms : Abdoulaye Soumaré, Amadou Fall, Abdourahim Wane, Moustapha Diouf, Momar Ngary Dé…

 

Pour cela et pour s’être réclamé de Jean Alfred Diallo, le général Niang perpétue le triomphe éditorial des vainqueurs, qu’ils soient politiciens ou militaires, qui se maintiennent au pouvoir au Sénégal au prix d’une dépendance à l’ancienne puissance coloniale et qui conditionne l’histoire du pays en imposant à coup de livres leur version des faits. Le seul héros national depuis l’indépendance est Lat-Dior Ngoné Latyr Diop, preux paladin ceddo certes mais qui permit la défaite de Bara Madiou Ba dit Bara Le terrible, et Penda Mboyo Bâ à Samba Saajo. L’armée française commandée par le lieutenant-colonel Bégin avait mobilisé tous les rois ceddo contre l’armée musulmane qui avaient repris sous son contrôle la presque totalité de la colonie du Sénégal.

 

Magum Kër

 

 

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