‘’La justice est incompatible avec toute forme d’ingérence, de domination, de pression’’
Critiquée de part et d’autre, à tort ou à raison, la justice doit adopter une nouvelle stratégie, pour préserver sa souveraineté. Du moins, c’est l’avis du nouveau président de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), Ousmane Chimère Diouf. Lors d’une conférence de presse organisée par le nouveau bureau élu depuis août 2021, le prédécesseur de Souleymane Téliko a donné également son avis sur l’indépendance de la justice. Selon lui, la magistrature n’a pas besoin d’assistance ; elle doit assumer.
Porté à la tête de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) depuis le mois d'août 2021, Ousmane Chimère Diouf a fait sa première sortie médiatique, hier. Lors d’une conférence de presse tenue au palais de Justice de Dakar, le successeur de Souleymane Téliko a indiqué que la rencontre avec la presse a pour but d’apporter des éclaircissements sur l’essence de la justice, dans un contexte où ce troisième pouvoir fait, de plus en plus, l’objet de critiques sur la place publique.
Ousmane Chimère Diouf a trouvé, donc, nécessaire de rappeler qu’à l’heure actuelle, la magistrature ne peut plus se contenter de vivre dans une tour d’ivoire et de dire le droit sans se soucier de la perception de la société. ‘’Force est de reconnaître que, ces dernières années, son image a été écornée, à tort ou à raison, par un excès de communication négative à son sujet venant d'acteurs judiciaires et de justiciables’’, a-t-il fait remarquer.
Ainsi, pour y remédier, le président de l’UMS trouve qu’il est nécessaire que leur association se lance dans une campagne de communication constructive, basée sur les principes fondamentaux qui gouvernent le fonctionnement de la justice, en précisant qu'elle n'est pas une juridiction habilitée à se prononcer sur des procédures judiciaires en cours, encore moins une instance chargée de critiquer les décisions rendues par ses membres. Il n’a pas manqué de souligner que tout ceci doit se faire dans le strict respect de l’obligation de réserve.
S’agissant des doutes émis par des intervenants publics sur l’indépendance de la justice, le successeur de Souleymane Teliko, sans détour, déclare que la justice est incompatible avec toute forme d’ingérence, de domination, de pression, quelles que soient leurs formes et leur origine.
Selon Ousmane Chimère Diouf, ces doutes se fondent sur leur propre analyse de quelques décisions ou procédures intéressant des hommes politiques ou sur une ingérence de l'Exécutif dans le traitement de certaines affaires. ‘’Il est utile de rappeler que l'indépendance est le socle de la justice, parce que consacrée par l'article 88 de la Constitution’’, dit-il.
Ainsi, il reste convaincu que cette notion d'indépendance est différemment appréciée selon la fonction exercée par le magistrat. Selon lui, le magistrat du parquet, du fait des dispositions des articles 25 et suivants du Code de procédure pénale, est soumis à l'autorité du ministre de la Justice et est tenu, sous peine de sanctions disciplinaires, de se conformer aux instructions écrites reçues de sa hiérarchie, mais retrouve sa liberté de parole une fois debout à l'audience et peut même aller à l'encontre des ordres reçus, en développant librement son point de vue. ‘’C'est l'application de la règle : la plume est serve, mais la parole est libre’’, lance-t-il.
‘’Concernant le magistrat du siège, à savoir juge d'instruction ou du siège, c’est-à-dire ceux chargés de juger, aucune limite ne lui est fixée’’, explique le magistrat. D’après lui, dans l'exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu'à l'autorité de la loi, principe consacré par l'article 90 de la Constitution.
‘’Le magistrat lui-même ne doit pas créer les conditions de sa vulnérabilité’’
Poursuivant, le tout nouveau président de l’UMS indique que la conception selon laquelle la composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature ne permet pas aux magistrats de jouir pleinement de leur indépendance, du fait de la présence du chef de l’État et du garde des Sceaux, est une conception réductrice.
A l’en croire, ‘’le magistrat lui-même ne doit pas créer les conditions de sa vulnérabilité, en faisant de son lieu de travail un critère d’indépendance. Il doit être prêt à servir partout où le devoir l’appellera, en ne se souciant que de bien faire son travail’’.
Pour Ousmane Chimère Diouf, la réforme dont a besoin le Conseil supérieur de la magistrature et qui ressort de l’avis de l’écrasante majorité de ses collègues, consiste à définir des critères objectifs de nomination basés sur l’ancienneté, la compétence, la performance en juridiction et l’exclusion de toute affectation-sanction, à la suite d’une décision rendue par un magistrat, en son âme et conscience.
‘’Le manque d’indépendance ne peut pas être lié uniquement à la présence du chef de l’État et du garde des Sceaux, d’autant que le conseil est majoritairement composé de magistrats qui doivent pleinement jouer leur rôle’’, relève-t-il.