‘’Je pense que Youssou Ndour s’est dit que j’aurais dû partir depuis…’’
Son nom était lié à celui d’une maison de production, Prince Arts. Il ne le sera désormais plus. On pensera à lui à chaque fois qu’on parlera de Pape Diouf Groupe. Le leader de la Génération consciente s’est établi à son propre compte, au niveau national, et travaille avec Universal Music sur la promotion de son nouvel album ‘’Paris-Dakar’’. Il parle de cette collaboration, dans cet entretien, ainsi que de sa nouvelle structure. Ses relations avec ses musiciens dont Papis Konaté et Amath Samb sont évoqués.
Vous avez sorti un nouveau single baptisé ‘’Paris-Dakar’’. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce nouveau single est extrait de mon album international qui est en gestation depuis trois ans. C’est à cause de cela d’ailleurs qu’on me voyait un peu moins ces deux dernières années. Ma production avait beaucoup baissé. J’étais tout le temps entre la France et les Usa, dans le cadre de la réalisation de cet album. Nous y testons d’autres sonorités, y découvrons des univers musicaux variés. J’ai essayé aussi, dans cet album, de faire plaisir à mes fans. Depuis longtemps, mes fans m’interpellent et me demandent quand est-ce que je vais leur proposer un autre style de musique. Je leur avais promis de le faire un jour. Je tiens promesse avec ‘’Paris-Dakar’’. Cet album est un mix de sonorités africaines et françaises. Ce projet est réalisé entre Paris et Dakar. Deux capitales de deux pays frères. Ce qui m’a motivé à faire ce cocktail musical avec les rythmes de ces deux pays. Donc, j’y propose un style afrotrap.
Parlant de cette diversité, on vous voit même chanter en français et presque tous vos featurings annoncés dans cet album, vous les avez réalisés avec des artistes de ce pays. Vouloir vous ouvrir au reste du monde ne vous pousserait-il pas à délaisser le mbalax ?
Tout le monde voudrait progresser dans ce qu’il fait. Je pense qu’aujourd’hui, je n’ai plus rien à prouver dans la musique sénégalaise. J’ai le mbalax dans mon sang. C’est avec les rythmes de cette musique que j’ai appris à chanter. C’est un rythme qui nous est propre, différent de celui universel. Aujourd’hui, on est à l’ère du numérique. Qui veut être en avant ou au courant de ce qui se passe, se doit de maitriser tant soit peu la technologie. Il en est de même pour la musique. Quand on veut voir sa musique être consommée largement, il faut s’adapter aux réalités du marché international.
Pour les featuring, les choix ont été faits suivant les sensibilités qu’on a face à ce que proposent ces chanteurs. J’ai fait un featuring avec Jacob Devarieux. Vous imaginez ! Jeune, j’écoutais beaucoup le Kassav. A chaque fois que le groupe venait se produire au Sénégal, je faisais de mon mieux pour aller les voir prester. Jusqu’aujourd’hui, j’écoute encore beaucoup de leurs anciens morceaux avec nostalgie et émotion. Leur musique a bercé beaucoup de générations de Sénégalais. Ils nous ont beaucoup marqués. Quand j’ai commencé à chanter, je rêvais de faire un son avec Jacob Devarieux. Quand il a accepté de poser sa voix avec moi, c’était l’accomplissement d’un rêve, pour moi. Il a joué de la guitare également. Il faut voir comment il le fait. Ce monsieur est un phénomène. Il est plein de talent avec sa voix magique. J’ai fait d’autres featurings avec des artistes comme Fally Ipupa dont j’aime beaucoup la musique, S.Pri Noir, Awa Imany ou encore Ina Modja. J’ai fait un morceau avec des petits-fils de Doudou Ndiaye Rose qui sont supers et qu’on appelle les ‘’Soralé Boys’’. Un autre featuring qui m’a marqué dans cet album est celui que j’ai fait avec Moums. Cela m’a touché, parce que ce jeune rêvait de chanter avec moi comme moi je rêvais de chanter avec Jacob. Il était super ému le jour où on s’est vu pour la première fois en studio. J’étais son idole. Cela m’a marqué au fer rouge.
Tous ces artistes sont d’origine africaine. Donc, je ne vise qu’à démontrer mon attachement à mon continent.
La sortie de cet album était annoncée pour avril dernier et maintenant janvier. Qu’est-ce qui s’est passé ?
On a fait le choix de ne pas le sortir pour diverses raisons. Les labels, surtout les plus grands comme Universal, travaillent avec beaucoup d’artistes. Chaque année, un planning est défini pour chacun d’eux. Toute la promotion est calculée. On s’est rendu compte que l’album devait sortir un mois avant le ramadan. On a trouvé que le moment n’était pas propice. On est dans un pays composé majoritairement de musulmans et ici, quand on jeûne, on met toutes ces choses-là de côté. Après le ramadan, on était en tournée américaine. On est rentré à quelques jours de l’inauguration de la mosquée Massalikul Jinaan. En tant que talibé mouride connu et reconnu, je ne me voyais pas le faire ou même sortir un single. J’ai voulu attendre que cela passe ainsi que le grand Magal de Touba avant de commencer la promotion de cet album avec la sortie de ce single.
Cet album a-t-il été entièrement réalisé par Universal Music ?
Non, Universal ne l’a pas réalisé. Cet album a été fait de bout en bout par les labels K-Prod et Aztech. C’est un produit fini qui a été présenté à diverses maisons de disque dont Sony Music, Universal ou encore Believe. Dieu a fait que c’est Universal qui a décidé de nous soutenir et personnellement, je priais pour que ce soit Universal qui choisisse ce produit. C’est avec eux que je voulais sincèrement travailler. Elle est la première maison de production du monde.
Quel contrat vous lie à Universal Music ?
J’ai signé avec Universal pour trois ans. Ils vont s’occuper de la production, de la promotion de l’album ‘’Paris-Dakar’’ qui doit sortir en fin janvier prochain. Avec Universal, j’ai 76 dates déjà calées, des interviews, etc. Il y a d’autres choses qui sont prévues. Je dirais même énormément de choses. Je ne les ai pas toutes en tête.
Vous travaillez spécifiquement avec Universal Afrique ou directement avec la filiale de Paris où vous avez signé vos contrats ?
Je travaille directement avec la maison-mère. Universal Afrique n’est que la représentante de la maison-mère. Donc, c’est du pareil au même. J’ai signé mes contrats dans les locaux de la maison-mère à Paris. Les photos sont sur les réseaux sociaux. Tous les Sénégalais l’ont vu.
Pourquoi n’avoir pas continué avec Prince Arts ?
Nous les artistes sénégalais avons pour habitude, après avoir conquis le marché national, d’essayer de gagner celui international. Il est bien de faire sa musique dans les autres pays. Après avoir réussi des prouesses ici, je me suis dit qu’il me reste à conquérir du public ailleurs que sur la terre de mes aïeux. J’ai quitté Prince Arts, je travaille avec un autre label, mais il n’y a aucun problème entre ceux qui gèrent mon ancienne maison de production et moi. J’ai quitté par ambition. C’est tout juste cela. Je veux mieux travailler. Pape Diouf vole de ses propres ailes.
Est-ce que cela voudrait dire que vous ne travaillerez plus avec Prince Arts ?
Non, je peux travailler avec eux. Quand je travaillais avec Universal, je continuais à travailler avec Prince Arts. L’un n’empêche pas l’autre. Seulement, aujourd’hui, j’ai mon propre label dénommé Pape Diouf Groupe. Je viens de réaliser un rêve à travers la création de cette structure. Il y a de jeunes artistes qui sont là et qui veulent tenter leurs chances dans la musique. Ils ont du talent et ont besoin qu’on leur tende la main, comme ce fut mon cas quand je débutais. Pour réussir cela, il me faut mon propre label. Je veux produire certains jeunes et travailler avec eux.
Pape Diouf Groupe pourrait-il être un laboratoire, comme ce fut le cas avec Lemzo Diamono ?
C’est mon ambition ! Je suis passé au Lemzo Diamono où on m’a beaucoup aidé. J’y ai beaucoup appris. On était beaucoup de chanteurs à partager cette expérience. Aujourd’hui, je veux faire la même chose avec les jeunes. C’est mon retour d’entreprise envers cette belle et talentueuse jeunesse sénégalaise. La musique est une entreprise. Tout le monde n’y a pas facilement accès. On essaiera d’ouvrir les portes à certains.
Parlant de Lemzo Diamono, son initiateur, Lamine Faye, est aujourd’hui alité. Quels rapports entretenez-vous avec lui ?
Lamine est mon maître. C’est lui qui m’a appris à faire de la musique. On a de très bons rapports. Publiquement, il y a certaines choses que je ne saurais dire, mais on est resté proche. La dernière fois, quand je chantais devant lui, il pleurait. Au Lemzo Diamono, quand je chantais, il était tout le temps à mes côtés, à droite. Quand je jouais, il faisait certains gestes pour me corriger. Quand on lui rendait hommage, il y a quelques jours à Sorano, je revoyais toutes nos scènes d’échanges, de spectacles et j’ai craqué. J’ai beaucoup pleuré ce jour-là.
Youssou Ndour est votre idole, on le sait. Comment a-t-il accueilli votre départ de Prince Arts ?
Ibou (Ndlr : Ibou Ndour) l’a dit, il n’y a pas de contrat formel qui nous liait. C’est une relation saine, je dirais même familiale qui nous liait. C’est pour cela que mon départ n’a pas été source de polémique. Youssou, je ne l’ai pas contacté. Mais tel que je le connais, je pense qu’il se dit que j’aurais dû faire cela depuis très longtemps. Il est un grand monsieur. Il est ma référence. Quand je regarde Youssou Ndour, je ne peux qu’avoir plus de prétention, chercher plus et mieux. On ne peut trouver meilleur exemple que Youssou Ndour, quand on cherche un homme ambitieux. Il est ma référence, mon exemple. Youssou Ndour, d’un simple chanteur, a pu passer à ministre de la République. Il force le respect. Vraiment, il n’y a aucun problème aujourd’hui entre eux et moi.
Pourquoi avoir fait revenir Papis Konaté ?
Il y a les fans de la Génération consciente qui réclamaient son retour. Il voulait qu’ils reviennent parce qu’il leur manquait. Il y a de hautes autorités, des personnalités qui sont nos amis qui ont tout fait pour qu’on se retrouve. Ils ont tout fait pour le faire revenir. Il est avec nous depuis très longtemps, disons depuis trois ans. On a tardé à en parler parce que j’étais dans un projet international ces trois dernières années. On a déjà bouclé la production de cet album. Donc, j’ai du temps pour me consacrer un tant soit peu à autre chose. Aujourd’hui, il m’accompagne dans cette aventure, Pape Diouf Groupe.
Vous accueillez de nouveau Papis Konaté au moment où Amath Samb vous quitte. Qu’est-ce que cela vous fait ?
Absolument rien ! Quand il a décidé de partir, on a discuté comme je l’ai fait avec Prince Arts, quand j’ai décidé de me mettre à mon propre compte. Il est libre de le faire. Je ne saurais le retenir éternellement. Amath est et restera mon maître. Il a des choses à montrer. Il a un public qui l’aime et le suit. Les Saloum-Saloum l’adulent. Il est arrivé à un niveau qui ne lui permet plus de rester dans ce groupe. Il a raison de vouloir s’établir à son propre compte et réaliser des choses. Il avait rejoint mon orchestre pour m’aider, m’accompagner. Il se dit aujourd’hui que moi qui suis son poulain, je suis assez mature. Il se dit que je suis arrivé à un niveau où il peut me laisser cheminer seul. En quittant l’orchestre, il a beaucoup prié pour moi et j’en ai fait autant à son égard. On est en contact et en bons termes. On n’a aucun problème, honnêtement.
Généralement, les artistes sénégalais sortent deux albums. Un pour le public à l’international et un autre avec souvent des musiques plus rythmées pour le public d’ici. Comptez-vous procéder, vous également, ainsi ?
Il est bien, des fois, de changer et de tester autre chose. Après la sortie du single, les premiers feed back sont positifs. Les gens sont contents. Certains m’ont félicité pour le choix des beats. Ils m’ont avoué qu’ils avaient envie d’entendre autre chose que du mbalax. Il faut reconnaître qu’on leur en a un peu trop donné quand même. Moi, même dans des interviews, on me demandait souvent quand est-ce que je proposerais autre chose que du mbalax. J’ai fait un travail que je propose aujourd’hui aux Sénégalais. Je leur laisse le soin de le découvrir et de le consommer. Malgré cela, ce que vous dites aussi est vrai. Nous en avons d’ailleurs conscience. C’est pourquoi nous comptons offrir aux Sénégalais, en décembre prochain, un album au niveau national. Ce sera très rythmé.
BIGUE BOB