L’épée de Damoclès
Après la trêve des élections territoriales, le parrainage revient avec force dans le débat autour des élections législatives à venir. Si le nombre de parrains demandés aux candidats a baissé par rapport à la Présidentielle, ces derniers devront, outre les anciennes données, fournir la taille des parrains. Ainsi, le gouvernement sénégalais persiste dans sa volonté de ne pas se soumettre aux décisions de la Cour de justice de la CEDEAO qui lui sont défavorables.
Il arrive le parrainage, la terreur de bien des partis politiques. Celui-là qui avait empêché Malick Gakou, Abdoul Mbaye, Mamadou Lamine Diallo, Amsatou Sow Sidibé, entre autres, d’être de la course à la Présidentielle de 2019. Cette fois, deux principales nouveautés ont été notées. D’abord, le taux de parrainage minimum passe de 0,8 % à 0,5 % du fichier général des électeurs ; le maximum de 1 % à 0,8 %. Mais ensuite, sur les mentions à indiquer sur la fiche de parrainage, il y aura également la taille du parrain.
‘’C’est certainement pour éviter que les gens recopient n’importe comment les données des personnes. Parce que la taille, si vous n’avez pas la carte d’identité, il est difficile de l’avoir. Si, au moment du contrôle, la taille sur la fiche ne correspond pas à la taille sur le fichier, c’est un motif de rejet’’, analyse Youssou Daou, informaticien, expert électoral, observateur dans le processus de vérification du parrainage à la dernière Présidentielle.
Jusque-là, le parrainage n’a été mis en œuvre qu’une seule fois, lors des élections au Sénégal. C’était lors de la Présidentielle de 2019. Et il s’était révélé comme une arme fatale au bénéfice du régime, car ayant permis d’écarter plusieurs candidatures. Sur une liste de plus de 80 candidats à la candidature, seuls cinq ont répondu présent à l’arrivée. L’un des principaux motifs de rejet à l’époque, c’était le doublon. Une chose très difficile à éviter, en l’état actuel des choses. Monsieur Daou précise : ‘’On avait remarqué qu’il y avait beaucoup de doublons, beaucoup de rejets. Et il est très difficile de les éviter. Quand vous prenez une signature, vous ne savez pas s’il a déjà parrainé quelqu’un ou pas. Et au moment de la vérification, on ne retient que celui qui a déposé le premier. Peu importe s’il a eu le premier la signature ou pas. Personne ne peut donc se prémunir contre les doublons. Il faudra juste chercher des personnes sûres.’’
Outre les cas de doublon, les candidats étaient aussi confrontés à des problèmes d’erreurs matérielles. Pour l’expert électoral, les gens ont intérêt à redoubler de vigilance à ce propos. ‘’Les candidats, prévient-il, n’ont qu’à bien rédiger. A la limite, il faut faire une photocopie de la carte nationale d’identité et la garder, pour bien vérifier l’orthographe, au moment de l’inscription. La vérification, c’est la machine qui la fait, pas des hommes. Et la machine ne cherche pas à comprendre que Ahmad et Ameth, c’est la même chose’’.
A l’instar des doublons, les signatures aussi posent de sérieuses difficultés quant aux modalités de leur contrôle. Même si la loi l’exige, son contrôle s’est avéré quasi impossible dans un pays où tout le monde ne sait pas signer. Le coordonnateur des non-alignés Déthié Faye : ‘’Le grand problème, c’est la question du contrôle et de la validation des signatures. La loi impose leur vérification. Or, nous ne sommes pas suffisamment outillés pour voir si les signatures sont conformes ou non. Ils vont se contenter de vérifier des données alphanumériques. Alors que même là, on risque d’avoir les mêmes difficultés que pour la Présidentielle.’’ Youssou Daou confirme et rassure : ‘’C’est vrai que la vérification des signatures est difficile. Il y a beaucoup de Sénégalais qui ne savent même pas signer. Mais les éléments qu’on donne, suffisent pour identifier quelqu’un. La fraude est certes possible et c’est pourquoi on met des éléments comme la taille pour renforcer le processus.’’ L’expert de regretter l’absence d’une évaluation, à la suite de la Présidentielle qui a constitué le test grandeur-nature au parrainage.
Un pied de nez à la CEDEAO Prompt à invoquer des décisions de la CEDEAO pour justifier les sanctions contre le Mali, le gouvernement n’a jamais hésité à fouler aux pieds les décisions défavorables des démembrements de l’organisation régionale. ‘’Le parrainage ne doit pas être un motif pour éliminer un candidat sérieux’’. C’est la conviction de Youssou Daou. Dans la pratique, ils sont nombreux à penser le contraire. Et les arguments ne leur manquent pas. On peut citer l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO rendu en avril 2021. Selon la décision de justice, le parrainage fait obstacle au droit de libre participation aux élections. ‘’La cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent pas se présenter aux élections, du fait de la modification de la loi électorale [en 2018] doivent être rétablis dans leurs droits, par la suppression du système de parrainage qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote, d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat, d’autre part’’, soulignait l’arrêt de la haute juridiction. Relativement à la violation du secret de vote, les juges précisaient : ‘’Cette loi viole le secret du vote, en obligeant les électeurs à déclarer à l’avance à quel candidat ils ont l’intention d’accorder leur suffrage, puisqu’un électeur ne peut parrainer qu’une seule candidature.’’ Ce qui présume, selon l’argumentaire, le choix des électeurs concernés et contrevient à la confidentialité de leur vote. De fait, commente le coordonnateur des non-alignés Déthié Faye, tous les partis politiques ne peuvent pas participer. Raison pour laquelle la haute juridiction n’avait pas hésité d’exiger la suppression de ce mécanisme dans un délai de six mois. Très prompt à suivre les organisations régionales, quand il s’agit de justifier les sanctions contre le Mali, le gouvernement sénégalais est rarement prêt à s’appliquer les décisions de ces mêmes instances. Et c’est là une des faiblesses majeures de l’organe régional. ‘'La préoccupation de la cour, disait Edward Amoako Asante, est le problème de l’application de ses arrêts. Bien que les arrêts de cette cour aient force obligatoire pour les États membres, les institutions et les personnes physiques et morales, le niveau de conformité ou d’exécution des arrêts de la cour est inquiétant’’. Selon Déthié Faye, ceci est une véritable aberration. Les gouvernements devraient renforcer la CEDEAO, en appliquant les décisions de ses démembrements et non le contraire. Revenant au parrainage, il explique : ‘’Ce n’est pas seulement la CEDEAO qui a préconisé sa suppression. Les observateurs de l’Union européenne, également, avaient recommandé sa suppression pure et simple. Tel qu’il est fait, insiste le non-aligné, le parrainage met en jeu beaucoup de principes, ne garantissant pas la fiabilité dans le processus de contrôle. Dans leurs recommandations, les observateurs avaient, en effet, suggéré ‘’de mener une réflexion d’ensemble sur l’opportunité de conserver en l’état les dispositifs du parrainage-citoyen, considérant les contraintes et difficultés observées lors de l’élection présidentielle’’. La cour sera-t-elle saisie pour se prononcer sur cette nième défiance par le Sénégal de ses décisions ? Une saisine de la cour pourrait, en tout cas, être lourde de conséquences. |
MOR AMAR