«Quand l'arachide est en déclin, le Sénégal s'enfonce dans la pauvreté»
Quand il rencontre le Sénégal en 1954, Philippe David en tombe amoureux, confesse-t-il. Ancien directeur du Cfpa, conseiller technique ministériel, sociologue, historien, ce magistrat de la coloniale a écrit plusieurs ouvrages sur notre pays, notamment sur l'arachide et les navétanes, un sujet qu'il considère aujourd'hui encore d'ailleurs comme le pilier de notre développement. De passage à Dakar le mois dernier, EnQuête l'a accroché pour lui faire exhumer de bons vieux souvenirs...Reportage sans détours.
Il est tombé sous le charme du Sénégal, et il le prouve. Par l'écrit. Philippe David, magistrat français, a consacré plusieurs ouvrages à notre pays, dont celui intitulé ''Les navétanes, histoire des migrants saisonniers de l'arachide en Sénégambie des origines à nos jours'', publié dans les années 80. Un ouvrage intégré dans le programme de l'enseignement supérieur du Sénégal.
D'une simplicité touchante, Philippe David prend ainsi plaisir à présenter les cartes postales du pays de la Teranga, qui lui a ouvert les portes du reste du continent, il y a bien longtemps. ''J'ai découvert l'Afrique par le biais du Sénégal. C'était en 1954. Nous étions huit étudiants en magistrature à être envoyés sur ce continent pour un stage pratique. J'ai passé huit mois à Tambacounda, capitale du Sénégal oriental'', se souvient-il. Une tranche de vie qui finira par le marquer à jamais. Une découverte qui accouche de deux ouvrages sur cette région du pays : ''Les chroniques de Tambacounda, ou la médiocrité coloniale», et «Les navétanes, les migrants saisonniers», celui-là d'ailleurs préfacé par feu Léopold Sédar Senghor.
Nostalgie pour Tambacounda
A croire aussi que cette inspiration fertile découle des étincelles d'un grand amour rencontré dans le Sénégal oriental. Une région qui était à l'époque le point de convergence des «navétanes», ces travailleurs saisonniers qui venaient des pays limitrophes et de l'intérieur du pays. «J'ai tissé ici une liaison qui m'a marqué à vie. Je dois aussi dire que je considère ce livre comme mon chef-d’œuvre, car il retrace un vécu, le mien, et c'est passionnant.» En fait, l'ouvrage tire grandement le rideau sur l'origine d'un mot qui, dans l'imagerie collective, renvoie aux tournois de football qui se tiennent, dans notre pays, en plein hivernage. Toute une histoire qui entoure un vocable qui a un impact grandiose sur la croissance agricole du pays. «Le Sénégal a eu à bâtir sa fortune par l'entremise de l'arachide qui était largement cultivée dans cette partie du pays par les navétanes. C'est parce que l'arachide est aujourd'hui en déclin que le Sénégal s'enfonce de plus en plus dans la pauvreté», souligne Philippe David, avec regret.
Gouvernants en perte de vitesse
Ancien directeur du Centre de formation et de perfectionnement administratifs (CFPA), ancêtre de l'Ecole nationale d'administration (ENA), ce magistrat est convaincu que «le Sénégal est un pays pauvre» qui doit développer des stratégies pour assurer la sécurité alimentaire, celle des biens et des personnes. Avec un atout : «Pas naturellement riche» mais «peut se vanter de la qualité de ses ressources humaines». Une belle image qui, néanmoins, précise-t-il, ne peut venir «en appoint» à la crise latente et souterraine qui a résulté de la crise économique, avec ses potentiels de violences. «La population est en train d'exploser au Sénégal et dans d'autres pays de la sous-région», dit-il en guise d'avertissement. «Du coup, les gouvernants qui n'ont pas su gérer la période post- indépendance sont en perte de vitesse...» Et il y a un problème supplémentaire à prendre en compte, ajoute cet observateur : les risques de développement de la criminalité transnationale se multiplient pour les pays du Tiers-monde. «Cette criminalité devenue multinationale est malheureusement plus forte que les gouvernants. Il n'y aura pas d'amélioration tant que le niveau de vie des populations n'aura pas été relevé.» A ce niveau, Philippe David lâche : il n'est pas fortuit que «le premier braquage d'une banque au Sénégal ait été perpétré par deux Français avant 1966, dit-il. Je me rappelle que lorsque je me promenais, je me faisais toujours accompagner par deux gendarmes.» Aujourd'hui, insiste-t-il, «la délinquance armée s'est installée brusquement en Côte d'Ivoire. Il faut vraiment faire attention....»
«Avec la Côte d'Ivoire, il faut vraiment faire attention...»
Également auteur d'un ouvrage sur Ernest Noirot du nom d'un administrateur colonial dont le nom a été immortalisé par le célèbre pont de Kaolack, David invite les gouvernants à réfléchir sur les paradigmes qui aident à sortir des sentiers du danger car «les clignotants sont au rouge» et «l'avenir du monde n'est pas souriant». Pincement au cœur, il déplore qu'universitaires et écrivains n'aient pas cherché à décortiquer plus en profondeur les mutations profondes qui ont accompagné la marche du Sénégal de la période coloniale à nos jours. «J'ai été étonné, par exemple, de voir qu'aucun auteur ne s'est intéressé au thème des navétanes depuis la publication de mon ouvrage. Ils considèrent que j'ai tout dit alors qu'il reste des chantiers énormes à explorer...»
Breveté de l'école nationale de la France d'Outre-mer, directeur du Centre de formation et de perfectionnement administratif de (1966-1973), conseiller technique au Secrétariat d'Etat à la Promotion humaine (1974-78), l'homme qui porte aussi la casquette d'historien et sociologue se pose des questions...sans réponse. Par exemple, celle-ci : «Pourquoi des écrivains ne se bousculent au portillon que lorsqu'il est question d'écrire des ouvrages politiques ? Je suis certain qu'ils auront encore à écrire sur Senghor, Diouf ou Wade. Or, l'histoire est si riche de faits.»
MATEL BOCOUM
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